Modérer ou ménager ?

Philipe Vyvial, «Ménage tes transports», 1987, disque 45 tours

Dans une aventure antérieure, nous avons croisé l’expression modérer ses transports.

On la trouvait au XVIIIe siècle, par exemple sous la plume de madame de Villeneuve («le père, plus prudent, les pria de modérer leurs transports», la Belle et la Bête, p. 24) et de Chamfort («Modérez vos transports», Mustapha et Zéangir, p. 240).

Dans le français de référence, elle paraît assez peu utilisée aujourd’hui. En revanche, elle paraît encore assez commune dans le français populaire du Québec.

En 1987, la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal (STCUM) proposait une variation sur le même thème : «Ménage tes transports», chanson de Philipe Vyvial.

 

 

P.-S.—Merci à Alexandre Sheldon pour le lien.

 

Références

Chamfort, Mustapha et Zéangir, dans Théâtre de Chamfort, édition présentée par Martial Poirson, établie, annotée et commentée par Martial Poirson et Jacqueline Razgonnikoff, Beaulieu, Lampsaque, coll. «Le Studiolo théâtre», 2009, p. 168-321 et 361-365, II, 4, p. 240. Édition originale : 1776.

Madame de Villeneuve, la Belle et la Bête, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 5068, 2010, 141 p. Édition établie et présentée par Martine Reid. Édition originale : 1740.

N’exagérons rien

Dans le français populaire du Québec, on trouve des conseils. «Pousse, mais pousse égal», par exemple, suppose une forme d’exagération, mais limitée : «Mets-en, mais pas trop.»

Cela peut même s’appliquer dans le domaine agricole. Des exemples ?

«Pousse mais pousse local», suggère W communication pour l’Union des producteurs agricoles du Québec.

«Pousse mais pousse local. -Réalisé au Québec pour l'Union des Producteurs Agricoles», t-shirtr

«Pouce vert mais pousse égal», chante Québec Redneck Bluegrass Project (p. 67).

Vive la culture !

P.-S.—Les cinéphiles, façon de parler, se souviendront du film Pousse mais pousse égal (1975), de Denis Héroux.

 

Référence

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

9 œuvres pour le numéro 9

Murale de Maurice Richard, rue Fleury, Montréal, 27 novembre 2024

Il peut arriver — à l’occasion — que l’Oreille tendue s’intéresse à Maurice Richard, le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Pour commémorer le 25e anniversaire de la mort du Rocket, elle vous propose ci-dessous neuf œuvres le concernant et particulièrement dignes d’intérêt.

Roman

Deux romans des années 1950 font une place particulière à l’émeute du 17 mars 1955 au Forum de Montréal, à la suite de la suspension de Richard par le président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell. En 1956, Eugène Cloutier, dans les Inutiles, dit du joueur des Canadiens qu’il est un «mythe» (p. 196). Trois ans plus tard, Pierre Gélinas (les Vivants, les morts et les autres) décrit l’émeute comme s’il s’agissait d’une guerre. Une place dans la mythologie québécoise est déjà faite à Richard, alors qu’il n’a pas encore prise sa retraite.

Théâtre

En 1976, dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain imagine le dialogue entre Louis Cyr (mort en 1912) et Maurice Richard (né en 1921). Cyr a parfaitement compris ce que Richard va représenter : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» (p. 136)

Journalisme

Louis Chantigny était à la fois un journaliste sportif et un amateur de littérature. Le style ronflant ne lui faisait pas peur. Voyez «Une fin tragique pour le Rocket», dans Le Petit Journal, en 1959. Richard devient un personnage de la mythologie grecque et il est comparé à… Icare ! «Il est des hommes sur lesquels pèse dès leur naissance la malédiction de la grandeur…»

Poésie

«Homage to Ree-shard», le meilleur poème sur Maurice Richard, a paru, en anglais, en 1976. On y trouve, sous la plume d’Al Purdy, cet étonnant vers : «[he] made Quebec Canadian» (p. 39). Le Numéro 9 est évidemment un mythe québécois; il est aussi un héros canadien.

