Les joies du mariage

«On dit quoi à un francophone qui marie une anglo ?»
Yes Mccan, Dead Obies

Il y a de cela quelques décennies, l’Oreille tendue a étudié le latin. Un de ses professeurs aimait dire qu’un père pouvait marier sa fille, mais qu’il ne pouvait pas l’épouser.

Pourquoi cette précision ? Parce qu’au Québec il est courant d’entendre un verbe (marier : «Unir en célébrant le mariage», «Établir (qqn) dans l’état de mariage») pour l’autre (épouser : «Prendre pour époux, épouse; se marier avec»). Le Petit Robert note cet usage : «RÉGIONAL (Nord; Belgique, Canada) Épouser. Il l’a mariée contre l’avis de ses parents. “un jour vous allez vous établir, marier un bon gars avec une bonne terre” (J.-Y. Soucy)» (édition numérique de 2014).

Il est au moins un cas où l’usage régional a du bon. Prenons les phrases suivantes :

A man in a town married twenty women. There have been no divorces or annulments, and everyone in question is still alive and well. The man is not a bigamist, and he has broken no laws. How is this possible ? (tiré du magazine The New Yorker)

Comment les traduire ? L’ambiguïté vient de «married» (marier et épouser). Comment est-il possible de marier vingt femmes sans divorcer, sans voir de mariage annulé, sans créer aucune violence, sans être bigame et sans briser la loi ? Si on est un prêtre, ça ne pose pas de problème.

En effet, les prêtres marient. Qu’on le sache, ils n’épousent pas, du moins dans la religion catholique.

Sacrer mou

L’Oreille tendue — c’est de notoriété publique — aime beaucoup sacrer. À cet art, elle a consacré nombre d’entrées de ce blogue.

Elle s’étonne toujours devant les formes molles des sacres (tabarnouche pour tabarnak, par exemple), car on perd alors de vue la quincaillerie liturgique sur laquelle prend appui le juron québécois.

Cet étonnement s’étend à d’autres expressions, plus idiosyncrasiques que généralisées, dans lesquelles le matériel religieux est évoqué. Il est ainsi des gens qui diraient pentures de confessionnal (merci à @liseravary). Pour d’autres, plus ironiques, bon en chasuble (@MDumaisJDM) serait possible. On entend(ait) parfois petit Jésus de plâtre.

Le jour où l’Oreille aura recours à pareils euphémismes, vous pourrez lui crier dessus.

 

[Complément du 3 mars 2014]

Qui veut, pour jurer, s’en remettre à l’histoire sainte, mais préfère ne pas se servir de Son nom ou de celui de Son fils, peut toujours avoir recours à d’autres personnages bibliques : «Jared Leto sur le tapis rouge aux #oscars : comme si Jésus s’était loué un tux blanc pour échapper aux Romains. Étrange en Hérode !» (@_scorm)

 

[Complément du 15 avril 2014]

@revi_redac rappelle à l’Oreille des paroles d’une chanson de Richard Desjardins, «Le bon gars» :

Y vont m’aimer en Hérode
Excellent citoyen
Pas parfait mais pas loin

L’Église se transforme

Pour des raisons intergénérationnelles, quelques fois l’an, l’Oreille tendue est tenue de s’exposer à la liturgie catholique. Cette année, c’était le 24 décembre, à la messe de minuit, celle de 21 h, à l’Oratoire Saint-Joseph, à Montréal.

Un des officiants souhaita la bienvenue aux (in)fidèles, ceux qui se trouvaient dans l’église, mais aussi «aux auditeurs du réseau Cogeco». La cérémonie était en effet radiodiffusée.

Pendant des années, c’est CKAC qui était le diffuseur ecclésiastique. Cela a donc changé. L’Église ne cesse de se transformer.

Qui oserait le lui reprocher ?

Autopromotion 057

En cette journée d’annonce papale, l’Oreille tendue vous rappelle qu’elle a publié en 2011 un recueil de textes intitulé Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (description ici). Ce livre vous sera peut-être utile si vous souhaitez vous adresser à Benoît XVI au moment de son changement de carrière, par exemple pour lui offrir vos services d’«agent de talent spécialisé en branding humain». Yapadkoi.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

La langue de l’ex-maire de Montréal

Gérald Tremblay annonçait tout à l’heure qu’il quittait la mairie de Montréal un an avant la fin de son mandat.

La dimension religieuse de son discours avait de quoi étonner : «passion» (au moins trois fois); «valeurs judéo-chrétiennes»; «paix»; «calvaire»; «pour toujours»; «vérité»; «ultime sacrifice». Pour @Hortensia68, sur Twitter, on devrait ajouter à la liste «trahison» et «amour». Autrement dit, voilà qui fleurait bon l’éducation religieuse québécoise d’antan. (Mauvaise langue, l’Oreille tendue, itou sur Twitter, a signalé l’absence de «veau d’or» dans la bouche d’un maire pourtant victime des «collusionnaires».)

Vérification faite, quand l’ex-maire parlait, dans son texte écrit, pas improvisé, de «moments et souvenirs intarissables», il ne faisait toutefois pas allusion à la Bible. (Mais à quoi donc ? La question est ouverte.)

 

[Complément du 6 novembre 2012]

Deux choses encore.

Twitter s’est beaucoup amusé de l’intertexte religieux de l’ex-maire. «J’ai cru qu’on allait voir apparaître la main de Dieu de Claude Ryan», a écrit @ChroniquesTrad, ce qui permettait de lier deux ex-membres du Parti libéral du Québec, un de ses anciens chefs, Claude Ryan, et un des anciens ministres, Gérald Tremblay. @Geneablogiste évoque «Moïse Tremblay et les sept plaies de Montréal !» C’est plutôt au verbe de la connaissance que l’on pense devant ceci : «C’est vrai que pendant l’acte d’amour il faut parfois savoir se retirer à temps» (@LeGrosRaTt).

Le lexique religieux de Gérald Tremblay est d’autant plus étonnant qu’il est mêlé au vocabulaire le plus actuel, celui du festif (le Quartier des spectacles), de la capitale («une ville UNESCO de design», «une métropole culturelle d’envergure internationale»), de l’ouverture sur le monde («un important rayonnement international»), du management («les processus et les mécanismes de contrôle»), du moderne à tout crin («le Technopole de la santé et celui de l’innovation»). L’ancien et le nouveau, bref.