Sacrer au musée, tous sexes confondus

Affiche de l'exposition «Tabarnak. L’expo qui jure», 2011

L’Oreille tendue aime les jurons, et particulièrement tabarnak. La catégorie «Jurons» — plus bas, à droite — en est la preuve.

Elle ne peut donc qu’être attirée par «Tabarnak. L’expo qui jure», que présente le Musée des religions de Nicolet jusqu’au 2 septembre.

Trouvera-t-elle une réponse à la question, qui est dans l’air du temps, du juron féminin en société ? Josée Blanchette consacrait cette semaine une entrée de son blogue (Cause toujours) à la question. Dans un registre un brin différent, deux psychologues américains viennent de publier les résultats d’une étude intitulée «Naturalistically Observed Swearing, Emotional Support, and Depressive Symptoms in Women Coping With Illness». (Conclusion provisoire de l’étude : il y a plus efficace, pour une femme, que de jurer en public.)

Iront-ils tous au musée ? On le leur souhaite.

Du jeu comme mode de vie

Quiconque suit l’excellente émission Place de la toile de France Culture a déjà entendu le mot gamification dans la bouche de son animateur, Xavier de la Porte (@xporte).

Gamification ?

Fabien Deglise (@fabiendeglise), dans le Devoir, parle de ludification (la traduction est bienvenue). Il s’agit de «l’art de transformer tout et rien en jeu», de l’assassinat d’Oussama ben Laden au viol dont est accusé Dominique Strauss-Kahn, cela afin «d’appréhender le complexe d’une époque en mutation». Ce phénomène répondrait «à la dictature de la mise à jour» et au «présentisme» — «l’incapacité à appréhender autre chose que l’instant présent, sans vision du futur ni perspective historique» — des réseaux sociaux (21-22 mai 2011, p. D4). À lire.

Orthographe, typographie et règne végétal

Contrairement à ce qui s’est passé en France, l’aubergine du Québec n’est pas devenue une pervenche.

La preuve, en première page du Journal de Montréal du 27 mai (merci à @lesappendices).

Manchette du Journal de Montréal, 2011

Deux questions.

Le mot aubergine — que la fonction qu’il désigne soit occupée par un homme ou par une femme — est féminin. Comment expliquer le masculin de «Agressés», «Insultés», «Intimidés» ?

Pourquoi l’italique d’«aubergines» ? Le mot est au Petit Robert : «Contractuelle parisienne qui était vêtue d’un uniforme aubergine» (édition numérique de 2010). Le Journal de Montréal aurait-il inventé l’italique géographique (traduction libre : «Ce mot existe, mais il est plus français [«parisienne»] que québécois, d’où la nécessité de le souligner») ?

La langue du fleuron de l’empire de PKP mériterait une étude.

P.-S. — Remarque étymologique, gracieuseté du même Petit Robert, à l’entrée «pervenche» : «Les pervenches étaient autrefois appelées aubergines.» Pas partout.

Il est interdit d’y penser

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit l’objurgation suivante, tirée des Corpuscules de Krause (2010) de Sandra Gordon : «Lucie l’avait flingué des yeux : — Penses-y même pas» (p. 21). Au Québec, l’expression Penses-y même pas a une fonction nette : étouffer dans l’œuf.

Elle vient de l’anglais «Don’t even think about it». Exemple ci-dessous, photographié récemment sur un trottoir de Manhattan.

Interdiction de stationner, panneau, New York, 2011

On se réjouit du sens de l’humour de la régie des transports new-yorkaise («Dept of Transportation»).

 

Référence

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Des cossins au bord du chemin

Brève explication de texte du tweet suivant, signé @crapules et relayé par @NathalieNassif : «Le sénat est comme devenu un grenier de cossins qui ne servent plus à rien mais qu’on [n’]ose pas mettre au chemin.»

«Le sénat» ? Il s’agit de la chambre haute du parlement canadien, dont les membres, par exemple l’ex-entraîneur de hockey Jacques Demers, ci-devant (?) analphabète, sont nommés par le gouvernement en poste. Synonyme, à tort ou à raison, de sinécure.

«Comme» ? Sous l’influence de l’anglais (like), grand euphémiseur tout usage.

«Cossins» ? Définition de notre Dictionnaire québécois instantané (2004) :

Ça ne vaut pas grand-chose, mais il y en a généralement beaucoup. «Les cossins de madame Marois» (la Presse, 31 mars 2001). «Pour en finir avec les cossins…» (la Presse, 24 décembre 2001) «Divins cossins» (le Devoir, 20 juin 2003).

«Mettre au chemin» ? Voilà qui est plus rare : sortir les ordures. Cet archaïsme n’a pas la fortune de «comme» ou de «cossins».

La preuve est faite une fois de plus : on peut dire beaucoup de choses en moins de 140 caractères.

 

[Complément du 26 mai 2015]

Des exemples de (mettre) au chemin en littérature ? Évidemment.

«Elle ne cessait de rapporter des trésors qu’elle trouvait au chemin pour les retaper dans sa chambre» (Chanson française, p. 85).

«Fatiguées, les tantes me mirent au chemin dans une chaise pliante un vendredi matin» (Parents et amis sont invités à y assister, p. 174).

«Il a enterré ses armes dans la cour (il ne pouvait quand même pas les mettre au chemin le jour des vidanges)» (le Feu de mon père, p. 59).

 

[Complément du 3 juillet 2017]

Il y a plus radical, par exemple chez le Sébastien La Rocque du roman Un parc pour les vivants (2017) : «Son nouvel aspirateur, un Bissell DigiPro à capteur numérique qui règle automatiquement la puissance d’aspiration, se révèle une pure merveille. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de se débarrasser du vieil engin de maman et de le foutre au chemin ?» (p. 36)

 

[Complément du 2 avril 2023]

Vu aujourd’hui, dans le cadre de l’excellente exposition «Hochelaga. Montréal en mutation», de Joannie Lafrenière, au Musée McCord Steward, ce texte, au sujet d’un des personnages de l’exposition, Diane, la serveuse. On y voit que les «cossins» peuvent être «de seconde main» («usagés»).

Cartouche, exposition «Hochelaga. Montréal en mutation», de Joannie Lafrenière, Musée McCord Steward, Montréal, 2 avril 2023

 

Références

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Delisle, Michael, le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p.

La Rocque, Sébastien, Un parc pour les vivants. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 167 p.

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture