Accouplements 228

Portrait de Rose Ouellette, 1941

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Foglia, Pierre, «La poésie, la Poune et les phoques», la Presse, 15 mai 2008, p. A5.

RUMEURS L’autre jour, dans cette chronique, je me vantais, et c’était pour me moquer de mon grand âge, je me vantais auprès de mon ami Maxime d’être brièvement sorti avec La Poune. Ce petit mot d’un lecteur (Gilbert Jean) : Pendant des années, en rentrant à Montréal par le pont Viau, on pouvait lire un graffiti sur une bâtisse de béton, peut-être bien une station de pompage, tout près des premières maisons, du côté ouest du pont, qui disait : J’ai fourré La Poune.

C’était donc vous ?

Non, monsieur. Je ne voudrais pas partir de rumeur, mais il ne m’étonnerait pas que ce soit la Poune elle-même qui soit l’auteure de ce graffiti pour… pour faire taire une autre rumeur.

Girard, Mario, «Ben oui, La Poune était lesbienne !», la Presse+, 15 février 2024.

P.-S.—La Poune était le nom de scène de Rose Ouellette.

 

Illustration : «Moulinette Moulin Légume», 2008, photo déposée sur Wikimedia Commons

Tout est affaire de regard

Photographie de Maurice Richard par David Bier, The Gazette, Montréal, années 1950, détail

Ceci, dans la Presse+ du 19 mai 2022 :

Pourquoi, lui a-t-on demandé, tient-il à faire ses propres cascades — certaines très périlleuses — dans ses films ? Il a beau avoir une forme resplendissante, il aura bientôt 60 ans. «Personne n’a demandé à Gene Kelly pourquoi il dansait dans ses films !» Vu de même.

Laissons de côté la personne de Tom Cruise — c’est de lui qu’il s’agit — et attachons-nous à la formule «Vu de même».

Dans le français populaire du Québec, elle désigne, non sans distance critico-ironique, une affirmation inattendue : en effet, si on s’y arrête, ce n’est pas impossible; il s’agissait d’y penser; je reconnais que je n’y aurais pas pensé moi-même; je ne m’en porte pas plus mal.

À votre service.

 

[Complément du 30 mai 2022]

L’érudition des lecteurs de l’Oreille tendue ne cesse de la réjouir. Exemple venu de Finlande :

Sylvain Larocque, «Vu d’même», affiche du spectacle, 2009

Oui, parlez, svp

«Tu parles !», chronique sur France Inter, été 2019

«Dans les débats sur l’orthographe,
ce qu’on a perdu,
c’est surtout le sens des proportions.»

Arnaud Hoedt : comédien, ancien professeur de français. Jérôme Piron : comédien, médiateur culturel, ancien professeur de religion catholique. L’un et l’autre de Belgique. On les connaissait pour un livre et pour un «spectacle-conférence», la Convivialité. La faute de l’orthographe. Cet été, sur France Inter, ils ont donné dix-huit courtes capsules humoristicolinguistiques intitulées Tu parles ! Allez les (ré)écouter ici. Vous en ressortirez instruits, particulièrement en matière d’histoire et de politique de la langue.

Des exemples ?

L’émission «Lisez les linguistes» commence par une «déclaration d’amour à Jean-Marie Klinkenberg», leur ancien professeur, et particulièrement à son ouvrage la Langue dans la Cité. Ce n’est pas l’Oreille tendue qui va contester ce choix (voyez ).

Certains trouvent que des mots — autrice, par exemple — sont plus «esthétiques» que d’autres. Non. (Émission «C’est une langue belle».)

Le niveau baisse ? Pas plus, comme il est expliqué dans «Fonds de commerce décliniste». (C’est un des dadas de l’Oreille.)

«Sommes-nous envahis par les anglicismes ?» Que nenni.

Certains titres disent tout : «L’Académie française, c’est du flan.»

Spécialistes de l’accord du participe passé, ils en chantent le «Requiem».

