Du camp(e)

Joseph-Charles Taché, Forestiers et voyageurs, éd. de 2014, couverture

En 1863, Joseph-Charles Taché publie, dans les Soirées canadiennes, Forestiers et voyageurs. Études de mœurs. Le texte sera repris en livre en 1884.

Dans une note du premier chapitre, «La montée aux chantiers», il écrit ceci : «On appelle camp (le p se prononce ici), dans le langage des forestiers et des voyageurs canadiens, l’habitation, toujours plus ou moins temporaire, qu’on élève dans le bois. La signification s’étend aussi aux dépendances du logement, s’il en existe, et, par extension figurée, au personnel qui l’habite» (éd. de 2014, p. 26 n. 3). Le chapitre suivant, «Le camp d’un chantier», est consacré à la description d’un de ces camps.

Le dictionnaire numérique Usito donne une définition semblable : «Habitation rustique, traditionnellement en bois rond, construite en forêt et aménagée sommairement.» Cet aménagement sommaire rapproche le camp de la cabane et le distingue du chalet. Rien n’est dit de la prononciation du mot.

Ni Taché ni Usito n’indique que l’emploi de camp, prononcé campe, paraît plus fréquent dans les régions du Québec qu’à Montréal.

Exemple rimouskois : un poème de Marie-Hélène Voyer dans Expo habitat (2018) s’intitule «Le campe» (p. 19).

Exemples saguenéens :

«Le chalet est modeste. C’est un campe — le mot convient mieux — d’environ seize pieds par vingt, peut-être moins. Il y a une chambre à coucher et une pièce qui sert de cuisine, aménagée autour du poêle à bois, avec un coin salon. Pas d’électricité. Pas d’eau courante. Pas de toilettes non plus. Pour les besoins, c’est dehors. Pour l’eau, c’est dans la rivière en hiver ou la source en été. Pour l’éclairage, les chandelles. […] Bref, un chalet dont les murs ne sont pas isolés. Idéal sur trois saisons mais pas habitable en hiver» (Mon frère Paul, p. 128);

«La police voulait pas que les jeunes construisent des campes dans le bois, mais tout le monde s’en sacrait. Impossible de marcher plus qu’une heure dans le bois sans tomber sur un campe. Tous les flots de Chicoutimi pis de Chicoutimi-Nord s’en bâtissaient un pour passer leurs fins de semaine dedans. C’était comme les chalets de nos parents sur les monts Valin mais en plus le fun pis en moins beau. Les parents pis la police aimaient pas ça, ces histoires de campes là. Y avait rien de bon pour les jeunes dans ces places-là. C’était rien que de la boisson, de la drogue pis du sexe» (la Déesse des mouches à feu, p. 67).

À votre service.

P.-S.—Vous croyez reconnaître le Kramer de la série télévisée Seinfeld sur la couverture ci-dessus ? Le fils cadet de l’Oreille tendue est d’accord avec vous.

 

Références

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Taché, Joseph-Charles, Forestiers et voyageurs. Mœurs et légendes canadiennes, texte conforme à l’édition de 1884, avec une postface, une chronologie et une bibliographie de Michel Biron, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact classique», 137, 2014, 267 p. Édition originale : 2002.

Villeneuve, Marité, Mon frère Paul. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 382 p.

Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Lisanne Rheault-Leblanc

Lisanne Rheault-Leblanc, Présages, 2020, nouvelles

«Clara elle-même papillonnait de l’un à l’autre, comme si le balcon était un prolongement naturel de l’appartement, une pièce en plus qui avait été omise dans la petite annonce, un salon en plein air du haut duquel elle régnait sur la ville et sur la suite de sa vie.»

Lisanne Rheault-Leblanc, Présages. Nouvelles, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 201 p., p. 114.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Autoportrait au dentier

Lisanne Rheault-Leblanc, Présages, 2020, nouvelles

«Même si tu la devines chaque jour, même si tu la sens fourmiller sur toi pendant que tu vaques à autre chose, l’œuvre violente du temps te révulse. Le salaud a érodé tes pommettes, a gonflé ton nez, tes paupières lisses et nerveuses. Il a rongé ta peau pour ne laisser que ce mince tissu translucide sous lequel se trame un réseau complexe de veines, de petites araignées bleues qui auraient fait leurs nids derrière ton visage. Un voile trouble recouvre tes prunelles et les rend grisâtres, malades. Des taches sombres constellent aussi ta figure — au hasard, semble-t-il. Tes lèvres se sont muées en une simple ligne incolore, gercée, et tes joues, comme tu le craignais, forment deux sacs lourds de chaque côté de ta bouche. Seules tes dents blanches, trop droites, trop égales, tranchent avec le reste de cette dévastation. Avec un peu d’effort, tu arrives à sentir le contact étrange entre ton dentier et tes gencives nues.

[…]

Combien de visages as-tu eus tout au long de ta vie ? Celui-là en tout cas sera le dernier, il te reste celui-là, regarde-le bien, rien ne sert de lui demander de se justifier, arrive seulement à en fixer l’image quelque part, dans un endroit à l’abri de la fin. Arrive à aimer ce qu’il est devenu et à lui pardonner un peu la vie qu’il traîne derrière lui.»

Lisanne Rheault-Leblanc, Présages. Nouvelles, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 201 p., p. 35-36 et p. 42.

Accouplements 183

Dave Corriveau, l’Histoire des p’tits gâteaux Vachon. 1923-1999, 2019, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Rheault-Leblanc, Lisanne, Présages. Nouvelles, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 201 p.

«À côté de lui, sa mère, Jocelyne, se plaint de la vulgarité à la télévision tout en engloutissant à la chaîne des petits gâteaux Vachon» (p. 67).

Picard-Sioui, Louis-Karl, Chroniques de Kitchike. La grande débarque. Nouvelles, Wendake, Éditions Hannenorak, 2021, 173 p. Édition originale : 2017.

«Pis c’est cette année-là que le pow-wow de Kitchike perdit sa commandite des petits gâteaux Chavon» (p. 45).