Les zeugmes du dimanche matin et de Jean-François Nadeau

Jean-François Nadeau, Bourgault, 2007, couverture

«Héros du débarquement raté de Dieppe en 1942, cet homme robuste [Dollard Ménard] arrive tout juste de l’École de guerre de Paris et d’une mission au Cachemire. Son image de héros bardé de décorations et de noblesse a servi à vendre du courage et des Bons de la victoire durant le terrible conflit mondial.»

Jean-François Nadeau, Bourgault, Montréal, Lux éditeur, coll. «Histoire politique», 2007, 606 p., p. 44.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Très longue citation de circonstance : déménageons !

Kevin Lambert, Que notre joie demeure, 2022, couverture

«Le premier juillet, Parc-Extension eut l’air d’une zone de guerre. Des commodes, des lits étaient abandonnés sur les trottoirs parce que les camions étaient trop pleins. Des nouveaux locataires engueulaient ceux qui n’avaient pas encore libéré le logement. On se commandait de la pizza en français ou en anglais, téléphonait au restaurant du coin en hindi ou en grec, s’inquiétait du retard des déménageurs en espagnol, en mandarin et en arabe, disait adieu aux voisins en vietnamien, en italien, s’échangeait son numéro de téléphone en créole, en pendjabi, en bengali ou en tamoul. On se promettait de garder contact, on quittait avec plaisir des voisins détestables, trop bruyants ou trop intolérants au moindre son. La télévision et la radio promettaient que c’était le dernier été à porter le masque, on vaccinait au Campus MIL et ailleurs, la fatigue et la chaleur rendaient irritable et impatient. Des familles parfois nombreuses bougeaient de rue en rue, de quartier en quartier dans des voitures pleines; on gagnait la périphérie, le nord-est ou l’ouest. On aurait près de deux heures de transport à faire matin et soir pour le travail. Les enfants voulaient savoir s’ils retourneraient à la même école, les parents répondaient qu’on verrait plus tard. Les tantes, les cousines, les grands-parents et les amis mettaient la main à la pâte et se passaient des boîtes trop pleines, aux fonds fragiles. On devait parfois laisser la mère ou le petit surveiller les possessions de la famille en attendant le deuxième voyage. Une pluie tiède corsa l’après-midi et détrempa le carton mou, noya plusieurs livres, quelques ordinateurs. Les nouveaux habitants entrèrent dans leur logement en saluant les anciens, se disant qu’il faudrait tout repeindre en espérant que cela couvre l’odeur de nourriture. Plusieurs logements restèrent vacants en attendant qu’une propriétaire débordée les rénove pour les louer plus cher.

Il y eut, raconte-t-on, des oubliés. Des gens qui n’avaient pas su se faufiler entre les rets du marché, qui avaient visité de nombreux appartements sans être sélectionnés parce qu’ils avaient échoué à l’enquête de crédit ou que leur nom, qui ne sonnait ni anglais ni français, avait mauvaise réputation dans les cercles des propriétaires. On se retrouvait à la rue. On retournait temporairement vivre dans sa famille ou chez une connaissance généreuse, en attendant que quelque chose se libère quelque part. Les journaux titraient depuis plusieurs semaines “Pénurie de logements” et “Crise locative”. Des associations de bénévoles distribuèrent toute la journée des bouteilles d’eau et tentèrent de venir en aide à celles et ceux qui se retrouvaient dans une situation précaire, leur proposant des solutions temporaires. On leur répondait avec reconnaissance. On les ignorait par orgueil.»

Kevin Lambert, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p., p. 147-149.

 

P.-S.—Le lexique québécois du déménagement et de l’immobilier est riche : mouver, portes, casser maison, loyer, électricité, coqueron, signature, unité modèle, autorégulation.

Accouplements 210

Frédéric Lenormand, Ne tirez pas sur le philosophe !, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans Candide, son conte de 1759, Voltaire se moque de Leibniz. Quand le personnage de Pangloss parle du «meilleur des mondes possibles», c’est le nom du philosophe allemand qu’il faut entendre.

Dans son roman Ne tirez pas sur le philosophe !, Frédéric Lenormand suppose un chien à un de ses personnages. Son nom ? Leibniz.

Mathieu Bock-Côté est un omnicommentateur québécois formé en sociologie. Selon Wikipédia, il est «favorable à l’indépendance du Québec et défend des positions nationalistes, libérales et conservatrices».

Les concepteurs de l’émission de radio À la semaine prochaine lui supposent un chien. Son nom ? Duplessis.

Dans le premier cas, le nom marquerait la distance. Dans le second, la proximité.

Ce sera tout en matière de bestiaire imaginaire pour aujourd’hui.

 

Référence

Lenormand, Frédéric, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre sixième. Édition numérique.

Accouplements 209

Jean-François Nadeau, Bourgault, 2007, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«Ce qui vient au monde pour ne rien troubler
ne mérite ni égards ni patience.»
René Char

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle n’aime pas les biographies. Par obligation professionnelle, elle en lit — sur la littérature, sur le sport, sur le numérique, sur la musique, sur le cinéma —, mais ce n’est pas du tout sa tasse de thé. C’est comme ça.

Cela étant, elle est sortie ravie de la biographie de Pierre Bourgault qu’a publiée Jean-François Nadeau en 2007. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce que Nadeau ne fait preuve d’aucune complaisance envers son sujet. Bourgault était un «homme d’exception» (p. 533), certes, mais il ne manquait pas de défauts. Il s’agissait de le dire, en évitant tant le portrait à charge que le panégyrique. Mission accomplie.

Pourquoi vous raconter cela aujourd’hui ?

En épigraphe au dix-huitième chapitre, Nadeau met deux vers de René Char : «La lucidité est la blessure / la plus rapprochée du soleil» (p. 491).

Or, tout juste après la lecture de Bourgault, l’Oreille s’est mise à celle de l’abécédaire mémoriel Où de vivants piliers, de Régis Debray. Extrait ? «D’où vient qu’une citation de Char en épigraphe d’un ouvrage, en guise d’exorcisme, tire toujours vers le haut.»

 

Références

Debray, Régis, Où de vivants piliers, Paris, Gallimard, coll. «La part des autres», 2023, 192 p. Édition numérique.

Nadeau, Jean-François, Bourgault, Montréal, Lux éditeur, coll. «Histoire politique», 2007, 606 p. Ill.

La clinique des phrases (112)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit ce bout de phrase :

Chroniqueur au journal Le Devoir jusqu’à la fin de sa vie, puis à Radio-Collège pour l’émission La cité des plantes […].

L’auteur du texte dont il est tiré est un scientifique : on peut penser qu’il ne croit pas à la réincarnation et qu’il n’estime donc pas possible de collaborer à une émission de radio une fois que l’on est mort.

Revoyons cela :

Chroniqueur au journal Le Devoir, jusqu’à la fin de sa vie, et à Radio-Collège pour l’émission La cité des plantes […].

À votre service.