Chantons la langue avec Francine Raymond

Francine Raymond, les Années lumières, 1993, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

 

Y a les mots qui amusent et ceux qui abusent
Les mots qui blessent comme autant de morsures
Les mots qu’on pleure et crache en venin dans le chagrin
Et ceux qu’on échange en poignées de main

Y a les mots qui nous lient sous le sceau du secret
Et ceux qui déchirent et séparent à jamais
Les mots qui nous hantent pour un instant de folie
Et ceux qui disparaissent dans l’oubli

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Y a les mots qu’on soupire pour passer aux aveux
Ceux qu’on murmure pour mieux parler à son Dieu
Les mots qui frappent pour nous aider à tout comprendre
Et ceux qu’on échappe qu’on aimerait bien reprendre

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Au bout des chaînes
Là où y a les mots

 

Les David Lynch de François Hébert

François Hébert, «David Lynch», collage
François Hébert, «David Lynch», collage, collection particulière

L’écrivain québécois François Hébert (1946-2023) s’intéressait au cinéaste David Lynch. Déjà, en 1985, celui-ci apparaissait, sous sa plume, dans Monsieur Itzago Plouffe (pour l’Homme-éléphant, p. 63). On le croisera ensuite dans Pour orienter les flèches (Blue Velvet, p. 93) et dans Des conditions s’appliquent (Mulholland Drive, p. 39). Il sera plusieurs fois questions de lui dans Frank va parler : pour ses films (Blue Velvet, p. 29, p. 35; Mulholland Drive, p. 135), pour sa série télévisée (Twin Peaks, p. 30, p. 72, p. 83), pour un film de son fils, John, dans lequel il joue (Lucky, p. 30-32). Hébert fait, pour l’occasion, le portrait de Lynch, sous forme d’autoportrait :

C’est mon semblable, ce Lynch aux cheveux en brosse irrégulière dressés sur la tête comme un vieux pinceau, on a le même âge, sinon la même tronche, car j’ai plutôt une tête d’œuf. Le cinéaste est peintre, ça vous change le mal de place. Et je suis poète aux heures perdues, et presque toutes le sont ces temps-ci (p. 29).

François Hébert pratiquait aussi l’art du collage : «J’en ai fait un assemblage artistique avec des objets divers, presque digne d’un altruiste» (p. 30). Oui, c’est l’illustration ci-dessus.

David Lynch vient de mourir.

 

Références

Hébert, François, Monsieur Itzago Plouffe, Québec, Éditions du Beffroi, 1985, 96.

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Chantons la langue avec Plume Latraverse

Plume Latraverse, album Plume pou digne, 1974, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Plume Latraverse, «Encore des mots», Plume pou digne, 1974

 

Encore des mots qui veulent pus rien dire
Encore une batch de vieux souvenirs
Encore des mots quand y a tellement d’aut’choses à faire
Que d’garrocher son dictionnaire

Tout l’monde veut blower tout l’monde
Faut toujours charrier plus loin
On parle d’une même longueur d’onde
Jusqu’à c’qu’on comprenne pus rien
Faqu’on remet toutte ça au lendemain

Encore des mots, des ballounes de cire
Qui pètent en l’air, le temps de l’dire
Encore des mots qui ont mis leurs culottes à l’envers
Comme le vieux bon roi Dagobert

Tout l’monde veut blower tout l’monde
Au lieu d’prendre ça comme ça vient
On parle d’une même longueur d’onde
Jusqu’à c’qu’on comprenne pus rien
Faqu’on remet toutte ça au lendemain

Encore des mots, faudrait ben finir
C’te p’tite chanson qui veut rien dire
Encore des mots qui s’pavanent sans vouloir se taire
En compliquant l’vocabulaire
En compliquant l’vocabulaire

 

P.-S.—L’Oreille tendue l’a souvent dit : elle a un faible pour Plume.

 

Quand la construction va…

Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, Québec, juillet 2016

«Personne physique ou morale qui donne un travail à un travailleur indépendant» : voilà la définition que donne le Grand dictionnaire terminologique du donneur d’ouvrage. Le GDT associe l’expression au monde de la traduction.

Sous donneur d’ordre(s), Usito propose ceci : «personne ou organisation qui commande l’exécution d’un travail en sous-traitance suivant un cahier des charges». On est dans le même univers de la délégation.

Au Québec, on voit fréquemment l’expression donneur d’ouvrage dans le domaine de la construction. On peut entendre alors doublement le mot ouvrage : l’ouvrage est ce que l’on construit; le mot désigne aussi le travail («Je me suis trouvé de l’ouvrage»), encore que cet emploi soit peut-être en déclin.

Jusqu’à la lecture de la Presse+ du 13 janvier, l’Oreille tendue ignorait que les motard criminels (pas criminalisés) pratiquaient la chose : «Ces gangs, qui rendaient autrefois des services aux Hells Angels, se sont affranchis, sont devenus des organisations criminelles autonomes et structurées, ont des contacts ailleurs au Canada ou à l’étranger, et défient maintenant, dans la violence, leurs anciens donneurs d’ouvrage motards.»

On n’arrête pas le progrès.

P.-S.—Oui, en effet, les Hells deux fois en une semaine, c’est inattendu.

Le niveau baisse ! (2002)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«En 2002, dans Je te cherche dès l’aube, [Jean-Paul] Desbiens afirme que, “pour contrer le déclin du français, il faudrait vider les écoles, non pas des élèves, mais de la plupart des professeurs et des administrateurs”, au prétexte allégué qu’ils “parlent et écrivent un français approximatif”. De tels projets d’action taillés à la hache, Desbiens en a esquissé de semblables dès le début des années 1960.»

Source : Jean-François Nadeau, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p., p. 139.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture