Mémoires richardiennes de Montréal

En masse, «Vibrante Montréal», 2022, murale, MEM — Centre des mémoires montréalaises, détail

Maurice Richard est le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur lui (voir ici).

Le visage de Richard orne plusieurs murs de Montréal : sur un restaurant, rue Ontario Est, et à l’intérieur d’un café-friperie, boulevard Saint-Laurent (); sur un immeuble de la rue Fleury, au siège social montréalais de la banque TD et dans l’enceinte de l’ancien Forum de Montréal (de ce côté-ci); dans deux hôtels montréalais (de ce côté-là).

Le MEM — Centre des mémoires montréalaises, le ci-devant Centre d’histoire de Montréal, accueille dorénavant ses visiteurs avec une murale du collectif En masse, «Vibrante Montréal» (2022). Au centre, en haut, on y voit Richard.

S’agissant de sport, il est entouré d’une enseigne du Forum, du logo des Canadiens, du stade olympique et du portrait d’un célèbre homme fort du Québec, Louis Cyr. Ce voisinage n’est pas étonnant. Dans une pièce de théâtre de 1976, Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain a en effet fait se rencontrer les deux hommes, même si c’est impossible : Cyr est mort en 1912, neuf ans avant la naissance de Richard.

Cette «grande gigue épique» en huit tableaux et deux épilogues fait dialoguer Berthelot Petitboire et Épisode Surprenant, comédiens ambulants dont les spécialités sont les «Sketches d’hiver» et les «Tableaux d’histoire du pays». De la Nouvelle-France au Québec des années 1950, ils rejouent des événements de l’histoire nationale. Les deux derniers tableaux et le deuxième épilogue font se côtoyer le célèbre hockeyeur et le non moins célèbre homme fort.

Le dramaturge fait d’abord discourir Louis Cyr sur sa propre difficulté à s’assumer en tant que légende vivante (septième tableau). Il fait ensuite entendre l’enregistrement d’une entrevue de Maurice Richard avec le commentateur Michel Normandin, puis monologuer un Richard furieux à cause de son double statut, de dieu lorsqu’il est sur la glace et d’«arriéré» dès qu’il la quitte (huitième tableau). Il organise finalement la rencontre des deux légendes nationales que sont Cyr et Richard (deuxième épilogue). Cyr se voit obligé de rassurer Richard sur sa valeur et de lui expliquer sa place dans l’imaginaire québécois. À une remarque de son interlocuteur — «Chus même pas sûr d’êtte encore un souvnir !» —, Cyr répond :

Toué un souvnir ? Même si tu voulais vieillir tranquille, ben au chaud dans les pages jaunies d’un album de vieilles photos pis d’découpures de presse… t’es pas un souvnir pis t’en seras jamais un !… T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !

Maurice Richard n’aurait pas de raison d’être inquiet en ce qui concerne l’Histoire : sa nature de mythe lui permettrait de s’éterniser dans un présent immobile («çé là astheure pour tout ltemps !»). Louis Cyr, lui, pourrait disparaître; de fait, c’était assez largement le cas avant que Paul Ohl ne lui consacre un livre en 2005. Maurice Richard n’est jamais disparu et il ne pourra pas disparaître.

Les murs de Montréal ne cessent de le répéter.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ohl, Paul, Louis Cyr, une épopée légendaire, Montréal, Libre expression, 2005, 632 p. Ill.

Benoît Melançon, les Yeux de Maurice Richard, éd. de 2012, couverture

Rouler à Montréal

David Montrose, The Body on Mount Royal, éd. de 2016, couverture

On dit parfois que la chaussée montréalaise laisse à désirer. Ce n’est pas d’hier, comme l’atteste ce passage du roman The Body on Mount Royal :

Five feet from the Morris, I took off the sod and landed behind the wheel. They were pounding behind me. The Morris started like a charm and I zoomed away before they could even get a hand on it. I gunned it in low, shifted up and gunned again, and was shifting into high when I hit the deepest pothole in the Province of Quebec. It jarred my teeth. I was afraid a spring had gone, but the Morris travelled on (p. 153).

Sur la rue Décarie, le narrateur croit que sa petite voiture, une Morris, va lui permettre de semer les vilains qui le poursuivent. Ce ne sera pas le cas : «le nid-de-poule le plus profond du Québec» aura raison d’elle.

Ce polar date de 1953.

 

Référence

Montrose, David, The Body on Mount Royal, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2016, 237 p. Édition originale : 1953. Introduction de Kevin Burton Smith. David Montrose est le pseudonyme de Charles Ross Graham.

Maurice Richard dans le journal

Chaussettes à l’image de Maurice Richard

Depuis bientôt trente ans, l’Oreille tendue s’intéresse aux discours entourant Maurice Richard, le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. (Voir ici.)

Plus de deux décennies après sa mort, elle est toujours frappée par la présence de Richard dans l’espace public. Le plus récent exemple ? La Presse+ du 25 février 2024.

Sous le titre «Quels sont les trois athlètes (morts ou vivants) avec qui vous aimeriez passer une soirée ?», deux des journalistes du quotidien évoquent le Rocket.

Simon-Olivier Lorange : «Maurice Richard et Mario Lemieux, assurément. Personne n’incarne davantage pour moi l’idée d’un héros. Le premier pour ses accomplissements et tout ce qu’il incarne pour le Québec francophone, évidemment. Et le deuxième parce qu’il a été, tout simplement, le meilleur joueur de l’histoire de la LNH. Je suis navré pour ceux qui pensent le contraire, on ne s’entendra pas.»