Chanson

Quelle chanson sur Le Rocket choisir ? La première, celle de Jeanne d’Arc Charlebois en 1951 ? La plus célèbre, celle de Pierre Létourneau, en 1970 ? Allons-y avec «Rocket Rock and Roll» de Denise Filiatrault (1957) et ces magnifiques rimes : «Monsieur l’placier, quel bonheur / J’ai retrouvé mon ticket / Il était là sur mon cœur / Je vais voir mon Rocket.»

Roman pour la jeunesse

La littérature pour la jeunesse, depuis des décennies, a voulu faire de Maurice Richard un modèle à imiter. François Gravel a plutôt choisi la voie du mystère, voire du fantastique. Son roman le Match des étoiles (1996) est un des textes les plus fins sur Richard, qui en signe la préface.

Peinture

En 1990, la Presse organise une rencontre entre le Rocket et Jean-Paul Riopelle. Le peintre met alors la touche finale à «Hommage à Maurice Richard». Des patins, une rondelle, des bâtons, une raquette, des mains : Riopelle représente l’esprit de Richard comme il ne l’avait jamais été, dans une œuvre en bleu, blanc et… rose.

Cinéma

Animation, fiction, documentaire : tous les genres cinématographiques ont été utilisés pour représenter Maurice Richard. Histoires d’hiver, réalisé par François Bouvier en 1998, rappelle combien l’image du plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal est, au Québec, une affaire de famille : «Heye, Mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

Des années 1940 à aujourd’hui, la culture québécoise n’a jamais fini de raconter cette histoire.

 

Références

Chantigny, Louis, «Une fin tragique pour le Rocket», le Petit Journal, du 18 octobre au 25 octobre 1959, p. 132.

Cloutier, Eugène, les Inutiles, Montréal, Cercle du livre de France, 1956, 202 p.

Gélinas, Pierre, les Vivants, les morts et les autres, Montréal, Cercle du livre de France, 1959, 314 p. Rééd. : Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2010, 324 p. Préface de Jacques Pelletier.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Purdy, Al, «Homage to Ree-shard», dans Sundance at Dusk, Toronto, McClelland and Stewart, 1976, p. 36-39.

Accouplements 262

Filet de hockey

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Loco Locass, «Le but», 2009

L’arrêt de Roy, rebond
Butch Bouchard à Savard vers Béliveau
Qui esquive un joueur
Passe à Lafleur, Lafleur accélère, remet au Rocket Richard
Deux hommes sur le dos rien de trop gros

[Commentateur]
C’est le but !

Jérôme Charlebois, avec Annie Roy et la participation de Pierre Houde, «On va jouer au hockey», Petits mots pour grands enfants, 2023

[Pierre Houde]
C’est Guy Lafleur dans son territoire
Lafleur qui aperçoit Maurice Richard
Lui refile le disque
À Jean Béliveau maintenant
Béliveau vers Marie-Philip Poulin
Ô superbe passe vers Cole Caufield
Qui s’échappe seul devant l’gardien
Le tir et le buuuuuuuuuuuuuut

Bons résultats de l’Oreille tendue

Jérôme 50, Anarcolique, 2025, pochette

Jérôme 50 est chanteur et linguiste. Il vient de lancer l’album Anarcolique, sur lequel on trouve une (bien puérile) «Ode à l’Église». Cette chanson est un chapelet — c’est le cas de dire — de sacres et d’injures du Québec, largement inspirés du vocabulaire liturgique.

L’Oreille tendue avait déjà repéré, pour sa rubique «Jurons», presque tout ce que chante Jérôme 50 : «(saint) ciboire», «sacrament», «câlisse», «crisse», «tabarnak», «enfant d’chienne», «bout d’viarge», «(saint) baptême», «sacrifice», «simonaque», «esti»

Il ne lui manque que «doux Jésus» et «pisse bénite». Elle devrait s’en remettre.

P.-S.—Signalons encore la présence de «marde», y compris dans sa variante «marde de pape», de «fourrer», de «faique» et de «twits».