Esquisse de déchiffrement matinal

Martin Robitaille, les Déliaisons, 2008, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman les Déliaisons (2008) de Martin Robitaille : «Ils ont tous l’air de vrais mongols à batterie, devant ce petit concierge qui leur met ça dans leur pipe» (p. 90).

Elle peut poser, à l’œil inexpérimenté, quelques problèmes. Indiquons-en trois.

Qu’est-ce qu’un mongol à batterie, voire un vrai mongol à batterie ? Ce mongol n’est pas un Mongol; il n’a rien à voir avec la Mongolie. En revanche, il a un rapport avec le mongolien (le trisomique) sans en être un. C’est un être bête, mais d’une bêtise particulière : il serait doté de batterie — on pourrait aussi écrire batteries —, bref de pile(s). Ce mongol aurait une puissance particulière.

Que veut dire mettre ça dans [sa] pipe ? Au Québec, qui dit à son interlocuteur de mettre ça dans sa pipe souhaite lui en boucher un coin.

Les deux expressions sont également populaires. On peut dès lors comprendre pourquoi la première est mise en italiques. Mais pourquoi la seconde ne l’est-elle pas ?

Tant de questions profondes, si peu de temps.

P.-S. — Mongol peut aussi être un adjectif. Voir, par exemple, Dixie (2013) de William S. Messier : «Le monde est mongol, le monde hurle toutes sortes d’affaires» (p. 20); «la conduite mongole de Rodrigue n’aide pas» (p. 90). Pas de batterie(s), toutefois, chez lui.

P.-P.-S. — Selon Léandre Bergeron (1981), mongole, nom et adjectif, prendrait toujours un e final (p. 122) : un mongole, une mongole, il est mongole, elle est mongole. Tous les goûts sont dans la nature.

 

[Complément du 16 juin 2015]

Un chroniqueur de la radio de Radio-Canada vient de remettre à la mode le mot mongol et il le regrette. Dimanche dernier (le 14 juin), Jean-Sébastien Girard a déclaré ce qui suit durant l’émission La soirée est encore jeune : «Donc c’est une très belle scène [du film Bach et Bottine, 1986] où on voit la ville de Québec, donc à cause de cette scène-là on a longtemps pensé que Québec était pas une ville de mongols.» Les habitants de la ville n’ont pas apprécié, ni son maire, Régis Labeaume, qui a répondu d’une formule : «mongol toi-même, tsé».

L’Oreille en profite pour ajouter deux occurrences du mot à sa collection.

L’une venue d’Internet : «Des passages de texte de chacune des histoires y sont présentés, accompagnés d’images et d’animations à saveur “mongole”» (Sympatico, janvier-février 2002).

L’autre, du roman Numéro six d’Hervé Bouchard (2014) : «Et les autres, je ne les connaissais pas, mais c’était facile de voir qu’ils étaient du même bois, je me voyais au milieu d’une belle bande de mongols, des perdants qui ne souffraient d’aucune maladie sinon celle d’être à l’envers du sport […]» (p. 94).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Les campus sont des lieux dangereux

L’Oreille tendue enseigne à l’université. Depuis des années, sans succès, elle essaie de convaincre ses étudiants de prendre comme objet d’étude le genre des romans universitaires (les campus novels).

Au fil des ans, elle a constitué une courte liste de pareils textes : en prose (roman, nouvelle), en français, décrivant un milieu québécois (cégep, université). Voici cette liste.

Les suggestions d’ajouts ou de corrections sont bien sûr les bienvenues.

Version du 14 juin 2018 (voir aussi les commentaires ci-dessous)

Baril Guérard, Jean-Philippe, Royal. Roman, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2018, 287 p. Édition originale : 2016.

Bernié, Jean-Philippe, J’attendrai le temps qu’il faudra, Montréal, La courte échelle, 2013, 199 p.

Bernié, Jean-Philippe, Quand j’en aurai fini avec toi, Montréal, La courte échelle, 2012, 199 p.

Bismuth, Nadine, Scrapbook. Roman, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 176, 2006, 393 p. Édition originale : 2004.

Biz, la Chaleur des mammifères, Montréal, Leméac, 2017, 160 p.

Boisvert, France, Professeur de paragraphe, Montréal, Lévesque éditeur, 2017, 164 p.

Brochu, André, Adéodat 1. Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Romanciers du Jour», R-91, 1973, 142 p.

Chabin, Laurent, Le corps des femmes est un champ de bataille, Montréal, Coups de tête, 2012, 240 p.

Charland, Jean-Pierre, la Souris et le rat. Petite histoire universitaire, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. «Azimuts», 2004, 240 p.

Chassay, Jean-François, Requiem pour un couple épuisant et autres nouvelles, Montréal, Leméac, 2015, 163 p.

Delalande, Arnaud, le Piège de Lovecraft, Paris, Grasset, 2014, 368 p.

Drainville, A.C., Les carnets jaunes de Valérien Francoeur, qui a crevé quelques enflés, Montréal, L’Effet pourpre, 2002, 217 p. Traduction de Michel Saint-Germain.

Gagnon, Robert, la Mère morte, Montréal, Boréal, 2007, 272 p.

Gourdeau, Gabrielle, Clins d’œil à Romain Gary, Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2001, 223 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 248 p.

Hébert, François, le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p.

La Charité, Claude, le Meilleur Dernier Roman, Longueuil, L’instant même, 2018, 177 p. Ill.

