Carences de l’Oreille

Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, 2022, couverture

L’Oreille tendue n’est douée ni pour la calligraphie ni pour le dessin. Demandez-lui de vous écrire un mot ou d’illustrer quelque chose et le résultat est assuré : un barbeau / barbot. Définition d’Usito : «Tache d’encre sur du papier; dessin, caractère d’écriture maladroit, confus ou informe.»

On trouve au Québec les deux graphies.

«Un barbot ! Saloperie !» (De Saint-Denys Garneau, Lettres, à François Rinfret, 23 juin 1932, p. 245)

«Chaque fois que j’écris me revient ce jeu auquel ma mère s’adonnait parfois avec moi. Elle dessinait d’abord sur une feuille des lignes tortueuses et torturées. Des barbeaux têtus et obscurs» (Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, p. 165).

C’est comme ça.

 

Références

De Saint-Denys Garneau, Lettres, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Bibliothèque du Nouveau Monde», 2020, 918 p. Édition préparée, présentée et annotée par Michel Biron.

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Marie-Hélène Voyer

Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, 2022, couverture

 

«haut-le-cœur gorge nouée relents de revenantes avaler comptines et couleuvres» (p. 63)

 

«fourrageais ma tête de tes doigts inquiets
tu y cherchais des lentes des tiques des puces
des idées de mauvais fille
forcément» (p. 107)

 

Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Du camp(e)

Joseph-Charles Taché, Forestiers et voyageurs, éd. de 2014, couverture

En 1863, Joseph-Charles Taché publie, dans les Soirées canadiennes, Forestiers et voyageurs. Études de mœurs. Le texte sera repris en livre en 1884.

Dans une note du premier chapitre, «La montée aux chantiers», il écrit ceci : «On appelle camp (le p se prononce ici), dans le langage des forestiers et des voyageurs canadiens, l’habitation, toujours plus ou moins temporaire, qu’on élève dans le bois. La signification s’étend aussi aux dépendances du logement, s’il en existe, et, par extension figurée, au personnel qui l’habite» (éd. de 2014, p. 26 n. 3). Le chapitre suivant, «Le camp d’un chantier», est consacré à la description d’un de ces camps.

Le dictionnaire numérique Usito donne une définition semblable : «Habitation rustique, traditionnellement en bois rond, construite en forêt et aménagée sommairement.» Cet aménagement sommaire rapproche le camp de la cabane et le distingue du chalet. Rien n’est dit de la prononciation du mot.

Ni Taché ni Usito n’indique que l’emploi de camp, prononcé campe, paraît plus fréquent dans les régions du Québec qu’à Montréal.

Exemple rimouskois : un poème de Marie-Hélène Voyer dans Expo habitat (2018) s’intitule «Le campe» (p. 19).

Exemples saguenéens :

«Le chalet est modeste. C’est un campe — le mot convient mieux — d’environ seize pieds par vingt, peut-être moins. Il y a une chambre à coucher et une pièce qui sert de cuisine, aménagée autour du poêle à bois, avec un coin salon. Pas d’électricité. Pas d’eau courante. Pas de toilettes non plus. Pour les besoins, c’est dehors. Pour l’eau, c’est dans la rivière en hiver ou la source en été. Pour l’éclairage, les chandelles. […] Bref, un chalet dont les murs ne sont pas isolés. Idéal sur trois saisons mais pas habitable en hiver» (Mon frère Paul, p. 128);

«La police voulait pas que les jeunes construisent des campes dans le bois, mais tout le monde s’en sacrait. Impossible de marcher plus qu’une heure dans le bois sans tomber sur un campe. Tous les flots de Chicoutimi pis de Chicoutimi-Nord s’en bâtissaient un pour passer leurs fins de semaine dedans. C’était comme les chalets de nos parents sur les monts Valin mais en plus le fun pis en moins beau. Les parents pis la police aimaient pas ça, ces histoires de campes là. Y avait rien de bon pour les jeunes dans ces places-là. C’était rien que de la boisson, de la drogue pis du sexe» (la Déesse des mouches à feu, p. 67).

À votre service.

P.-S.—Vous croyez reconnaître le Kramer de la série télévisée Seinfeld sur la couverture ci-dessus ? Le fils cadet de l’Oreille tendue est d’accord avec vous.

 

Références

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Taché, Joseph-Charles, Forestiers et voyageurs. Mœurs et légendes canadiennes, texte conforme à l’édition de 1884, avec une postface, une chronologie et une bibliographie de Michel Biron, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact classique», 137, 2014, 267 p. Édition originale : 2002.

Villeneuve, Marité, Mon frère Paul. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 382 p.

Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p.

Ceci n’est pas une poupée

Marie-Hélène Voyer, Mouron des champs, 2022, couverture

À catin, dans le Petit Robert (édition numérique de 2018), on lit ceci : «(1732) RÉGION. (Normandie, Centre; Canada [critiqué]) Poupée. “leurs catins de cire avec de belles robes de bal sur le dos” (G. Roy).»

Il a beau être «critiqué», le mot se trouve donc chez Gabrielle Roy,  mais aussi chez Michael Delisle (Dée, p. 19), Samuel Archibald (Arvida, p. 77) et Maxime Raymond Bock (Morel, p. 70), pour ne prendre que ces exemples.

Dans Mouron des champs (2022), le magnifique et dur recueil de poésie que vient de faire paraître Marie-Hélène Voyer, catin apparaît trois fois (p. 68, p. 93, p. 109).

La grand-mère paternelle de l’Oreille tendue n’employait que ce mot.

P.-S.—Le mot désigne aussi, note le dictionnaire numérique Usito, un «Pansement entourant un doigt malade».

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Delisle, Michael, Dée, Montréal, BQ, 2007, 128 p. Édition originale : 2002.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.