François Legault et ses prescriptions littéraires

Les prescriptions littéraires de François Legault, novembre 2020

La semaine dernière, dans le cadre de sa série de «Prescriptions littéraires», l’Association des libraires du Québec diffusait, sur Facebook, une vidéo du premier ministre du Québec. François Legault y recommandait dix œuvres (la vidéo se trouve ici — pour l’instant ?).

La même liste de recommandations apparaissait sur Twitter et sur Instagram.

Le Journal de Montréal annonce aujourd’hui que l’ALQ «a fait disparaître des suggestions de livres à lire de François Legault après avoir reçu des plaintes de gens qui lui reprochaient qu’elle eût offert une tribune au premier ministre».

Pour l’Oreille tendue, les suggestions de lectures de François Legault n’ont pas d’intérêt. En revanche, le fait qu’il ait des suggestions de lectures lui semble une bonne chose, et parfaitement légitime.

La pusillanimité de l’Association des libraires du Québec ne l’honore pas, c’est le moins qu’on puisse dire.

 

[Complément du 30 novembre 2020]

Par communiqué, l’Association des libraires du Québec annonce faire marche arrière. C’était la décision à prendre.

Diderot et Netflix

The Queen’s Gambit, 2020, épisode 5, détail

Comme tout le monde, l’Oreille tendue avait entendu parler de la série télévisée The Queen’s Gambit (2020, le Jeu de la dame). Elle l’avait mise sur sa liste de choses à voir un de ces jours. Puis, une de ses étudiantes — merci à elle — lui a annoncé qu’il était question de Diderot dans le cinquième épisode, «Fork» («Fourchette»). Elle y est donc allée tout de suite.

Beth Harmon, la jeune prodige des échecs qui est l’héroïne de la série, rentre à la maison, à Lexington (Kentucky), après la mort de sa mère adoptive. Elle y reprend contact avec Harry Beltik, un joueur qu’elle a écrasé dans un tournoi cinq ans plus tôt, alors qu’elle n’avait que 13 ans. Depuis, elle est devenue cochampionne des États-Unis. Beltik lui propose de devenir son entraîneur (il sera aussi son amant), lui apporte des livres et lui donne des conseils.

À la 19e minute de l’épisode, Harry et Beth font la vaisselle. «Je crois qu’il y a plus dans la vie que les échecs» («I think there’s more to life than chess»), avance Harry, qui entreprend de s’expliquer à partir de la vie d’un de ses «héros», François-André Danican Philidor (1726-1795). Il demande d’abord à Beth si elle connaît Diderot. «French Revolution», répond-elle. Harry ne la corrige que partiellement — «À peu près» («Close enough») — avant de lui citer de mémoire — lui aussi — un passage d’une lettre de Diderot où il est dit que Philidor jouait parfois les yeux bandés.

Il s’agit bien d’une lettre de Diderot, celle à Philidor du 10 avril 1782, mais la phrase que cite Harry — «Il y a de la folie à courir le hasard de devenir imbécile par vanité» (éd. de 1997, p. 1323) — n’est pas de Diderot. Elle est d’un autre joueur d’échecs du XVIIIe siècle, «M. de Légal» (1702-1792), que cite Diderot dans sa lettre.

Aux échecs, pareille double approximation aurait été lourde de conséquences.

P.-S.—Oui, il s’agit des joueurs d’échecs qu’évoque Diderot au début du Neveu de Rameau :

Si le tems est trop froid, ou trop pluvieux, je me refugie au caffé de la Regence; la je m’amuse a voir jouer aux echecs. Paris est l’endroit du monde, et le caffé de la Regence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux a ce jeu. C’est chez Rey que font assaut Legal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot; qu’on voit les coups les plus surprenants, et qu’on entend les plus mauvais propos; car si l’on peut etre homme d’esprit et grand joueur d’echecs, comme Legal; on peut être aussi un grand joueur d’echecs, et un sot, comme Foubert et Mayot (éd. 1977, p. 3-4).

P.-P.-S.—Les travaux sur Diderot et les échecs ne manquent pas. Voir des exemples ci-dessous.

 

Références

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau, Genève, Droz, coll. «Textes littéraires français», 37, 1977, xcv/329 p. Édition critique avec notes et lexique par Jean Fabre.

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Sumi, Yoichi, «Autour de l’image du jeu d’échecs chez l’auteur du Neveu de Rameau», dans Jacques Proust (édit.), Recherches nouvelles sur quelques écrivains des Lumières, Genève, Droz, coll. «Études de philologie et d’histoire», 25, 1972, p. 341-363.

Sumi, Yoichi, le Neveu de Rameau. Caprices et logique du jeu, Tokyo, France Tosho, 1975, 520 p. Préface de Jacques Proust.

Thomas, Ruth P., «Chess as Metaphor in le Neveu de Rameau», Forum for Modern Language Studies, 18, 1982, p. 63-74.

La clinique des phrases (jjj)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Vous ouvrez un roman québécois récent et l’envie vous prend de poser quelques questions à vos fidèles bénéficiaires. Allons-y.

