Résolution du nouvel an

L’Oreille tendue ne prend pas de résolution du nouvel an, mais cela ne l’empêche pas d’en suggérer aux autres, par exemple aux dirigeants du secteur radio de la Société Radio-Canada. La voici : que l’on y étouffe dans l’œuf la pratique du tutoiement en ondes.

Pendant longtemps, le tutoiement a été absent de la langue radio-canadienne, à l’exception bien évidemment des dramatiques et, parfois, des émissions sportives (l’élégance des hockeyeurs devant les micros est inégalement répartie). Ce choix est parfaitement illustré les fins de semaine quand les Garneau, Richard et Stéphane, le père et le fils, se vouvoient en ondes, alors qu’on peut croire que ce n’est pas le cas le reste du temps. C’est la tradition à la SRC : la distance, la politesse — le vouvoiement.

Depuis quelque temps, ça se gâte. La semaine dernière, pipolisation oblige, Catherine Perrin et Isabelle Boulay n’avaient que le tu à la bouche, de même que Patrick Masbourian et un de ses collaborateurs. Le cas le plus extrême est celui de Dominique Poirier, dont le passage de la chaîne télévisée d’information continue RDI à la radio de la Première chaîne de Radio-Canada s’est accompagné d’une montée en flèche de la deuxième personne du singulier. À l’écouter, on a l’impression que son émission est enregistrée dans sa cuisine.

On s’étonne devant pareille transformation de la langue à la SRC. Sans être le sanctuaire de la correction linguistique que l’on imagine chez certains, c’était malgré tout un lieu où l’on était tenu à un certain nombre de règles, dont le refus de la familiarité. Contrairement au pompiste, à la caissière ou à quelques-uns des étudiants de l’Oreille, on savait, chez les annonceurs de Radio-Canada, qu’on ne tutoie pas tout le monde en tout temps. Cela est-il en train de changer ?

Il est vrai que l’on ne devrait peut-être plus s’étonner de rien d’une société d’État qui nous permet de tout savoir des érections de Paolo Noël.

De la mesure

La publicité aime jouer avec les mots.

«Aidez-nous à sortir la rue des sans-abri» : c’est la publicité actuelle de Mission Old Brewery, un organisme montréalais d’aide aux itinérants.

La forme attendue — Aidez-nous à sortir les sans-abri de la rue — aurait été trop banale, d’où cette formulation contournée, presque vide de sens.

Il arrive à la publicité de trop aimer jouer avec les mots.

Néoduplessisme ?

Un ancien premier ministre du Québec, Maurice Duplessis (1890-1959), aimait dire que les Québécois étaient des Français «améliorés». Cela nourrissait le vieux ressentiment provincial envers l’ex-mère patrie.

Lu jeudi dernier : «Après cette parenthèse qui nous rappelle qu’il faut toujours se méfier des Français à l’heure de penser le Québec, revenons à nos moutons» (Louis Cornellier, «L’affaire ECR», le Devoir, 24 décembre 2009, p. E6).

Mouton : le mot est (involontairement) bien choisi. Ne désigne-t-il pas le suiveur, celui qui fait comme tout le monde ?

Du leader

Le Québec se rêve en une position, celle de leader. En quoi ? Cela importe peu.

Pour les écolos, les occasions ne manquent pas : «Hydro-Québec se veut un leader en développement durable» (le Devoir, 15 septembre 2004, p. D2); «Le Québec sera le leader nord-américain en matière de développement durable» (le Devoir, 27-28 novembre 2004, p. B4); «Le Québec, leader de l’éolien» (le Devoir, 5 octobre 2004, p. A1).

La culture n’est pas en reste : «le Québec est le leader dans le dossier de la diversité culturelle» (la Presse, 2 décembre 2003, cahier Arts et spectacles); «Le Québec veut se poser comme un leader de la diversité culturelle» (le Devoir, 1er décembre 2003, p. B8); «Le Québec, leader des mondes virtuels» (le Devoir, 19 novembre 2008, p. B1).

On trouve encore des exemples en économie : «Le Québec figure parmi les leaders économiques» (la Presse, 25 novembre 2004, cahier Affaires, p. 3).

Le leader se décline aussi en chef de file : «Un nouveau chef de file du véhicule récréatif est né au Québec» (la Presse, 10 mars 2004, p. A19, publicité); «Le Québec, chef de file de la voiture électrique ?» (la Presse, 4 octobre 2004, cahier Auto, p. 3); «Montréal veut rester un chef de file de la création numérique» (la Presse, 13 novembre 2007, p. A7).

Tout cela est bel et bon : que du positif.

On s’étonne donc, en lisant la Presse, de constater qu’il existerait des «leaders négatifs» (26 décembre 2009, cahier Sports, p. 8). Il est vrai qu’ils ne sont pas québécois : il s’agit de deux joueurs de hockey anglophones, les deux endossant les couleurs des Flyers de Philadelphie. Ouf.

 

[Complément du 1er décembre 2015]

«Le Canada, ce faux leader», titre le Devoir du jour (p. B1). Un «faux leader», est-ce la même chose qu’un «leader négatif» ? Un «leader négatif», est-ce un «faux leader» ? Tant de questions, si peu d’heures.

Signes distinctifs recherchés

Le Pullman est un bar à vin montréalais. Quelle «faune» y trouve-t-on ? «[De] façon générale, on y croise surtout des professionnels et autres adultes urbains à la recherche d’une atmosphère intelligente et de vins et de nourriture de qualité» (la Presse, 26 décembre 2009, cahier Gourmand, p. 5).

Comment reconnaît-on une «atmosphère intelligente» ? Des «adultes urbains» ?

Pour le second cas, ce devrait être facile. L’Oreille tendue suppose que l’adulte urbain se nourrit de cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale» et qu’il écoute de la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine» (ça se pratique, entre autres endroits, à Québec).

Pour le premier, il lui faudrait des indices.