Bref lexique du confinement

Libération, 30 mars 2020, une

(L’Oreille tendue ne prétend à aucune exhaustivité, mais elle compte, à l’occasion, mettre la liste ci-dessous à jour. Merci à Emmanuel Bouchard, à François Dumont, à Nicolas Guay, à Jean-Marie Klinkenberg, à Élise Melançon et à Martine Sonnet pour leurs suggestions. Les ajouts et modifications du 16 avril sont précédés de l’astérisque. Double astérisque pour le 22 avril. Triple astérisque pour le 30 avril 2020. Quadruple astérisque pour le 8 mai 2020. Quintuple astérisque pour le 13 mai 2020. Sextuple astérisque pour le 20 mai 2020. Septuple astérisque pour le 11 juin 2020.)

 

(Par ailleurs, la Presse+ publie une entrevue de l’Oreille sur «Les mots de la COVID-19 : exprimer la pandémie».)

 

Comme tout le monde, l’Oreille tendue vous propose son lexique.

* Aînés (nos ~) — Tiens ! Ils sont plus mal traités qu’on ne le pensait ! Synonyme : Ceux qui ont bâti le Québec.

Angélus de la petite peste — En Europe, on se met à sa fenêtre le soir à 20 h pour applaudir les soignants. Pour le médiéviste Paul Bertrand, c’est «l’Angélus de la petite peste». Voir Anges gardiens et Ça va bien aller.

Anges gardiens — Voir Angélus de la petite peste, Ça va bien aller et Soignants.

******* Angle mort — Là où se terrent les victimes d’oubli. «Dans la foulée de l’achat local dont Le Panier bleu s’est fait le porte-étendard, un angle mort émerge : l’achat local culturel» (le Devoir, 16 mai 2020); «Se prémunir contre les angles morts du futur»» (la Presse+, 23 mai 2020); «Trop longtemps, les CHSLD sont restés dans notre angle mort» (la Presse+, 3 juin 2020); «Les artistes sont dans l’angle mort de la relance» (le Devoir, 3 juin 2020); «Dans l’angle mort du réseau de la santé, les Sœurs de Sainte-Anne crient à l’aide» (la Presse+, 2 juin 2020); «Les angles morts de la pandémie» (le Devoir, 11 juin 2020).

*** Anglicismes hexagonauxClapping (voir Clap clap clap), Cluster, Super spreaderrepérés ici. Voir Néologismes et Tracing.

* Apérozoom — Boire tout seul ensemble, quelle que soit l’heure. On pourrait y consommer un quarantini. Synonymes : Cyberapéro, Apéro virtuel, Beuverie.

Après (d’~) — Demain devra bien être fait de quelque chose, mais de quoi ? Le monde d’après. Le Québec d’après.

****** Après-pic — Attente de la deuxième vague. Voir Pic et Plateau. (source)

***** Assouplissement — Pré-déconfinement à la suisse. (source)

* AsymptomatiqueVade retro Lucifer !

Avant (d’~) — Concept créé après le concept d’après. C’est donc un rétronyme. Le monde d’avant. Le Québec d’avant.

******* Avec — Plus rare que l’avant et que l’après. «Dans “l’avec COVID-19”, mieux vaut investir que soutenir, selon Henri-Paul Rousseau» (le Devoir, 6 juin 2020).

***** Avion — «Construire un avion en plein vol» : voilà ce que seraient en train de faire les autorités sanitaires. Préférer la marche ou le vélo. Voir Bateau.

**** Balcon — Même si on y fait de la musique et si on y danse, s’écrit en en seul mot.

* Balconfinement — Privilège de nanti.

***** Bateau (tous dans le même ~) — Qui prend l’eau. «On est tous ensemble dans le même bateau» (François Legault, 11 mai 2020). Voir Avion.

** Bras — 1. Il en manque toujours. Voir Anges gardiens et Soignants. «On a besoin de bras» (François Legault). 2. Ils continuent à nous en tomber.