LaRue, Monique, la Gloire de Cassiodore, Montréal, Boréal, 2002, 296 p.

Lepage, François, le Dilemme du prisonnier, Montréal, Boréal, 2008, 151 p.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Mathieu, Claude, la Mort exquise et autres nouvelles, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1965, 143 p.

Moutier, Maxime Olivier, Journal d’un étudiant en histoire de l’art, Montréal, Marchand de feuilles, 2015, 457 p.

Ouellette-Michalska, Madeleine, la Parlante d’outre-mer, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2012, 167 p.

Richer, Ghislain, Meurtre sur le campus, Chicoutimi, JCL, 2001, 264 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Rousseau, Jacques, ROM. Read only memory, Montréal, Tryptique, 2010, 214 p.

Théoret, France, Les apparatchiks vont à la mer Noire, Montréal, Boréal, 2004, 246 p.

Turcotte, Élise, le Parfum de la tubéreuse, Québec, Alto, 2015, 128 p.

 

[Complément du 29 août 2015]

Le quotidien le Devoir publiait aujourd’hui deux articles sur la représentation des professeurs en littérature québécoise, le premier de Catherine Lalonde, «Visages de prof», le second de Louis Hamelin, «Prochain semestre». À lire pour compléter la liste ci-dessus.

Vie et mort du dévolu

L’Oreille tendue, ce samedi soir, à la télévision, regardait d’une oreille distraite le match entre les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto — c’est du hockey.

À un moment, à RDS, François Gagnon a utilisé l’expression «jeter son dévolu». Benoîtement, l’Oreille twitta ceci.

Tweet -- Jeter son dévolu

Plus tard dans la soirée, son tweet donna lieu à des échanges nourris.

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Depuis 1698 — le Petit Robert (édition numérique de 2014) date de cette année l’expression jeter son dévolu sur (qqn, qqch.) (sens : fixer son choix sur, manifester la prétention de l’obtenir) —, dévolu a-t-il jamais eu autant de succès ?

P.-S. — Comme cela arrive si souvent sur Twitter, l’échange sur dévolu mena à d’autres, sur sans ambages, sans vergogne, sans lésiner. C’est comme ça.

 

[Complément du 19 juillet 2022]

Foi de Casanova, il y a une gradation dans le dévolu : «Mon enthousiasme diminua; mais mon frère, sans me rien dire, jeta sur elle un si fort dévolu qu’une année après il se laissa attraper» (éd. de 2014, p. 335).

 

Référence

Casanova, Giacomo, Histoire de ma vie. Anthologie. Le voyageur européen, Paris, Le livre de poche, coll. «Classiques de poche», 32695, 2014, 597 p. Édition préfacée, commentée et annotée par Jean M. Goulemot.

Longue citation pédagogique du jour

En 1971, le réalisateur Jacques Godbout tourne, pour l’Office national du film du Canada, le long métrage IXE-13. Description tirée du site de l’ONF, où l’on peut commander le film :

Comédie musicale mettant en vedette les quatre membres du collectif humoristique, Les Cyniques. André Dubois tient le rôle titre de IXE-13, «l’as des espions canadiens». Il est entouré de Marc Laurendeau, Serge Grenier et Marcel Saint-Germain. Un film tout en musique, une joyeuse parodie des aventures du personnage légendaire issu d’un populaire roman-feuilleton des années 1950 signé Pierre Saurel.

Une des chansons du film, «La chanson très vulgaire», est était visible sur YouTube. Elle peut être utile à qui veut se familiariser avec les jurons québécois et leur prononciation. On y trouve ostie, tabarnak, câlisse, cibouère, criss, sacrament, calvaire.

Pour l’entendre :

Pour la lire (l’Oreille tendue s’est essayée à sa transcription) :

Fais pas d’grimace
Ça porte malheur
Grouille ta carcasse
C’est pas ta sœur
Si je t’embrasse
Toi tu m’écœures
Tu me fracasses
Mon doux seigneur
T’es une lavasse
Un amateur
Je te terrasse
Maudit faiseur
T’as les oreilles comme un chou-fleur
Prends ta bouteille vieil enfant d’chœur
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Ostie
Cibouère
J’te mords les couilles
Lève ton nombril
Ostie d’citrouille
Criss de fifi
T’as pas connu
Yvon Robert
Là t’aurais eu un adversaire
I a Gorgeous George
I était cochon
Ça ça t’égorge un cornichon
Larry Moquin i lâchait pas
L’huile de ricin
Mouman poupa
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Enwèye accouche
Mont’ qu’t’es un homme
[Inaudible] une fausse couche
Pis chique d’la gomme
Tu [Inaudible]
J’te casse les dents
J’te décapite
Mon sacrament
Pis fait pas d’bluff
Avec bibi
Nous on joue tough
T’as pas fini
Mas t’faire manger d’la marde en tas
M’en vas t’crever sur le matelas
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Ostie
Cibouère
Ostie
Tabarnak
Ostie
Ostie
Calvaire
[Etc.]

 

[Complément du 29 juin 2018]

Commentaire de spectateurs, rapporté par Jacques Godbout dans un livre de souvenirs, De l’avantage d’être né (2018) : «les enfants adorent, surtout la chanson “très vulgaire”, qui contient son lot de sacres et qu’ils apprennent par cœur». Il est vrai que les enfants sont comme ça.

 

Référence

Godbout, Jacques, De l’avantage d’être né, Montréal, Boréal, 2018, 288 p. Édition numérique.