La clinique des phrases (114)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Une communicatrice québécoise meurt. À ses funérailles, un chef politique, Paul Saint-Pierre Plamondon, est interrogé par un journaliste :

On retiendra de Mme Bombardier la capacité qu’elle avait, fidèle à ses convictions, de prendre sur soi des controverses. «Si on le pense, on le dit», a-t-il articulé.

Voilà un bien étrange choix de verbe pour une proposition incise. L’auteur a probablement voulu éviter la reprise de dire («on le dit», a-t-il dit) et celle d’autres verbes déjà utilisés dans l’article («affirmé», «a-t-elle laissé tomber»). Mais «articulé» ?!?! Pourquoi faire simple quand on peut faire approximatif ?

Simplifions, donc.

On retiendra de Mme Bombardier la capacité qu’elle avait, fidèle à ses convictions, de prendre sur soi des controverses. «Si on le pense, on le dit», a-t-il déclaré.

À votre service.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Akos Verboczy

Akos Verboczy, la Maison de mon père, 2023, couverture

«À première vue, l’offre touristique du village se limitait à une buvette, sans nom et sans clients. Typique, elle aussi. Des chaises appuyées contre le mur à l’extérieur, une porte ouverte en permanence, un bruit de ventilateur à l’intérieur avec quelques tables carrées, des tabourets en bois, un comptoir en mélamine et un moustachu à notre service» (p. 81).

«Décor rempli de tags, de béton et de testostérone» (p. 151).

«J’ai dû faire des centaines de tours de galerie pour tester les limites de ma Moszkvics et la patience des voisins» (p. 177).

«Dehors, les Croix fléchées, les milices d’extrême droite, sèment la mort, ivres de haine et d’eau-de-vie» (p. 196).

«L’élu de ma tante s’est révélé être un homme bien et d’une grande gentillesse. Il avait un emploi stable comme technicien de laboratoire dans une entreprise connue, une maison en banlieue de New York, une calvitie naissante» (p. 280).

Akos Verboczy, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

 

P.-S.—Oui, c’est bien le même Akos Verboczy.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Marie-Pascale Huglo

Marie-Pascale Huglo, Des pierres dans les poches, 2023, couverture

«Le petit a reculé jusqu’au fond de la véranda, un nœud dur dans le gosier. Le plancher sous lui était trempé, le cadre des moustiquaires continuait de pourrir. Les marches de l’escalier ont grincé. Le cœur du petit palpitait dans son thorax comme celui des grenouilles emprisonnées dans le creux des mains. Il y a quelqu’un ? La voix de Baba venait d’en haut. Il s’est recroquevillé en arrière des chaises en osier. En bas, tout près, le père grommelait. Il ouvrait des placards dans la cuisine, poussait des meubles, la porte d’entrée s’est rouverte. Le petit tendait l’oreille, il n’arrivait pas à avaler sa salive. Il a craché. Dans son gosier, le nœud dur s’est dénoué, il a craché encore. Le plancher a craqué sous ses fesses, bruit d’éboulement dans le mur. Le petit s’est redressé pour écouter, et c’est là que son téléphone a sonné.»

Marie-Pascale Huglo, «La grenouillère», dans Des pierres dans les poches. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2023, 109 p., p. 65-79, p. 77.

La clinique des phrases (113)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Une phrase peut être correcte et néanmoins nécessiter quelques ajustements.

Soit cet avis pour des travaux d’asphaltage déposé dans la boîte aux lettres de l’Oreille tendue par les autorités municipales (lesdites autorités la préviennent de travaux à quelques centaines de mètres de chez elle, mais elle sont infoutues de lui expliquer les travaux droit devant sa porte — c’est un autre dossier) :

Si vous avez des enjeux de mobilité, prévoyez déménager, faire des travaux sur votre terrain, ou pour toute autre situation pour laquelle il serait pertinent d’informer le responsable du chantier, composez le 311 pour parler à un agent.

Quand elle a reçu cet avis, l’Oreille l’a lu rapidement et elle a été inquiète de lire «Si vous avez des enjeux de mobilité, prévoyez déménager». Cela lui paraissait excessif.

Il aurait pourtant été simple de lever toute ambiguïté : la répétition a parfois du bon.

Si vous avez des enjeux de mobilité, si vous prévoyez déménager, si vous comptez faire des travaux sur votre terrain, ou pour toute autre situation pour laquelle il serait pertinent d’informer le responsable du chantier, composez le 311 pour parler à un agent.

À votre service.