Brousse (de ~) — Lieu domestique ou public d’où parlent des personnalités médiatiques, appuyées par une infrastructure institutionelle. Faire de la radio de brousse. Faire de la télévision de brousse.

***** Bulles socialesDéconfinement à la belge : «Chaque foyer doit limiter ses interactions, en dehors du travail, à seulement quatre personnes.» (source) Voir Cluster et Silo.

Ça va bien aller — Prière québécoise quotidienne. Voir Anges gardiens et Angélus de la petite peste.

* Chauve-souris (soupe à la ~) — Contrairement à la vengeance, plat qui se mange chaud. Voir Pangolin.

** Clap, clap, clap — Son de l’Angélus de la petite peste. Synonyme parisien : «Tiens, il est 20 heures.» Synonyme newyorkais : «Must be 7 pm.» Voir Anglicismes hexagonaux.

****** Cluster — 1. Synonymes nombreux en français : foyer épidémique, groupe de personnes touchées, groupe à risque, foyer de contamination, foyer de contagion, foyer d’infection, etc. (source) 2. Familles, je vous hais (à la Gide) : «En Dordogne, c’est un cluster familial “avéré” qui a été identifié, après l’organisation d’obsèques fin avril dans le petit village d’Église-Neuve-de-Vergt, près de Périgueux». (source)

*** Comoronvirus — Virus à venir ? (source)

* Complot (théorie du ~) — Voir Journal de confinement.

Confinement — Là pour rester, la chose comme le mot.

Consignes — Toutes les respecter scrupuleusement, évidemment. (Jusqu’à quand ?)

Contact —Ne s’emploie plus que dans l’expression «Sans contact». Cueillette sans contact. Livraison sans contact.

* Contagion — Film de Steven Soderbergh (2011).

* Contaminé — Plus faible qu’infecté.

Continuité pédagogique — L’expression est surtout hexagonale, mais la chose qu’elle recouvre est universelle. (L’Oreille tendue en a parlé .)

** Corbeaunavirus — Un délateur, c’est un corbeau. En temps de coronavirus, cette espèce particulière vient d’apparaître, annonce le Canard enchaîné. Voir Délation.

** Cordon sanitaire — Risque de se rompre à tout moment.

******* Corona- — Préfixe qui cartonne, comme Covid. En plus de Coronachinois, Coronalecture, Coronards et Coronavirus, Michel Francard a repéré des coronarisettes et autres coronabistouilles : coronabigbang, coronacours, coronanniversaires, coronapéros, coronabdos, coronarisque, coronadistance, coranattidudes, coronasceptique, coronavirussé, coronavirage, coronapiste, coronanisme et coronaboomers.

****** Coronachinois — Insulte raciste québécoise.

*** Coronalecture — Lire seul, mais ensemble — et en ligne.

* Coronards — Voir Covidiots.

*** Coronavirer — Congédier un dirigeant politique. Voir Macronavirus.

* Coronavirus — Personnage de la bande dessinée Astérix et la Transitalique.

*** Coude — 1. Y ranger ses expectorations. 2. Le lever (voir Apérozoom).

Courbe — À aplatir, voire aplatie. Mais pour combien de temps ?

***** Couvre-visage — Cache-sexe montréalais du masque.

Covid — Féminin ou masculin ? Ne consultez pas un médecin, mais France Culture.

******* Covid- — Préfixe qui cartonne, comme Corona. En plus de Covidanxieux, Covidiots et Covidivorce, Michel Francard a vu covidés, covid lover et covid boom. Ajoutons encore la covidéo. (source)

Covidanxieux — Il y a de quoi.

Covidiots — Nombreux.

Covidivorce — Accélérateur non matrimonial.

Décamérer — Écrire sous l’influence du Décaméron; «sortir de sa chambre en restant confiné».

Déconfinement — Où ? Quand ? Comment ?

