La clinique des phrases (j)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit le passage suivant du quatrième tome de la série Malphas de Patrick Senécal, Grande liquidation :

Et tout à coup, ses yeux se révulsent, il pousse un ultime râle et ne profère plus un son. Perdre conscience quand on a été atteint à la tête, c’est pas bon, vraiment pas bon ! Je l’étends sur le trottoir et, pris de panique, lui balance quelques soufflets au visage.
[…]
Je me relève et compose le 9-1-1 sur mon cellulaire.
[…]
Et je raccroche. Je sors de la cabine, retourne me pencher sur Gracq et lui serre la main de toutes mes forces (p. 350-351).

Bref, le narrateur se tient sur «le trottoir», il a utilisé son téléphone «cellulaire» et il n’a jamais eu besoin d’aller dans une «cabine».

Corrigeons :

Et je raccroche. Je retourne me pencher sur Gracq et lui serre la main de toutes mes forces.

À votre service.

 

Référence

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.

Are you talkin’ to me ?

Simon Brousseau, Synapses, 2016

Sous le titre Synapses (2016), Simon Brousseau a rassemblé plus de 200 courtes proses, en une phrase et un paragraphe, toutes adressées à un tu, mais un tu dont l’identité change (homme / femme, jeune / vieux, solitaire / en couple / en famille / avec des amis, en ville / à la campagne, etc.).

Le texte de la p. 21 est (presque) destiné à l’Oreille tendue :

Tu as vu l’Artiste perdre un gant quand il a contourné le filet tandis que Wideman était à ses trousses, tu l’as vu faire volte-face pour le cueillir alors qu’il protégeait la rondelle avec grâce, tu as explosé de joie quand il a donné un coup de coude au visage de Tucker qui l’avait cherché, tu as vu Zednik s’écrouler sur la patinoire après un coup de la corde à linge servi par McLaren, les bras en croix comme un petit Jésus, tu as vu le même Zednik se faire trancher la carotide d’un coup de patin de Jokinen, son sang sur la surface glacée, mais tu n’as jamais vu la Coupe ni de près ni de loin, encore moins senti son odeur.

«L’Artiste» est évidemment Alex Kovalev, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, et l’Oreille n’oubliera pas de sitôt ce joueur. Elle se souvient aussi de l’attaque à la tête de Kyle McLaren contre Richard Zednik, cette «corde à linge» qui l’a laissé quasi inconscient sur la glace, «les bras en croix comme un petit Jésus». Dennis Wideman et Kyle McLaren étaient, bien sûr, des joueurs des Big Bad Bruins de Boston. (En revanche, elle a oublié l’escarmouche Tucker / Kovalev et la blessure causée par Olli Jokinen à Zednik.)

L’Oreille n’a vu de la Coupe (Stanley) qu’une réplique, à Toronto, mais cette coupe lui a néanmoins inspiré un nom de commerce, qui a à voir avec son odeur.

P.-S.—L’Oreille se souviendra avec délectation de la densité des proses de Brousseau, ces microrécits qui, chacun, instantanément, ouvrent sur la profondeur d’une expérience (de soi, du monde, des autres, des corps, du temps).

 

Référence

Brousseau, Simon, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p.

L’oreille tendue de… Patrick Senécal

Patrick Senécal, Malphas 3, 2013, couverture

«J’ai jeté ma cigarette, me suis approché des ambulanciers et leur ai tendu l’oreille de Marcel :

— Tenez, je pense que… ça vous revient.

— Ah, merci, c’est gentil. Rien d’autre ?

— Comment, rien d’autre ? Vous croyez que j’ai les poches pleines ?

— Non, non, c’est juste que…

— Si en prenant ma douche ce soir, je découvre un nez ou un bout de rate dans mon poil pubien, je vous appelle, promis.»

Patrick Senécal, Malphas 3. Ce qui se passe dans la cave reste dans la cave, Québec, Alire, 2013, coll. «GF», 24, 2013, 562 p., p. 176.

L’oreille tendue de… Mauricio Segura

Mauricio Segura, Oscar, 2016, couverture

«Une autre nuit, il somnolait dans sa chambre, le visage tourné vers la nuée bruyante d’insectes gravitant autour du réverbère, quand il entendit un air de piano qu’il crut d’abord provenir de son rêve où des fauves majestueux, tapis dans l’ombre, interrompaient leur chasse pour tendre l’oreille vers une mélodie délicate.»

Mauricio Segura, Oscar. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 231 p., p. 51.

Proposition de moratoire pour 2017 (et après)

Les fêtes de fin d’année sont parfois l’occasion de débats enflammés.

C’est arrivé à l’Oreille tendue le 1er janvier, comme cela lui était arrivé l’an dernier à pareille date et, en l’occurrence, dans les mêmes lieux et avec les mêmes personnes.

De quoi s’agissait-il cette année ? De la proposition de l’Oreille de créer un moratoire sur les œuvres romanesques racontées par un enfant.

Certains se sont mis à évoquer Fantasia chez les ploucs, d’autres l’œuvre de Réjean Ducharme, pour défendre cette pratique (caduque). Il s’en est même trouvé pour louanger Émile Ajar; c’est dire.

Précisons : l’Oreille ne souhaite pas censurer les romans à narrateur enfantin déjà publiés. Elle demande seulement qu’on s’abstienne d’avoir recours à ce procédé éculé à l’avenir.

Il n’est pas sûr qu’elle ait été entendue hier ni qu’elle le soit dans un futur proche.