Suggestion de cadeau de Noël

Bingo de colloque, première carte

Quoi offrir à l’universitaire qui a déjà tout ? Ce «Bingo de colloque. Pour colloques de littérature et de sciences humaines. 50 feuilles détachables. 10 cartes différentes», une création de Mathieu Arsenault et François Rioux, disponible ici.

Voici la première phrase de la présentation du jeu : «Même quand le thème était proche de leur sujet de recherche, ils finissaient inévitablement par s’ennuyer en colloque.»

L’Oreille tendue connaît trop bien ce sentiment; voyez . Dorénavant, elle aura de quoi s’occuper.

À tout hasard

Vous êtes universitaire. Un de vos proches prend sa retraite, peut-être votre directeur de thèse. Vous décidez de lui offrir un volume d’hommages. On vous demande de rédiger la préface.

Voici ce qu’il vous faut pour conclure.

C’est surtout l’homme, le chercheur, le professeur, le pédagogue et l’ami que nous voudrions évoquer pour finir. XXXX XXXX a profondément marqué ses étudiants et nous sommes honorés d’avoir figuré parmi eux. Il possède le don assez rare d’être un éveilleur d’idées, celui de faire germer chez l’interlocuteur le désir de renouveler une question, de modifier un éclairage. Sans jamais imposer un point de vue dogmatique, XXXXX XXXXX ouvre des pistes et relie des points de vue qu’on pouvait croire sans liens entre eux. Sans jamais représenter une fin en soi, l’érudition est toujours, chez lui, au service d’un problème intellectuel et culturel d’envergure. Par ailleurs très attentif à l’autre, le directeur de thèse ne manque jamais d’annoter avec le plus grand soin les travaux qu’on lui soumet. Ses remarques constituent un tremplin pour la pensée qui prend, ensuite, un nouvel envol. [Insérez une phrase de votre cru, voire une anecdote plaisante.] Terminons en saluant son humour : XXXXX XXXXX a toujours fui l’esprit de sérieux, qui accompagne souvent une pensée conformiste et annihile l’imaginaire, si nécessaire à l’invention de nouvelles méthodes critiques.

Non, l’Oreille tendue n’a pas inventé ce texte.

À votre service.

P.-S.—Ce qui précède évoquera peut-être un souvenir chez les lecteurs de ce blogue.

La clinique des phrases (k)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit le passage suivant d’une étude universitaire récente :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans certains exemples cités plus haut, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Pourquoi écrire «certains exemples» ? (Règle générale, dans l’écriture universitaire, prudence oblige, on abuse de certain.) Il y a des exemples qui démontrent ce que l’on avance, et d’autres, pas. Donc :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans les exemples cités plus haut, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Les «exemples» évoqués l’ont nécessairement été «plus haut» : «plus bas» n’aurait aucun sens. Corrigeons ce premier pléonasme :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans les exemples cités, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Si «on a pu le voir», c’est précisément parce qu’on a cité des «exemples», ci-devant «plus haut». Enlevons un second pléonasme :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Si «on a pu le voir», c’est qu’«on l’a vu», non ? En outre, pourquoi «pouvoir» deux fois dans la même phrase («a pu le voir», «pourrait») ? Économisons :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on l’a vu, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

N’y a-t-il pas moyen d’alléger la fin de la phrase ?

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on l’a vu, la rumeur a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

Pour un brin plus de clarté, déplaçons un morceau de la phrase :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, comme on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

Le «comme» est-il indispensable ? Cela se discute.

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

L’accord, au féminin, de «donnée» ? Il paraît ne pas correspondre à l’usage actuel, sans pour autant que l’on puisse le dire fautif. Pour Marie-Éva de Villers (Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, édition numérique) et pour Jean Girodet, il faudrait en effet préférer l’invariabilité. Citons le second : «Pour l’expression étant donné, la règle d’accord a été longtemps incertaine. De nos jours, l’usage le plus fréquent est le suivant : 1 Placé devant le nom. Étant donné reste invariable […]. 2 Placé derrière le nom. Étant donné s’accorde en genre et en nombre […]» (Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988 [troisième édition], 896 p., p. 250). Modernisons :

Étant donné la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

À votre service.

