Follower, ou pas, l’Académie française

Académie française, rubrique «Dire, ne pas dire», logo

Samedi dernier, le correspondant californien de l’Oreille tendue attire son attention sur un nouveau texte de la rubrique «Dire, ne pas dire» de l’Académie française. Il s’agit, sous «Néologismes & anglicismes», en date du 7 mai 2020, de l’article «Followers».

(Depuis des années, l’Oreille rêve de rebaptiser cette rubrique «Disez, ne dites pas.» Il n’est pas sûr que ça se fasse bientôt.)

Résumons le propos.

Les quatre premières lignes se tiennent : que veut dire follower en anglais ?

Les quatre lignes suivantes témoignent d’une assez spectaculaire méconnaissance du fonctionnement des réseaux sociaux : on peut évidemment y suivre quelqu’un sans «adhérer» à sa «pensée» ou à ses «actions».

Suivent une anecdote imprécise («il y a peu») sur une discussion entre une journaliste et un philosophe, et une allusion à Staline («le petit père des peuples»).

Le paragraphe suivant porte sur le mot acolyte, avec Sainte-Beuve en renfort.

Fort étonnée de sa lecture, l’Oreille écrit ceci sur Twitter, en citant la fin du deuxième paragraphe :

 

Les réactions ont été nombreuses et courroucées.

La linguiste Maria Candea évoque, à juste titre, l’auto-gorafisation de l’Académie. Certains accusent les Académiciens d’avoir un problème de consommation (alcool ou drogue). D’autres, plus généreux, essaient de lire le texte au deuxième degré : et s’il était ironique ? Ils sont peu entendus : ce n’est pas le genre de la maison.

Plusieurs notent qu’il existe déjà abonné pour rendre follower, à la recommandation notamment de l’Office québécois de la langue française. Or abonné est absent de la liste qui ouvre le texte de l’Académie. (Comme il n’y a pas un mot de linguistique dans le texte, ce n’est guère étonnant.)

Les paris sont ouverts : ce texte sera-t-il bientôt modifié ? Les followers de l’Oreille tendue le souhaitent avec passion.

De la nécessité des sous-titres en France

On dit souvent que les Français ont besoin de sous-titres pour comprendre les films québécois. Il semble qu’ils aient d’autres problèmes de langue. C’est du moins ce que donnent à croire ces deux traductions appelées par l’astérisque.

Mauvaise traduction de l’anglais
Mauvaise traduction de l’anglais
L’Oreille tendue n’est pas du genre à tirer de profondes conclusions de ces exemples. Encore que…

Traduire le baseball

Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ?, 2015, couverture

Réglons trois choses.

Selon les experts, Ted Williams a été un des plus grands frappeurs de l’histoire du baseball. Tous les témoignages concordent : Williams faisait une obsession de l’art de frapper et il imposait cette obsession à tous ceux qui l’entouraient. «Car Ted ne relâchait jamais ses efforts, pas même sur un match, sur une présence au bâton, sur un seul lancer» (p. 66).

Selon lui-même, il était un grand pêcheur, sinon le plus grand : «Y a personne qui s’y connaît mieux en pêche que moi, ni sur terre ni au ciel» (p. 8).

Ted Williams était par ailleurs une personne particulièrement désagréable : narcissique, colérique, grossier, sonore. Il l’était du temps où il était joueur et il l’est resté jusqu’à sa mort en 2002.

Cette troisième dimension de Williams est particulièrement visible dans le reportage de Richard Ben Cramer, Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ? Paru en anglais en 1986 dans le magazine Esquire, il a été traduit par Ina Kang aux Éditions du sous-sol en 2015. Cramer y pose, non sans mal, des questions à Williams, en plus de présenter sa carrière.

Les amateurs de baseball du Québec auront évidemment des choses à dire de cette traduction. Ina Kang mêle des expressions parfaitement justes à d’autres qui le sont moins. Cela ne troublera probablement pas un lecteur (hexagonal) néophyte; mais un amateur (francophone) éclairé, si.