Jean-François Tremblay : «Au Québec, peu de personnages me fascinent autant que le Rocket, pour tout ce qu’il a représenté malgré lui. Les années l’ont érigé à un statut presque mythique, on parle de ses exploits comme de ceux du bûcheron Jos Montferrand, du soldat Léo Major ou de l’homme fort Louis Cyr. Ce serait un délice d’entendre les vraies histoires de sa voix.»

«Héros» ou «mythe», cela se discute (l’Oreille a écrit un livre là-dessus), mais l’importance de Richard au Canada est indéniable. S’agissant de Mario Lemieux comme «meilleur joueur de l’histoire de la LNH», cela va de soi, bien sûr.

Chantal Guy, pour sa part, publie un entretien avec Ann-Renée Desbiens, «La grande muraille de Charlevoix». Le numéro 9 y apparaît deux fois.

Qui sont «les trois joueuses ou joueurs» que Desbiens aimerait «réunir autour d’une table» ? «J’aimerais voir les différences entre les années. J’irais avec des Québécois : Maurice Richard, Danielle Goyette et Marie-Philip Poulin.» Comme Jean-François Tremblay, la cerbère de la nouvelle équipe de hockey féminin de Montréal rappelle combien la comparaison est un procédé récurrent dans le processus de mythification.

Chantal Guy contribue, involontairement, à ce processus de mythification  : «Quand Ann-Renée Desbiens m’explique les obstacles qui ont toujours miné le parcours des hockeyeuses au pays, je ne peux m’empêcher de penser à Maurice Richard, qui avait une job le jour et jouait au hockey le soir.» Cette affirmation est approximative : sauf peut-être au tout début de sa carrière professionnelle, Maurice Richard n’a pas occupé d’emploi le jour pour ensuite jouer au hockey le soir. Il est vrai, en revanche, qu’il a souvent occupé un emploi l’été, une fois que sa saison était terminée.

On ne prête qu’aux riches.

Robert et Maurice

The Standard Magazine, 9 février 1946, couverture de Robert LaPalme

Il arrive à l’Oreille tendue de se poser des questions existentielles. Exemple : l’artiste québécois Robert LaPalme a-t-il déjà dessiné Maurice Richard ? Après tout, ils sont contemporains : le premier est né en 1908, le second en 1921; LaPalme est mort en 1997, Richard en 2000.

Aucun des ouvrages sur LaPalme consultés par l’Oreille ne contenait de représentations de Richard (voir ci-dessous). Quelle ne fut pas sa joie quand, sur Mastodon, Vincent Giard a reproduit la couverture du Standard Magazine du 9 février 1946. Quel joueur de hockey portait le numéro 9 en 1946 à Montréal ? Richard, bien sûr. Dans la même équipe que Richard, en bleu, à l’arrière-plan, on voit un joueur portant le numéro 4; en 1945-1946, Léo Lamoureux avait ce numéro.

Joie redoublée dans le magnifique Picturing the Game. An Illustrated Story of Hockey de Don Weekes : on y trouve l’illustration de 1946 («hockey had rarely ever been interpreted in such a mesmerizing chaos», p. 208) et une caricature du 17 mars 1955, en lien avec ce qui deviendra l’Émeute Maurice-Richard, «La rançon de la gloire», parue dans le Devoir du 17 mars 1955 (p. 4; reproduite p. 188).

Robert LaPalme, «La rançon de la gloire», caricature, le Devoir, 17 mars 1955, p. 4

S’il est vrai que LaPalme s’est peu intéressé au hockey (p. 206), il a au moins laissé ces deux œuvres (en plus de «La gloire», une caricature d’un joueur non identifié des Canadiens dans le Devoir du 20 avril 1957, p. 4).

Voilà une question résolue.

P.-S.—Nouvelle question : en rouge, sur la couverture du Standard Magazine, l’adversaire de Richard est le numéro 12 — de qui s’agit-il ?

 

[Complément du jour]

Sur Twitter, Jean-Patrice Martel offre la réponse suivante à la question finale de l’Oreille : «Si l’image correspond à la saison 1945/46 et que l’équipe en bleu représente les Maple Leafs, alors le numéro 12 serait Ted “Teeder” Kennedy (la saison précédente, ce serait plutôt Ross Johnstone — Kennedy a joué 14 saisons pour Toronto mais n’a porté le 12 qu’une seule saison).» Merci.

 

Références

Motobiographie ou le Joyeux Testament de La Palme. Entretien avec Alain Stanké suivi de Ma vie de chien avec Lambert Closse. Une fantaisie historique de Robert La Palme, Montréal, Stanké, 1997, 210 p. Ill. Préface de Jean-Pierre Pilon.

Nadeau, Jean-François, LaPalme. La caricature et autres sujets sérieux, Montréal, L’Hexagone, coll. «Entretiens», 4, 1997, 151 p. Ill.

Weekes, Don, Picturing the Game. An Illustrated Story of Hockey, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2023, xviii/390 p. Ill.

Murs richardiens

Maurice Richard est le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur lui (voir ici).

Le visage de Richard orne plusieurs murs de Montréal, publics et privés.

Ajoutons deux nouvelles pièces à cette petite collection montréalaise.

Sur les murs d’un restaurant, rue Ontario Est, à côté de Guy Lafleur.

Mur du restaurant Zapiroz, 3445, rue Ontario Est, Montréal

À l’intérieur d’un café-friperie, boulevard Saint-Laurent.

Mur du café-friperie Eva B., 2015, boul. Saint-Laurent, Montréal

C’est ainsi que les mythes vivent.