La clinique des phrases (ff)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, tirée d’un quotidien montréalais :

Considérant la valeur de la liberté d’expression, le pouvoir public ne peut guère aller plus loin, sur le plan de la régulation du marché des idées, que d’interdire les discours haineux et de favoriser la diversité des voix ou soutenant les institutions du savoir, les médias et les arts.

Que faire de ce bien bizarre «ou soutenant» ?

De deux choses l’une.

Remplacer le «ou» :

Considérant la valeur de la liberté d’expression, le pouvoir public ne peut guère aller plus loin, sur le plan de la régulation du marché des idées, que d’interdire les discours haineux et de favoriser la diversité des voix en soutenant les institutions du savoir, les médias et les arts.

Remplacer le «ou soutenant» et enlever un «et» :

Considérant la valeur de la liberté d’expression, le pouvoir public ne peut guère aller plus loin, sur le plan de la régulation du marché des idées, que d’interdire les discours haineux, de favoriser la diversité des voix et de soutenir les institutions du savoir, les médias et les arts.

À votre service.

P.-S.—En prime, l’auteur a recours à cette plaie de la langue contemporaine : «posture».

Les Lumières du Devoir

T-shirt voltairien. T-shirt lancé par la Mercerie Roger en janvier 2015

En première page du Devoir du jour, on peut lire ceci, dans une entrevue de Normand Baillargeon :

Le recueil de 268 pages rappelle de façon lancinante que la liberté d’expression craque de partout. «Je suis en désaccord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire», a déclaré Voltaire. Trois siècles plus tard, le droit de parole est loin de l’idéal des Lumières.

Le problème est que Voltaire n’a jamais dit cela; il s’agit d’une phrase écrite en 1906 par une de ses biographes, Evelyn Beatrice Hall (voir ici, par exemple).

Alerté, le quotidien montréalais a corrigé la version du texte sur son site Web :

Le recueil de 268 pages rappelle de façon lancinante que la liberté d’expression craque de partout. «Je suis en désaccord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire», dit une citation souvent faussement attribuée à Voltaire. Trois siècles plus tard, le droit de parole est loin de l’idéal des Lumières.

Merci, le Devoir.

En page B8, sous la plume d’Odile Tremblay, on trouve la phrase suivante :

L’histoire évolue quand même en la matière… Au Moyen Âge et à la Renaissance, dit-on, de tels pillages faisaient partie des mœurs courantes. Au XVIIIe siècle, Diderot dénonçait le plagiat comme un délit très grave, en s’appuyant sur la notion récente de droit d’auteur. Depuis, la propriété intellectuelle a beau se voir réglementée ici et ailleurs, c’est au plaignant de prouver le bien-fondé de sa cause.

L’Oreille tendue, qui connaît pourtant un certain nombre de choses sur Diderot, est pour le moins étonnée de cette phrase.

D’une part, il est vrai que le nom de Diderot a été associé au plagiat, mais c’est parce qu’il a lui-même été accusé, par Fréron, d’avoir plagié Goldoni. Diderot a longuement répondu à ces accusations dans le dixième chapitre, «De la tragédie et du plan de la comédie», de son Discours de la poésie dramatique (1758), mais sans se référer au droit d’auteur.

D’autre part, si tant est que Diderot ait effectivement «dénoncé le plagiat», il resterait à démontrer qu’il s’appuyait «sur la notion récente de droit d’auteur». Or, sur ce plan-là, les choses sont bien complexes. Prenons deux exemples. Dans sa «Lettre historique et politique adressée à un magistrat sur le commerce de la librairie, son état ancien et actuel, ses règlements, ses privilèges, les permissions tacites, les censeurs, les colporteurs, le passage des ponts et autres objets relatifs à la police littéraire» (1763), Diderot ne défend pas une conception nouvelle du droit d’auteur, bien au contraire. Cette nouvelle conception du droit d’auteur a surtout été promue par Beaumarchais, à partir de 1777, mais Diderot, qui mourra en 1784, a refusé de se joindre à lui en cette matière.

Bref, «Diderot», «le plagiat» et la «notion récente de droit d’auteur», ça ne peut guère tenir en une phrase.

Dure journée pour les Lumières au Devoir.

P.-S.—Pendant que nous y sommes… Dans l’article qui jouxte celui d’Odile Tremblay, «Les journalistes syndiqués de La Presse ratifient l’entente de principe», il est question d’une «missive de lundi» de Pierre-Elliott Levasseur. Or cette «missive» date de samedi, pas de lundi.

 

Illustration : T-shirt lancé par la Mercerie Roger en janvier 2015, au moment des attentats contre Charlie hebdo.

La clinique des phrases (ee)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit un «Rectificatif» :

Le père du maestro Yannick Nézet-Séguin n’est pas comptable de profession, comme nous l’avons écrit le 29 décembre dernier dans la chronique de Lysiane Gagnon «Toujours plus haut».

Rendons à César ce qui est à César :

Le père du maestro Yannick Nézet-Séguin n’est pas comptable de profession, comme Lysiane Gagnon l’a écrit le 29 décembre dernier dans sa chronique «Toujours plus haut».

À votre service.

P.-S.—Ça paraît compliqué les rectificatifs dans la presse québécoise.

La clinique des phrases (aa)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit deux phrases de la Presse+ :

«M. Beaudet cherche toujours à conclure des contrats de gestion. Il regarde maintenant du côté de Québec, où le nombre de clubs de golf par personne y est plus bas que dans la région de Montréal.»

«Là-bas, elle y reçoit les traitements nécessaires afin de terminer sa rééducation.»

Soit deux tweets :

«Connaissez-vous notre Espace documentaire ? C’est un endroit où vous y trouverez diverses informations intéressantes et importantes sur nos projets.»

«Greg’s Story, est un film où on y raconte l’histoire de Greg Price mort à 31 ans d’un cancer des testicules après d’interminables délais administratifs.»

Soit un passage d’un texte savant :

«Il s’agit bien de mener un combat, là où précisément le terrain y est à la fois et le moins favorable et le plus efficace par sa capacité de mobilisation d’un public extrêmement large.»

Enlevez partout le «y» et le tour est joué : cinq phrases correctes.

À votre service.

À saveur imagée

À l’occasion (2009, 2010, 2011, 2013, 2014, 2015, 2017, 2017), l’Oreille tendue pratique un tri sélectif dans sa corbeille de à saveur, ce fléau québécois. Rerebelote, en images.

«À saveur médiévale», la Presse+, 28 décembre 2017

«À saveur sud-coréenne», la Presse+, 15 octobre 2018

«À saveur syndicale», la Presse+, 18 novembre 2018