Décroissance — La chose ne date pas d’aujourd’hui. Sera-t-elle appliquée demain ? Il est de bon ton de le dire.

Délation — Tentation à laquelle tous ne résistent pas. Voir Corbeaunavirus.

Démondialisation — Exporter / importer, ou pas. Synonyme : nationalisme. Voir Local.

* Dépistage — 1. Porteur de mauvaises nouvelles. 2. Porteur de bonnes nouvelles. 3. L’espérer le plus étendu possible. Voir Test.

Distance — 1. Y enseigner (voir Continuité pédagogique). 2. La respecter (voir Mètre).

Distanciation physique — Voir Distanciation sanitaire.

Distanciation sanitaire — Voir Distanciation sociale.

Distanciation sociale — Voir Distanciation spatiale.

Distanciation spatiale — Voir Distanciation physique.

******* DistancielTélétravail qui roule les mécaniques, avec ou sans en. (source)

**** DocilesVocabulaire gouvernemental québécois. Mot employé une première fois le 29 avril 2020, puis banni immédiatement, puis réhabilité le lendemain. À suivre.

** Écouvillon — Coton-tige géant qui vous tire les virus du nez. Voir Pénurie.

*** Encabaner (s’~) — Québécisme ancien, au sens de s’enfermer chez soi, revenu à la mode du jour, confinement oblige. Voir Maison.

** Épicentre — Étymologie récente : viendrait de Épidémie et de Centre. Comme Dieu : partout et nulle part.

**** Étiquette respiratoire — Port du coude et du masque en bonne compagnie.

****** Exemplarité — François Legault doit toujours tousser dans son coude. Les joueurs de foot allemand ne doivent jamais se sauter dans les bras les uns des autres après un beau but.

** Experts — Aussi nombreux que ceux qui rédigent leur Journal de confinement et que les défenseurs du Complot (théorie du ~). Plus nombreux que les épidémiologistes. Voir Raoult (docteur) et Ultracrépidarianisme.

* Farine — Voir Pénurie.

* Fosses communesPlus qu’on ne le pense.

* Frigorifique (camion ~, entrepôt ~) — 1. En attendant mieux. 2. Glaçant.

* Gel — Depuis quelques semaines, Jérôme Garcin ouvre son émission de radio avec la formule «Le masque, le gel et la plume». Ce gel est le gel hydroalcoolique indispensable à un lavage de mains en profondeur. Au Québec, on préfère Purell.

****** Génération COVID-19 — Être désolé d’en faire partie. (source)

Gestes barrières — Voir Continuité pédagogique.

*** Gueule — Siège de la parole, mais pas de la prise de décision.

* GrandSelon l’Agence France-Presse, l’époque rêve de grandeur, majuscules à l’appui : Grand Confinement, Grande Paralysie, Grande Suspension, Grande Suppression, Grande Interruption, Grand Effondrement.

Guerre — Plus facile à dire qu’à mener.

Héros — «C’est pourquoi le narrateur ne se fera pas le chantre trop éloquent de la volonté et d’un héroïsme auquel il n’attache qu’une importance raisonnable» (Albert Camus, la Peste, p. 135).

***** Hibernation humaine — Après le confinement, au lieu du confinement. (source)

**** Horizon — 1. Là où meurent les courbes. 2. Souvent repoussé.

* Immunité collective — 1. Y croire : Suède. 2. Ne plus y croire : Grande-Bretagne. 3. La souhaiter : partout.

Impréparation — Toujours la déplorer.

Imprévoyance — Voir Impréparation.

* Infecté — Plus fort que contaminé.

**** Infodémie — C’est de la faute des chauve-souris, des Chinois, des experts, des joggeurs, de l’OMS (qui utilise le mot), des pangolins, du docteur Raoult, etc. — autrement dit, des autres. Voir Complot.

****** Inquiétude — Palpable dans les médias. (source)

** Joggeur, joggeuse — 1. Confiné(e) dehors. 2. Source d’inquiétude des confinés dedans. 3. En France, ne court qu’à heures fixes.

Journal de confinement — Virus à propagation rapide.

***** Kilomètres (100 ~)Distance physique difficile à mesurer, du moins en France. (source)

* Levure — Voir Pénurie.

***** Ligne (première ~) — Là où on expose les héros.

Local (achat ~) — Manifestation précoce de la démondialisation (voir ce mot) ?

*** Macronavirus — Souche virale repérée à Toulouse. Voir Coronavirer.

Maison — Lieu auquel retourner, parfois en chantant. Voir Encabaner (s’~).

Masque — N’a jamais eu autant de spécialistes depuis le début du XVIIIe siècle.

****** Médaille — Dans le monde de la santé français, moins coûteuse qu’un salaire.

Mélancovid — Rare, mais joli.

Merci de votre compréhension — Remerciement pour une chose faite et demande d’une chose à faire. Dans les deux cas, il s’agit de la même chose. (Voir ici.)

Mètre — 1. Unité de mesure imprécise. Voir Quarantaine. 2. S’explique mieux en images.

***** Montréalophobie — Effet secondaire du coronavirus. (source)

***** Motif — Valve hexagonale de déconfinement géographique (de 1 à 100 km).

Mou (linge ~) — Habit de télétravail (voir ce mot), par exemple le coton ouaté. On voit aussi en mou.

N95 — Ne désigne plus une route.

*** Néologismes — Il y en a une épidémie.

Quelques-uns ont été retenus ici : Apérozoom, Balconfinement, Comoronvirus, Corbeaunavirus, Coronalecture, Coronard, Coronavirer, Covidanxieux, Covidiot, Covidivorce, Décamérer, Déconfinement, Macronavirus, Mélancovid, Quaranthèse, Quarantini, Reconfinement.

Le quotidien le Monde en a proposé toute une collection : Apérues, Cacovirus, Casseroliser, Clap clap’o clock, Conarvirus, Confifi, Confinage, Confination, Confinature, Confinemanche, Confinette, Confinis, Corona boomers, Coronabdos, Coronacircus, Coronapéro, Coronaphonie, Coronials, Covidéprimer, Céconfifi, Émarmailler, Graduvid, Grovid, Homezage, Hypoconfiniaques, Immobésité, Interdi, Lundimanche, Paranovirus, Poubelliser, Punta Canap, Quaranthaine, Skypéro, Solidaritude, Srasaurus-rex, Télédéconnecter, Télépause, Télésaluer, Vodkafone, Vuvuzéliser, Whatsapéro, Whiskype, Zoombar, Zoomer.

Certains, sur les réseaux sociaux, ont fait entendre leur mécontentement devant cette liste; ils n’avaient pas, eux, entendu ces néologismes. L’Oreille, pour sa part, avoue un faible pour S’enconfiner.

******* Normal (nouveau ~) — Pas mieux que l’ancien.

* OMS — 1. Organisation mondiale de la santé. 2. Antéchrist trumpien.

**** Oubli — Symptôme collectif de la covid 19. «D’autres oubliés de la COVID-19.» «Les vrais oubliés de la crise.» «Les agriculteurs, grands oubliés de notre économie.» «Les religieuses oubliées.» «En France, Macron offre de premières réponses aux “oubliés” du secteur culturel.» (source)

* Pandémie — En matière de titraille, synonyme de tsunami.

* Pangolin — 1. Animal de (mauvaise) compagnie. 2. Totem scout. Voir Chauve-souris.

******* Pause (sur ~) — Le Québec l’a été à partir de la mi-mars. Y retournera-t-il ? Voir Vague (deuxième ~).

* Pénurie — Non, pas vraiment.

Peste, la — Succès posthume d’Albert Camus.

* Pic — L’atteindre, si possible une seule fois. Voir Plateau.