À verser dans toutes les oreilles.

Ou à voir sur YouTube :

 

 

[Complément du 1er janvier 2021]

On peut désormais lire les chroniques.

Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Le français n'existe pas, 2020, couverture

[Complément du 19 octobre 2021]

Pour le Centre collégial de développement de matériel didactique, l’Oreille tendue a rendu compte de l’ouvrage Le français n’existe pas. C’est ici.

 

Références

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, la Convivialité. La faute de l’orthographe, Paris, Éditions Textuel, 2017, 143 p. Préface de Philippe Blanchet. Illustrations de Kevin Matagne.

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

L’Oreille sort

Une fois n’est pas coutume : l’Oreille tendue est allée au concert ce samedi.

Dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, elle y a applaudi le Soweto Gospel Choir, à la Maison symphonique, la «chapelle» de l’Orchestre symphonique de Montréal, dixit André Ménard, le directeur artistique du FIJM.

Ils sont vingt sur scène, accompagnés par deux tambours et, à l’occasion, par un piano électrique et dirigés par un maître de chœur. Souvent, ils sifflent ou lancent des cris qui rappellent ceux des oiseaux. La rythmique est physique : ils tapent dans leurs mains, ils cognent le sol de leurs pieds. Ils sont ensemble depuis dix ans : la mécanique est parfaitement réglée.

La plupart du temps, les femmes sont en costumes traditionnels, dont un qui devrait, par ses couleurs, ravir les partisans des ex-Nordiques de Québec — c’est du hockey. Les hommes portent de petites vestes sans manche aux couleurs pas moins vives que celles des costumes féminins.

Leur répertoire ? Les chants de leur église, de la musique zouloue, quelques succès contemporains («Like a Bridge over Troubled Water», «Arms of an Angel»), des chansons faites pour que le public se lève et mêle sa voix à la leur («Pata Pata», «Amen», «Oh Happy Day», en rappel). Le chant domine, mais on danse aussi : des danses traditionnelles, des danses de combat, du breakdance, du gumboot.

À divers moments du spectacle, la troupe se scinde et se recompose en unités plus petites, à l’avant-scène. Il arrive alors qu’on passe du duo à la joute musicale et corporelle. L’interprétation d’une chanson par les hommes seuls est suivie de l’interprétation de la même chanson par les femmes seules («Nice try, boys»). On échange et on s’oppose, avant de toujours se réconcilier.

L’actualité étant ce qu’elle est, un sobre hommage a été rendu au «père de la nation» («the father of the nation»), Nelson Mandela, par une seule pièce, une «chanson de liberté» («a liberty song»).

L’Oreille doit se rendre à l’évidence : une voix humaine, c’est bien; des voix mêlées, leur harmonie, cela l’émeut, sans qu’elle puisse endiguer cette émotion. Le chœur, en musique, c’est la communauté de la beauté.

Nelson Mandela et le Soweto Gospel Choir

Illustration : Peter Ellis, signature de Nelson Mandela entourée de celles de membres du Soweto Gospel Choir, photo déposée sur Wikimedia Commons

Entendre Miron

Douze hommes rapaillés (2008), pochette

Avant-hier, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts, le spectacle Douze hommes rapaillés, la mise en chanson collective (ils sont douze) de quelques poèmes de Gaston Miron, l’auteur de l’Homme rapaillé.

L’intérêt de ce genre d’entreprise réside dans ce qu’elle permet d’entendre de neuf dans des textes déjà connus.

Un seul exemple, «Je t’écris pour te dire que je t’aime», poème-lettre interprété par Michel Faubert. Le jeu de guitare et, surtout, la voix du chanteur révèlent dans cette «rengaine» une chanson country. Ça s’entend notamment dans la prononciation de quelques mots — «voéyage», «souèr», «nége», «sur le seuil des mémouèrs» —, prononciation qui n’aurait pas été celle de Miron en lecture publique.

On ne s’attendait pas à ça. On est ravi.