Obama épistolier

Barack Obama, A Promised Land, 2020, couverture

Certains disent que l’Oreille tendue se répète. D’autres, qu’elle radote. Tous ont raison.

Prenons un exemple : depuis plus de 25 ans, elle ne cesse de dire que le genre épistolaire, malgré ce que l’on entend partout, n’est pas en train de disparaître. Les gens écrivent encore des lettres aujourd’hui; ils en écrivent beaucoup moins, certes, et souvent dans des circonstances particulières, mais ils continuent de pratiquer cette forme d’écriture.

La preuve ? Barack Obama.

Dans ses Mémoires récents — oui, avec la majuscule initiale et au masculin —, A Promised Land (2020), le 44e président des États-Unis évoque à plusieurs reprises sa pratique épistolaire.

Ce qui concerne l’utilisation du courriel était prévisible. D’une part, on l’a assez dit, la campagne d’investiture, puis la campagne présidentielle, d’Obama ont eu très largement recours à l’univers numérique (p. 130). D’autre part, comme tout organisme contemporain, le gouvernement états-unien carbure au courrier électronique, de même que les militants, tous partis confondus.

Quand il devient sénateur à Washington en 2005, Obama confie à Pete Rouse une mission capitale («Most important»), celle de créer et de coordonner un bureau de la correspondance («the correspondence office») chargé de trier le courrier qu’il reçoit des citoyens et de leur répondre de la façon la plus adéquate possible : «“People may not like your votes,” Pete said, “but they’ll never accuse you of not answering your mail !”» (p. 56) Ne pas répondre à son courrier, même volumineux (p. 65) ? Cela ne se fait pas. Mieux encore : Obama signe lui-même les réponses préparées par son personnel (p. 66), de même que des mots de remerciements et des cartes d’anniversaire plus personnalisés (p. 90, p. 251).

Devenu président, en 2009, il demande à voir quotidiennement des lettres qui lui sont adressées à la Maison-Blanche (p. 267-269, p. 698-699). Il ne s’agit évidemment pas de toutes les lettres et de tous les courriels — il y en a environ dix mille par jour —, mais d’un échantillon de dix textes sélectionnés par son équipe, messages auxquels il répond à la main. Cette activité a une dimension quasi rituelle : «They were often the last thing I looked at before going to bed» (p. 268); «I couldn’t expect people to understand how much their voices actually meant to me — how they had sustained my spirit and beat back whispering doubts on those late, solitary nights» (p. 306). Dans la nuit («bed», «nights»), la lettre reste la possibilité d’un échange.

Plus sombres sont les lettres de condoléances qu’il adresse, une fois par semaine, aux proches des militaires tombés au combat (p. 429-430).

Barack Obama ne correspond pas, sur papier, qu’avec les citoyens des États-Unis; il a aussi des échanges avec ses collègues et vis-à-vis. Par exemple, le sénateur Ted Kennedy lui écrit au sujet de la réforme du système de santé, mais il demande que sa lettre ne soit transmise qu’après sa mort; le président la citera dans un discours au Capitole (p. 410-411). Il fait parvenir une lettre secrète à l’ayatollah Khomeini, qui lui répond sèchement (p. 454). La Chine se sert du courrier pour formuler ses plaintes commerciales (p. 474).

Il y a peut-être là un sujet à explorer : la communication des élus avec leurs électeurs, leurs collègues et leurs interlocuteurs étrangers n’est-elle pas une des manifestations les plus concrètes, au XXIe siècle, de la nécessité de la lettre ?

P.-S.—L’Oreille a déjà dit quelques mots de la pratique de la lettre de Barack Obama dans le cadre de l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit !, le 24 avril 2018.

 

Référence

Obama, Barack, A Promised Land, New York, Crown, 2020, 751 p. Ill.

Cartographie estivale

Au cours des dernières semaines, tout en étant (surtout) à la campagne, l’Oreille tendue a visité, concrètement ou pas, des villages, des villages, des régions.

Cannes : comme tout le monde, l’Oreille tendue a joué le jeu.

 

Chicago : ville croisée dans deux lectures de vacances, le bavard The Dean’s December de Saul Bellow («It was like the Chicago winter, which shrank your face and tightened your sphincters», p. 231), le long Promised Land de Barack Obama («America’s most segregated big city», p. 16).

Joliette (I) : l’Oreille aurait du mal à expliquer pourquoi, mais elle fréquente souvent le Musée d’art de Joliette. Histoire de mettre fin à sa «disette muséale», elle vient d’y retourner. En plus de la collection habituelle (art médiéval, art religieux, art québécois, etc.), elle y a vu une fort belle installation de Chloé Desjardins, un dialogue autour de quelques œuvres du fonds du musée.

Joliette (II) : s’y faire dire «Cheers !» par un serveur manifestement de souche peut étonner — moins, il est vrai, quand on sait qu’il travaille dans un estaminet appelé Albion.

Lanaudière : dans sa jeunesse, l’Oreille tendue a vitupéré la motomarine; villégiatrice dans Lanaudière, elle déplore plutôt l’existence du VTT («Va-T-en, Tabarnak !»).

L’Assomption (mrc, municipalité, collège, rivière, lac, secteur) : l’Oreille a déjà raconté qu’il se trouve, dans les branches basses de son arbre généalogique, un parent éloigné surnommé Mononc’ la patate; elle a aussi un Cousin la poutine, apprécié du premier ministre du Québec. Il œuvre, façon de parler, à L’Assomption.

Montréal (I) : la fondation Lionel-Groulx a mis en ligne un segment de la conférence sur Maurice Richard qu’a donnée l’Oreille à son invitation. C’est ici et ça gesticule.

Montréal (II) : la fondation Lionel-Groulx a aussi mis en ligne un texte rédigé à l’occasion de cette conférence. C’est et ça ne gesticule pas.

Saint-Côme (I) : sans risque de se tromper, l’Oreille peut affirmer que repeindre ce balcon aura été sa principale contribution scientifique de l’été, en tous cas sa plus longue.

Maison de campagne, Québec, été 2021

Saint-Côme (II) :

D’ici
L’ostie
De colibri
Est sorti

Merci

Saint-Côme (III) : la jeune personne qui distribuait les pagaies a bien pris le temps de «seizer» l’Oreille.

Saint-Donat : on y a tenu, cet été, une vente «dentiquités». Ouverte aux dentistes probablement.

Tokyo : pour les mêmes raisons qu’en 2016, l’Oreille ne s’est pas tendue vers la diffusion des Olympiques.

 

Références

Bellow, Saul, The Dean’s December, New York, Pocket Books, 1982, 346 p.

Obama, Barack, A Promised Land, New York, Crown, 2020, 751 p. Ill.

Autoportrait de lectrice-cueilleuse

Chantal Thomas De sable et de neige, 2021, couverture

«J’appartiens à l’âge de la cueillette. Une sorte de blocage archaïque m’a arrêtée à ce stade. Et quand j’ai commencé non de pouvoir lire mais de prendre le goût de lire, j’ai pensé que j’irais à travers des milliers de pages animée de l’esprit de cueillette, j’empilerais au fur et à mesure de leur découverte des mots, des phrases, des tournures dans un baluchon extensible, qui aurait la vertu de s’alléger tout en s’accroissant.»

Chantal Thomas, De sable et de neige, avec des photos d’Allen S. Weiss, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p., p. 177.

Le zeugme du dimanche matin et du Machin à écrire

«Je n’ai pas découvert dans le bois du Séminaire une entrée dérobée menant à un vaste système de cavernes, où j’aurais fait de la spéléologie avec des amis et les moyens du bord et où, alors que nous aurions été pourchassés par une mystérieuse créature troglodyte et sanguinaire, je me serais enfargé dans une stalagmite retorse, ce qui m’aurait fait faire une chute de plusieurs mètres.»

Nicolas Guay, «Passé simple (77) — Comment je ne me suis pas cassé la jambe», blogue le Machin à écrire, 18 juillet 2018.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)