Autopromotion 274

Dossier «André Belleau» de Voix et images, couvertureEn septembre 2015, l’Université du Québec à Montréal accueillait le colloque «André Belleau et le multiple». Ses Actes ont été rassemblés dans deux livraisons de la revue Voix et images. La première vient de sortir des presses : «André Belleau I : relire l’essayiste» (Voix et images, numéro 124, automne 2016, p. 9-93; ISBN : 0318-9201). L’Oreille tendue, qui est une fan de Belleau, y signe un texte sur ses «Cahiers de lecture» inédits.

Table des matières du dossier

Bélanger, David, Jean-François Chassay et Michel Lacroix, «André Belleau : relire l’essayiste», p. 11-17. https://doi.org/10.7202/1038583ar

Boisvert-Dufresne, Élise, «Qui a peur d’être désuet et quétaine ?», p. 19-29. https://doi.org/10.7202/1038584ar

Riendeau, Pascal, «“Un essaim d’idées-mots.” André Belleau et la pensée de l’essai», p. 31-41. https://doi.org/10.7202/1038585ar

Rondeau, Frédéric, «Petite philosophie d’André Belleau», p. 43-51. https://doi.org/10.7202/1038586ar

Chabot, Julien-Bernard, «L’essayiste “fictif”. Autoportrait d’André Belleau en silène à lunettes», p. 53-65. https://doi.org/10.7202/1038587ar

Biron, Michel, «“Chez nous, c’est la culture qui est obscène”», p. 67-75. https://doi.org/10.7202/1038588ar

Popovic, Pierre, «Le théorique, la politique, Bakhtine et la sociocritique. Relire Belleau», p. 77-85. https://doi.org/10.7202/1038589ar

Melançon, Benoît, «Les “Cahiers de lecture” (1963-1986). André Belleau inédit», p. 87-93. https://doi.org/10.7202/1038590ar

 

[Complément du 22 avril 2017]

Le second volume des Actes vient de paraître. Sa table des matières est ici.

Chronique pédagogique du samedi après-midi

L’Oreille tendue étant professeure d’université, il lui arrive d’enseigner. À une époque, et pendant plusieurs années, ce fut souvent à des étudiants de première année (il en est question ici). Plus tard, et pendant plusieurs années, ce fut à tous les nouveaux doctorants de son département (Littératures de langue française).

Dans l’enseignement donné à ces doctorants, il était continuellement question de numérique, sous toutes sortes de formes. Cela lui est revenu à l’esprit tout à l’heure à la lecture de deux tweets d’Olivier Ritz :

Sur ces questions, l’Oreille a ses petites idées (et foucades). Elle les a souvent transmises à ses étudiants de doctorat, mais après avoir entendu ceux-ci. Explication.

À la deuxième séance du cours, les étudiants étaient tenus de présenter oralement leur environnement de travail (ordinateur, tablette), leur système d’exploitation et, surtout, leurs outils. La forme de cette présentation était libre. Il n’y avait que deux contraintes : la brièveté et la lecture d’un texte de François Bon, «et vous, votre Mac, il carbure à quoi ?», et des commentaires qui le suivent (cela donnait une assez bonne idée de la nature de ce qui était attendu).

L’exercice, du moins pour la professeure, marchait fort bien : tout le monde avait quelque chose à dire, les questions étaient nombreuses, de même que les comparaisons (pourquoi ceci au lieu de cela ?). Elle insistait sur l’absolue nécessité des logiciels de gestion bibliographique et des copies de sauvegarde; les étudiants répondaient Scrivener, LaTeX, Crisco, Diigo, Prezi, MindNote, MindMapper — outils dont l’Oreille n’aurait pas spontanément parlé. C’est également dans le cadre de ce travail collectif qu’elle a découvert que certains étudiants ont besoin, pour écrire, de logiciels qui les empêchent d’avoir accès à Internet (SelfControl) ou d’outils pour les obliger à pondre du texte (WriteOrDie).

Après la séance, la discussion pouvait continuer sur le blogue (privé, sous WordPress) du séminaire.

Si elle redonne un enseignement de cette nature, l’Oreille reprendra l’expérience : c’est utile et fascinant.