De P en P

On connaissait les PPP, ces partenariats public-privé qui plaisent tant aux entrepreneurs néolibéraux. On leur a même créé une agence gouvernementale, aujourd’hui — provisoirement ? — en dormance, l’APPPQ.

Comme il en était question à tout moment pendant quelques années, on s’est mis à utiliser l’expression à plusieurs sauces.

Il y eut un «parti pris pour les pauvres», le PPPP (le Devoir, 7 octobre 2004).

Puis un PPPS, le partenariat public-privé-syndicat (la Presse, 27 mars 2006).

Le Devoir des 30 et 31 janvier va une lettre plus loin, sur le plan alimentaire : pâtes, pizzas, patates, poulet et poutine sont des aliments qui ont actuellement mauvaise presse chez certains. Voici donc les PPPPP.

On n’arrête pas le progrès.

Ne pas visualiser svp

Patrick Nicol, Vox populi, 2016, couverture

Hier, dans la section des sports du quotidien la Presse : «Je comprends Dawson d’avoir une crotte sur le cœur» (28 janvier 2010, p. 2).

Avoir une crotte sur le cœur ? Garder rancune.

Il vaut probablement mieux ne pas se représenter la chose.

 

[Complément du 10 décembre 2015]

Autre définition : «Avoir de la rancœur, du ressentiment» (Trésor des expressions populaires, p. 105).

Existe en différents formats :

 

[Complément du 13 décembre 2015]

Jeu de mots, en titre, dans le quotidien le Devoir daté du 26 janvier 2013 : «Yucatán – Une grotte sur le cœur

 

[Complément du 23 janvier 2016]

Variation du jour : «En attendant, Parenteau va se concentrer sur le match de ce soir contre son ancienne équipe et son ancien entraîneur-chef. On devine qu’il jouera avec la proverbiale fiente sur le cœur» (la Presse+, 23 janvier 2016).

 

[Complément du 26 août 2024]

Des exemples romanesques, au singulier comme au pluriel ? Bien sûr.

«Marc aurait pu en rester là. Il n’avait pas envie de recoucher avec Suzanne ni d’ailleurs d’en reparler infiniment, mais Suzanne continuait, insistait, pour s’assurer que personne ne reste “avec des crottes sur le cœur”» (Vox populi, p. 83).

«Il se le niait à lui-même, mais il avait une crotte sur le cœur» (la Bête creuse, p. 378).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Nicol, Patrick, Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p.

Citation autoréférentielle (?) du jour

 Denis Diderot, Jaques le fataliste et son maître, éd. de 1976, couverture

«— Oui, voilà qui est fort bien dit; et parcequ’on est dans la misere vous me faites un enfant, comme si nous n’en avions pas déjà assez. — Oh ! que non. — Oh ! que si; je suis sure que je vais être grosse. — Voila comme tu dis toutes les fois. — Et cela n’a jamais manqué quand l’oreille me démange après, et j’y sens une démangeaison comme jamais… — Ton oreille ne sait ce qu’elle dit. — Ne me touche pas ! Laisse là mon oreille ! Laisse donc, l’homme, est-ce que tu es fou ? Tu t’en trouveras mal.»

 

Denis Diderot, Jaques le fataliste et son maître, Paris et Genève, Librairie Droz, coll. «Textes littéraires français», 230, 1976, clxiii/501 p., p. 26. Édition critique par Simone Lecointre et Jean Le Galliot.

 

[Complément du 28 janvier 2018]

«Évoquant son père, Modeste Brouillon, qui tenta en vain toute sa vie de faire publier les histoires qu’il inventait pour ses enfants, Prosper se demande si cette inclination ne serait pas héréditaire : “Les femmes ont un clitoris”, affirme-t-il pour commencer (mais ses opinions n’engagent évidemment que lui). Et il poursuit ainsi : “N’aurions-nous pas dans la famille, de père en fils, une petite excroissance anatomique qui s’excite dès que résonnent les quatre mots magiques, il était une fois”, et qui se situerait dans l’oreille ? Ce sont des choses qui doivent pouvoir se vérifier.»

 

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p., p. 47. Illustrations de Jean-François Martin.

 

[Complément du 15 août 2019]

Variation sur un thème semblable dans le Libertin d’Éric-Emmanuel Schmitt (1997) :

Diderot (gêné). C’est au sujet des hommes et des femmes… (Il se décide.) Lorsqu’un homme et une femme font l’amour, qui éprouve le plus de plaisir ?

Mme Therbouche (du tac au tac). Lorsque vous vous grattez l’oreille avec le petit doigt, qui éprouve le plus de plaisir ? L’oreille ou le petit doigt ?

Diderot (sans réfléchir). L’oreille, naturellement.

Mme Therbouche. Donc vous avez la réponse. Adieu.

 

Éric-Emmanuel Schmitt, le Libertin, Paris, Albin Michel, 1997, 172 p., p. 151-152.

Les gardiens

Yves Pagès, Petites natures mortes au travail, 2000, couverture

Correcteur, lecteur-correcteur, réviseur, correcteur linguistique, réviseur de manuscrits, quand ce n’est pas père-la-virgule : les étiquettes changent, mais le travail reste le même, donner à un texte la plus grande correction possible, notamment sur le plan de la langue, auprès des maisons d’édition, dans la presse et sur Internet.

Le quotidien Libération rend hommage à ceux qui pratiquent ce travail dans son édition du 6 janvier 2010 et, surtout, rappelle leur très grande précarité.

On entend généralement peu parler (de) ces artisans de l’ombre. Deux exceptions. L’une numérique : le blogue des correcteurs du Monde.fr, «Langue sauce piquante». L’autre dans le recueil de courts récits d’Yves Pagès, Petites natures mortes au travail (2000) : voir, par exemple, le personnage de Léopold, correcteur scientifique, puis journalistique, dans «Le syndrome delphinien». Extrait :

Léopold s’était mis dans la peau du contremaître surveillant une chaîne de montage industrielle. En chaque mot, il voyait une pièce détachée qui devait répondre aux normes. En chaque phrase, il assurait la comptabilité du kit des modules grammaticaux. Sa cadence de relecture ne lui laissait pas le choix, il contrôlait le défilement de cette prose spécialisée à flux tendus. D’où sa rage de petit chef contre la mauvaise ouvrage d’auteurs soit désinvoltes soit dyslexiques soit les deux; et son mépris pour la clientèle estudiantine de ces monographies animalières qui ignorait tout de son labeur invisible (p. 70).

Ça se terminera mal.

Au Québec, la revue Liberté, en 1985, avait publié, en deux articles, sous le titre «Les taupes de l’édition», une défense et illustration de ce métier par Suzanne Robert et Jean-Pierre Leroux. Plus récemment, Nadine Bismuth lui a consacré un roman caustique, Scrapbook (2004).

C’est sûrement incomplet, mais c’est peu.

 

[Complément du 15 février 2014]

Les plus célèbres correcteurs d’épreuves du Québec sont André et Nicole Ferron, dans l’Hiver de force (1973) de Réjean Ducharme :

On lui aurait dit comment on a vu pulluler les fautes et les coquilles, et on lui aurait rappelé qu’on est des correcteurs d’épreuves à la pige. C’est vrai. Le peu de vie que nous gagnons, c’est comme correcteurs d’épreuves. Les éditeurs et les imprimeurs de Montréal ont tous notre numéro de téléphone. Il n’y en a pas des tas qui nous appellent, certes, il n’y en a même qu’un ou deux, mais ça ne prouve pas que nous ne soyons pas compétents. Nous connaissons par cœur la grammaire Grevisse (Le bon usage, Duculot, Gembloux, 1955) (p. 50).

 

Références

Bismuth, Nadine, Scrapbook. Roman, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 176, 2006, 393 p. Édition originale : 2004.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Leroux, Jean-Pierre, «Exercices de révision», Liberté, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 10-16. https://id.erudit.org/iderudit/31304ac

Pagès, Yves, Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p.

Robert, Suzanne, «Prête-moi ta plume… et ton cerveau», Liberté, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 3-10. https://id.erudit.org/iderudit/31303ac