L’art du portrait : la continuation

Christian Gailly, les Évadés, 2010, couverture

«Le chauffeur Franck, un petit sournois, le type même de l’âme damnée, un vicieux, surtout le regard, des yeux bleus d’agité, toujours à ricaner, un malin, avec sa casquette de larbin en arrière et de biais bichonnait la Bentley.»

Christian Gailly, les Évadés, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 65, 2010, 234 p., p. 89-90. Édition originale : 1997.

Locomotion Québec 201

Les Québécois ont parfois des rapports tendus avec le féminin et le masculin. Un jour, l’Oreille tendue s’est même demandé si cela ne touchait pas particulièrement les moyens de locomotion.

Nouveau cas à ajouter à la liste : semi-remorque.

En France, le mot est féminin : «Un camion tournait lentement là-bas où la route s’éloignait de l’usine, et la semi-remorque blanche, par effet de perspective, remplaçait un instant le signe bleu de l’usine» (François Bon, 2011).

Au Québec, on le trouve parfois au masculin, malgré les recommandations de l’Office québécois de la langue française : «Un semi-remorque se renverse sur la route 348» (le Nouvelliste, 8 juin 2011); «Un semi-remorque emboutit un autre poids lourd» (le Journal de Québec, 4 juin 2009).

Y aurait-il une parenté cachée entre un semi-remorque et un ambulance ?

P.-S. — Le Petit Robert (édition numérique de 2010) réconcilie par avance tout le monde : «nom féminin et masculin». Ce et laisse rêveur.

 

Référence

Bon, François, Daewoo. Roman, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2004.

Troisième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Autoreprésentation

Définition

Pour Janet M. Paterson, l’autoreprésentation est le «processus selon lequel un texte se représente» (p. 177).

Exemple

«Et la chaux rejoint aussi nos livres et nos papiers pour photocopie ou imprimante : un très léger ajout de chaux très fine donne au papier des livres (celui-ci même) la granulosité lisse nécessaire pour l’imprimerie rapide d’aujourd’hui.»

N.B. Lue sur une tablette informatique, cette phrase de Daewoo de François Bon rappelle ce qui distingue le «papier des livres» («celui-ci même») du numérique. Entre l’édition (imprimée) de Fayard en 2004 et celle (uniquement numérique) de 2011, quelque chose a bel et bien changé, du rapport à l’objet : pas de chaux pour un iPad.

Champ lexical

L’Oreille tendue préfère le terme autoreprésentation à tous ceux qui composent la pléiade de ceux désignant le retour d’un texte sur lui-même : «auto-référence», «auto-légitimation», «auto-conscience accrue», «métafiction», «auto-théorisation», «autoréflexivité», «métatextualité» (Linda Hutcheon); «pratique auto-réflexive, autonymique, sui-référentielle» (Catherine Kerbrat-Orecchioni); «récit spéculaire» (Lucien Dällenbach); «autotexte» (Lucien Dällenbach); «réduplication structurale» (Janet Paterson); «narcissisme littéraire», «littérature autocentrique», «introversion littéraire», «conscience de soi métafictionnelle», «fiction littéraire auto-structurante» (Linda Hutcheon); «mise en abyme» (André Gide); etc. C’est comme ça.

Les premiers articles de ce dictionnaire se trouvent ici et .

 

Références

Bon, François, Daewoo. Roman, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2004.

Paterson, Janet M., «L’autoreprésentation : formes et discours», Texte, 1, 1982, p. 177-194.

Explication cynégétique du jour

Orignal mort, dans un camion

Soit la phrase suivante, tirée du Charme discret du café filtre d’Amélie Panneton (2011) :

C’est l’automne et c’est la saison des Japonais, un peu comme c’est la saison des orignaux : bien qu’on ne les voie jamais écartelés sur le toit d’un camion, ils deviennent tout de même le point de mire de l’industrie touristique au grand complet (p. 72).

Pour la comprendre, il n’est pas inutile de savoir que les chasseurs québécois aiment bien exhiber sur leur véhicule la carcasse de leurs victimes (ici : un orignal).

On ne sache pas, en effet et en revanche, que ce soit vrai des touristes de l’Empire du Soleil levant, même si les chantres du développement touristique aimeraient que les visiteurs étrangers restent le plus longtemps possible dans la Belle Province.

 

Référence

Panneton, Amélie, le Charme discret du café filtre. Nouvelles, Montréal, Éditions de la Bagnole, coll. «Parking», 2011, 158 p.

Québécasie

François Barcelo, J’haïs le hockey, 2011, couverture

On l’a dit à maintes reprises : le Québec aime les capitales. (Voyez la catégorie du même nom, en bas, à droite.) Encore ce samedi, dans le cahier Vacances voyage de la Presse, en titre : «Lanaudière / Saint-Zénon. La capitale mondiale de la mouchetée» (p. 13). (Il s’agit de truite, bien sûr.)

Il était dès lors prévisible que les romanciers s’emparent de cette obsession provinciale.

Exemple tiré du roman J’haïs le hockey, mi-polar ni-humour noir, de François Barcelo (2011) : «C’en est rendu que Saint-Zéphyrin se qualifie maintenant, sur un grand panneau que vous pouvez voir à l’entrée de la ville, de “capitale québécoise de la cuisine exotique”» (p. 15). Cela s’explique facilement : il y a une forte population «québécasienne» (p. 17) dans cette ville (fictive), en l’occurrence des Vietnamiens ou des enfants de familles dont un des parents est vietnamien.

P.-S. — Le narrateur s’appelle «Vachon» sur la quatrième de couverture et à la p. 6, puis «Groleau» dans le reste du roman. Ça fait désordre.

 

Référence

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 45, 2011, 111 p.