Au Québec, le suçon peut aller dans la bouche; avec les lèvres, on peut faire une sucette.
Renversement en France : on lèche une sucette; on imprime un suçon sur la peau.
La langue ne se goûte pas partout de la même façon.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
Au Québec, le suçon peut aller dans la bouche; avec les lèvres, on peut faire une sucette.
Renversement en France : on lèche une sucette; on imprime un suçon sur la peau.
La langue ne se goûte pas partout de la même façon.
Stéphanie Kaufmann, l’auteure d’Ici et là (2009), aime les maisons. Certaines expressions doivent la heurter, dont celle-ci : «Ils voulaient casser maison — enfin, ils y songeaient» (p. 30).
Casser maison ? Qu’on se rassure : il ne s’agit pas de vandalisme, du moins pas au sens strict. Mais alors ?
Qui casse maison abandonne un type de vie pour un autre. Cette personne met fin à une forme d’expérience domestique, elle se défait de (presque) tout. Cela se dit surtout de ceux qui quittent la vie active pour la (maison de) retraite.
La perte n’est pas moins grande.
Référence
Kaufmann, Stéphanie, Ici et là. Récits, Québec, L’instant même, 2009, 110 p.
Un lecteur hexagonal ne tiquera pas en lisant la phrase suivante, tirée de la Télévision (1997) de l’excellent Jean-Philippe Toussaint : «Il n’y avait qu’un employé sur le quai absolument désert, qui regagna lentement sa cabine, son drapeau rouge et son talkie-walkie à la main» (p. 193).
L’Oreille tendue, elle, en bonne oreille québécoise nourrie d’anglais, s’étonne : elle aurait écrit walkie-talkie. (Aucun des dictionnaires anglo-saxons consultés ne connaît le talkie-walkie; ils ne connaissent que l’autre forme.)
Le passage d’un univers linguistique à l’autre est parfois renversant.
Référence
Toussaint, Jean-Philippe, la Télévision. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 269 p.
Les jurons constituent une grande part du patrimoine linguistique québécois.
Certains romanciers rappellent qu’il s’agit d’un héritage à transmettre; c’est le cas de François Blais.
Les auteures de l’inénarrable ouvrage le Parler québécois pour les nuls (2009), dont l’Oreille tendue parlait hier, ont un chapitre intitulé «Jurons québécois» (chapitre 15, p. 213-216). On y apprend notamment qu’il faut distinguer le sacre (le juron) «comme substantif» (le petit crisse), «comme adjectif qualificatif» (une crisse de grosse montagne), «comme adverbe d’intensité» (crisse que t’es fin) et «comme verbe» (j’ai crissé ma job là). Cette partition se tient. (Sur le strict plan des catégories grammaticales, il y a du travail à faire.) En revanche, la nomenclature fait place à des termes inconnus des sacreurs impénitents (l’Oreille, par exemple). «Colaye» ? «Câlache» ? «Criffe» ? «Estin» ? «Sacrafayeïce» ? «Cibon» ? «Ciboulon» ? L’Oreille est sceptique.
Elle aurait peut-être intérêt à consulter Artiom Koulakov, ce linguiste russe que présentait le Devoir de la fin de semaine dernière («Juré sacré, kamarad !», 10-11 avril 2010, p. D5). Selon ce professeur de l’Université d’État de Saratov, «avec un nombre limité de gros mots, “les Québécois ont créé un nombre infini de sacres”. Voilà de quoi être fier.» Infini ? Vraiment ?
Quoi qu’il en soit, comme le signalait Jean Dion sur son blogue, le Québec vient de perdre, en la personne du syndicaliste Michel Chartrand, un de ses plus fidèles praticiens du sacre (crisse, câlisse, hostie, calvaire, estie, etc.).
Heureusement, la relève est là.
Références
Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.
Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.
Sabourin, Marc-André, «Juré sacré, kamarad ! Quand un linguiste russe s’entiche du juron québécois», le Devoir, 10-11 avril 2010, p. D5.