**** PistageTracing québécois.

** Plateau — Un plateau peut-il être un pic ? (Merci à Alain Rey pour la distinction.)

***** Postconfinement — Sans confinement ni déconfinement.

* PQ — La chose, pas le parti politique. Voir Pénurie.

* Prenez soin de vous — Voir Continuité pédagogique et Gestes barrières.

******* Présentiel — Non-télétravail, avec ou sans en. (source)

**** Printemps — 1. 2012 : érable. 2. 2020 : misérable. (source)

*** Proche — Au singulier («Laissez-la m’embrasser, c’est une proche»), comme au pluriel («Il est mort sans revoir ses proches»), catégorie sociale précieuse, mais indéfinie.

* PSV — Voir Prenez soin de vous.

* Purell — Voir Gel.

Quarantaine — Unité de mesure temporelle imprécise (14 jours, quarante jours, huit semaines, etc.). Voir Mètre.

*** Quaranthèse — Maladie universitaire.

* Quarantini — Voir Apérozoom.

Radiothéâtre — Forme encore vivante, malgré les apparences.

**** Raoult (docteur ~) — Pas de raout pour celui-là. Voir Experts et Ultracrépidarianisme.

*** Rassemblement — Composé de proches, ou non, en nombre très variable.

* Récession — 1. Déplorer l’économique. 2. Redouter la sociale (Isabelle Hachey).

** Reconfinement — C’est reparti pour un tour, au moins. (Merci à Édouard Trouillez.)

******* Réserviste — 1. Personnel médical disponible au cas où. 2. En guerre, mais pas au front. (source)

Résilient — Le mot l’est.

Respirateur — Voir Impréparation et Imprévoyance.

******* Respirabilité — Qualité recherchée d’un masque. «Épousant parfaitement la forme du visage, le masque filtrant DIV20 offre une étanchéité inégalée et une respirabilité élevée» (publicité, la Presse+, 5 juin 2020).

*** Révolution tranquilleEn redemander.

******* Selfiecovid — Égoportrait avec masque. (source)

Service essentiels — Le sont surtout en période de crise.

***** Seuil — Après, tu meurs; pas avant. Mais à quel âge ?

******* Silo — En Belgique, cellule de (dé)confinement limitée à cinquante personnes; strict entre-soi préventif. Si possible, ne pas en sortir : «Le système en silo est donc privilégié» (la Libre Belgique, 27 mars 2020). Existe en variante familiale : ses «parois sont les murs de la maison» (la Libre Belgique, 16 mars 2020). À vue de nez (masqué), les silos sont proches des bulles. (source) Voir Cluster.

Soignants — Mieux les payer (temporairement). Voir l’interprétation de ce mot que propose la sémiologue Mariette Darrigrand. Voir Anges gardiens.

***** Télédeuil — Puisqu’il existe un travail du deuil, il va de soi qu’il doit exister un télétravail du deuil. «Le télédeuil va certainement être difficile pour notre famille […]» (la Presse+, 8 mai 2020).

******* Télésocial — On pouvait, dans le monde d’avant, faire «du social», autrement dit socialiser. Aujourd’hui, on doit faire du télésocial. (Dans les milieux proches de l’Oreille tendue, on aurait tendance à prononcer social et télésocial à l’anglaise. Ne lui demandez pas pourquoi.)

Télétravail — 1. Faire comme si de rien n’était. 2. Travail devant la télé, en mou.

* Test — 1. Porteur de mauvaises nouvelles. 2. Porteur de bonnes nouvelles. 3. L’espérer le plus étendu possible. Voir Dépistage.

**** TraçageTracing hexagonal.

*** TracingTracking à la belge. Voir Pistage et Traçage.

*** Ultracrépidarianisme — «L’ultracrepidarianisme ou ultracrépidarianisme selon les sources, est le comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a pas de compétence crédible ou démontrée» (Wikipédia). Voir Experts et Raoult (docteur).

** Vaccin — 1. Bien : un jour, on en aura un. 2. Pas bien : «Jésus est mon vaccin» (avec illustration).

**** Vague (deuxième ~) — Suit-elle la première ou en est-elle concomitante ?

****** Visage — 1. Antonyme du coude. 2. Incompatible avec la main.

**** Zoombie — A abusé du télétravail. (source)

 

[Complément du 18 avril 2020]

Sur Twitter, Clément Laberge a fait circuler cette image. L’Oreille rougit de tous ses lobes, et dit merci.

Le lexique du confinement, illustré par Clément Laberge

 

Référence

Camus, Albert, la Peste, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 42, 1972, 308 p. Édition originale : 1947.

Accouplements 151

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

En 2020, on enterre des victimes du coronavirus dans une fosse commune à Hart Island.

New York Post, une du 10 avril 2020

En 2014, un romancier raconte l’arrivée d’un ancien ministre français à la prison de Rikers Island.

À l’horizon, le cimetière pour indigents de Hart Island où des prisonniers viennent creuser des sépultures chaque semaine. Parfois, ils creusent le trou d’un de leurs confrères mort dans une rixe entre deux ethnies quand il n’a laissé ni argent ni famille pour le réclamer (p. 66).

 

Référence

Jauffret, Régis, la Ballade de Rikers Island. Roman, Paris, Seuil, 2014, 425 p.

Le confinement de Catherine Morland

Janes Austen, Northanger Abbey, éd. de 1993, couverture

«Catherine’s disposition was not naturally sedentary, nor had her habits been ever very industrious; but whatever might hitherto have been her defects of that sort, her mother could not but perceive them now to be greatly increased. She could neither sit still, nor employ herself for ten minutes together, walking round the garden and orchard again and again, as if nothing but motion was voluntary; and it seemed as if she could even walk about the house rather than remain fixed for any time in the parlour. Her loss of spirits was a yet greater alteration. In her rambling and her idleness she might only be a caricature of herself; but in her silence and sadness she was the very reverse of all that she had been before.»

Janes Austen, Northanger Abbey, Wordsworth, coll. «Wordsworth Classics», 1993, xii/168 p., p. 157. Introduction d’Anne Rowe. Édition originale : 1818.

Le Québec de François Legault en trois dates

École de rang de la région de Granby (début XXe siècle)

Le 11 décembre 2019, le premier ministre du Québec, François Legault, rend visite au gouverneur de la Californie, Gavin Newsom. «Vous êtes catholique, n’est-ce pas ? Moi aussi. Tous les Canadiens français le sont», déclare-t-il alors. Ce portrait ethnicoreligieux ne correspond pas à celui du Québec d’aujourd’hui, pour le dire avec retenue.

Le 24 mars 2020, durant sa conférence de presse quotidienne au sujet de la pandémie, s’agissant des enfants de parents séparés, le premier ministre a affirmé ceci : «Le parent qui est le plus sévère, c’est peut-être celui qui devrait garder les enfants. Il faut que, idéalement, l’enfant reste avec le même parent.» Les spécialistes du droit de la famille, pour ne parler que d’eux, ont mal réagi à ces propos témoignant d’une conception datée des relations familiales.

Hier, le 10 avril, François Legault, contre toute attente, a évoqué la possibilité que les écoles et les services de garde de la province rouvrent avant la date prévue du 4 mai. Cela a semé la consternation chez beaucoup. Il y a dans cette annonce le modèle implicite de l’école de quartier ou de village, celle à laquelle on se rend à pied; dans pareils cas, les risques de contamination seraient peut-être moins grands qu’ailleurs (encore que cela reste à démontrer). Or quiconque a pris le métro à Montréal en début de matinée et en après-midi sait que ce modèle de l’école de proximité n’a plus cours : les enfants et adolescents sont partout. Faut-il le rappeler ? C’est à Montréal que la crise sanitaire actuelle frappe le plus durement.

Il y a, dans certaines prises de position publiques du premier ministre, l’image d’un Québec révolu.

 

Illustration : Wikipédia

(Re)lire la Peste

Albert Camus, la Peste, édition de 1972, couverture

L’avait-elle lu ? L’Oreille tendue n’était pas sûre d’avoir lu au complet la Peste, le roman d’Albert Camus paru en 1947. Elle se souvenait clairement d’une des premières scènes : «Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier» (p. 14). Elle revoyait aussi des dialogues pompeusement philosophiques entre les personnages. Rien d’autre.

Elle s’y est donc (re)mise.

Ce qui frappe, dans le roman, c’est d’abord le dispositif narratif. L’histoire est racontée, à la troisième personne, par quelqu’un se désignant par l’expression «le narrateur». Ce narrateur, en apparence détaché de son récit, propose une «chronique» ou une «relation» de la peste qui a touché Oran en une année indéterminée du XXe siècle. Il tend «à l’objectivité» (p. 181), lui qui souhaite être «l’historien des cœurs déchirés et exigeants» de ses «concitoyens» (p. 135). À l’occasion, quand il n’a pas été témoin de quelque chose qu’il veut décrire, il s’appuie sur les «carnets» d’un autre personnage, Tarrou, qu’il résume, cite et commente. On ne connaîtra finalement son identité que dans les dernières pages.

Le cynisme de ce narrateur n’est pas moins déroutant. Vous vous attendiez à un texte édifiant ? Que nenni. Le portrait d’Oran est caustique, dès l’ouverture : «La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide» (p. 9). Une crise sanitaire sans précédent la secoue, mais «l’administration respectait les convenances» en matière de fosses communes (p. 177), les journalistes jouent aux prophètes (p. 220) et les marchands s’enrichissent (p. 233).

Des milliers de personnes meurent et le roman raconte, entre autres choses, comment des médecins luttent contre l’épidémie. Camus, sur ce plan, a fait un autre choix étonnant : aucun personnage n’est là pour incarner l’empathie, pour que le lecteur s’identifie à quelque héros (le narrateur en a explicitement, et à plusieurs reprises, contre l’héroïsme, par exemple p. 134-135). Sauf rarissimes exceptions, Rieux reste froid, Grand est ridicule, Cottard choque par sa cupidité. Seuls le médecin Castel, mais c’est un personnage anecdotique, et le journaliste Rambert, à un moment de l’intrigue (p. 208-209), paraissent obéir à des idéaux plus grands qu’eux.

L’Oreille se souvenait d’interminables tartines; il y en a, la pire étant un long monologue de Tarrou (p. 244-252). En revanche, il y a aussi des morceaux de bravoure, l’agonie d’un enfant (p. 212-216), un bain de mer dans Oran endormie (p. 254-255) ou l’autodafé d’un manuscrit (p. 260-261).

Lire la Peste aujourd’hui, en pleine pandémie planétaire, a évidemment des résonances inattendues. Quand le narrateur parle de la quarantaine, de la fermeture de sa ville, de la rapidité de la propagation de la maladie mortelle, des comportements des habitants ou de la «séparation» qui est leur nouvelle condition (p. 181, p. 295-296), on croirait entendre les médias contemporains. On peut extraire des phrases du roman et les appliquer à la situation actuelle : «Cet été-là, […] le corps n’avait plus droit à ses joies» (p. 116); «“Il y a toujours plus prisonnier que moi” était la phrase qui résumait alors le seul espoir possible» (p. 171); «il faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d’un autre et à lui coller l’infection» (p. 251); «mais qu’appelez-vous le retour à une vie normale ?» (p. 278)

Le romancier est là pour nous faire entendre différemment le monde.

 

Référence

Camus, Albert, la Peste, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 42, 1972, 308 p. Édition originale : 1947.