Certains choix lexicaux peuvent se discuter, mais ils sont cohérents. Ina Kang parle de batte, au féminin, là où un Québécois dirait bâton, voire, familièrement, bat, au masculin. (Logiquement, il y a donc batteur à côté de frappeur.) De même, il est question de base plutôt que de but (il y a cependant but sur balles et pas base sur balles) et de ligue majeure (au singulier). Au bâton, on risque de se faire retirer sur prises, là où on attendrait sur des prises. Avant le début de la saison, qu’y a-t-il ? Soit l’entraînement de printemps (p. 59), soit le camp d’entraînement. Là, des mauvaises balles; ici, des balles fausses.

Plusieurs termes ou expressions ont cours au Québec : zone de prises (mais on verrait plus souvent zone des prises), but sur balles, manche, retrait, gant, programme double, coup sûr, champ (intérieur, extérieur, droit, gauche, centre), présence au bâton, boîte du frappeur, moyenne au bâton, point produit, frapper x en y, erreur, triple bon pour z points, chandelle et flèche, balle courbe ou rapide, marbre et monticule, roulant, grand chelem, amorti, cage (des frappeurs), frappeur suppléant, appeler une prise, enclos des lanceurs, encaisser une prise, etc.

Ce qui cloche ? On ne parle habituellement pas — c’est comme ça — de «défenseur» (p. 9) pour désigner les joueurs en défensive. À quoi «attrapés de volée spectaculaires» (p. 29) peut-il correspondre ? Un double jeu est nécessairement défensif (p. 57).

On notera pour finir que home run (circuit) est donné en anglais, de même que Hall of Fame (Temple de la renommée), Rookie of the Year (recrue de l’année), World Series (Séries mondiales) et clubhouse (abri, vestiaire). Une formule comme «inside-the-park home run» (p. 63), qui mêle l’italique et le romain pour des mots venus de la même langue, (d)étonne.

Ce mélange complique inutilement la vie de l’amateur de sport.

P.-S. — La langue du baseball évolue sans cesse.

 

Référence

Cramer, Richard Ben, Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ?, Paris, Éditions du sous-sol, coll. «Desports», 2015, 92 p. Ill. Traduction d’Ina Kang. Édition originale : 1986.

Soyons agiles !

Publicité d’un gestionnaire de portefeuilles, Montréal, mai 2016

L’Oreille tendue a découvert que le mot agilité pouvait être une valeur universitaire à l’automne 2007. Elle se souvient très bien du lieu et de son interlocuteur.

Plus récemment, elle l’a beaucoup entendu dans son université, «transformation institutionnelle» oblige.

Le mal n’est pas que local. Que demande le doyen de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ? «Ce dont on a besoin, c’est d’être agile[s], et nos structures administratives actuelles sont hyper lourdes.»

Les gestionnaires de portefeuilles aussi s’y mettent; voyez la publicité ci-dessus.

On n’arrête pas le progrès.

 

[Complément du 17 mai 2016]

On ne s’étonnera pas de sentir ici l’influence de l’anglais, comme le laissent penser le commentaire de Patrick Coleman ci-dessous et ce tweet :

 

[Complément du 29 décembre 2020]

Ce qui était vrai en 2007 à l’Université de Montréal l’est toujours en 2020.

«Promotion agile», Université de Montréal, 2020

 

Le sont-elles ?

À une époque, on nous encourageait à mettre en place de bonnes pratiques ou une bonne pratique : «démarche, action efficace face à une situation, un problème, facilement généralisable dans le même secteur d’activité» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Cela venait bien sûr de l’anglais : best pratice(s).

C’était insuffisant. On nous a ensuite parlé des meilleures pratiques.

Aujourd’hui, il y a plus fort : les pratiques exemplaires ou pratiques d’excellence.

On n’arrête pas le progrès.