P. 36 : «cheveux bruns cirés, rasé de près, chemise aux manches roulées, cravate savamment dénouée, montre dispendieuse». P. 144 : «tout en mangeant des hot-dogs criminellement peu dispendieux». P. 229 : «puis esquisse une petite danse de la victoire qui fait tinter sa breloque dispendieuse avant de retourner à sa place».

Dans ces trois phrases, quel québécisme aurait-il peut-être mieux valu ne pas utiliser ?

P. 39 : «Confronté à sa soif de sens, Internet ne parvient pas à le satisfaire.»

Comment «Internet», mis en apposition, pourrait-il être «confronté» à la «soif de sens» du personnage principal du roman («le satisfaire») ?

P. 50 : «Cependant, Claude est à des lieux de ces préoccupations de rendement humain […].»

Ces «lieux» sont-ils bien des «lieux» ?

P. 54 : «Dans un coin du paquet, à peine entamée, la petite butte de wasabi brunit doucement, en voie devenir pierre tout à fait.»

Quel est le mot manquant dans cette phrase ?

P. 58 : «Aude, j’ai quelque chose à te demander, demande Claude […].»

Cette répétition est-elle bien nécessaire ?

P. 166 : «l’appel que Claude a logé à La Presse canadienne demeure sans réponse».

Peut-on vraiment loger un appel ?

P. 191 : «La politesse canadienne intime l’étranger à ne pas rudoyer son interlocuteur en consultant l’objet qu’il lui tend.»

N’attendrait-on pas «intime à l’étranger de ne pas» ?

P. 193 : «un compte-rendu sportif». P. 266 : «des comptes-rendus sportifs»; «mon compte-rendu».

Pourquoi diantre ces traits d’union ?

P. 203 : «il avait dosé l’information et alludé les liens».

«Alludé» comme, en anglais, to allude ?

P. 216 : «payeur de taxe diligent».

S’agirait-il d’un contribuable ? Par ailleurs, est-il «payeur» d’une seule «taxe» ?

P. 226 : «L’inquisition du criminel le désarçonne. À moins que ce soit son étrangle franglais bilingue.»

Certaines personnes, dont l’Oreille tendue, s’interrogent sur l’existence même de cette chose qui s’appellerait le franglais. En revanche, tout le monde semble s’entendre sur le fait qu’il s’agirait d’un mélange d’anglais et de français. Comment, dès lors, le «franglais» pourrait-il ne pas être «bilingue» ?

P. 263 : «lui répond l’homme dans un français impeccable, mais qu’une oreille exercée y dénoterait pourtant une ombre anglophone».

L’Oreille, toute bienveillante qu’elle souhaite être, ne comprend guère la syntaxe de cette phrase. Remettons-la d’aplomb : «mais où / dans lequel une oreille exercée dénoterait pourtant».

À votre service.

P.-S.—L’incohérence pronominale de la p. 167 serait trop longue à expliquer. Passons notre chemin.

Il faut toujours dire la vérité aux enfants

Lucie Papineau, la Légende de Maurice Richard, 2020, couverture

Ses lecteurs le savent : l’Oreille tendue a consacré beaucoup de temps à Maurice Richard — c’est du hockey. (Voir ici.)

Apprenant la parution de la Légende de Maurice Richard, le petit garçon qui devint le Rocket, un album destiné aux «3 ans et +», signé par Lucie Papineau (aux textes) et Caroline Hamel (aux dessins), elle est donc allée jeter un œil. Elle ne s’attendait évidemment pas à des révélations — elle en a passé l’âge —, mais elle a quand même été étonnée par autant d’erreurs et d’imprécisions en si peu de pages.

La publicité représentée p. 8, celle de Dr Pepper, comporte le slogan «Tree good times»; ce devrait être «Three good times». À la page suivante, il y a «Bigger. Bitter», alors que ce devrait être «Bigger. Better».

En mars 1955, Richard n’est pas suspendu que pour «toute la durée des éliminatoires» (p. 30); il l’est aussi pour les trois derniers matchs de la saison régulière, ce qui le privera du championnat des marqueurs. Le 18 du même mois, quand il s’adresse à ses partisans, à la suite de l’Émeute de la veille, c’est à la radio (p. 31), mais aussi à la télévision.

Il n’est pas nommé au Temple de la renommée du hockey en 1960 (p. 33), mais en 1961. Son chandail, le numéro 9, a été retiré par les Canadiens de Montréal (p. 33), mais pas par toutes les équipes de la Ligue nationale de hockey.

Ça fait un brin désordre, tout ça

 

Référence

Papineau, Lucie, la Légende de Maurice Richard, le petit garçon qui devint le Rocket, Montréal, Auzou, 2020, 35 p. Illustrations de Caroline Hamel.

Autopromotion 535

André Belleau, portrait

L’Oreille tendue ne cesse de chanter les louanges d’André Belleau (voir ici, par exemple).

Ces jours-ci, elle publie un article sur son rapport à la langue :

Melançon, Benoît, «Sur un adage d’André Belleau», Études françaises, 56, 2, 2020, p. 83-96. https://doi.org/10.7202/1072480ar (Pour l’instant, la version numérique est réservée aux abonnés.)

En vidéo, pour rappel, il existe aussi ceci :