L’Oreille étend son registre

«Bienvenue en cleptocratie», pancarte

On n’a jamais trop de mots. L’Oreille tendue en a relevé quelques-uns, nouveaux pour elle.

Les «influenceurs de la frustration» sont des infruenceurs, dixit Mike Tremblay.

Ne rajeunissant pas, l’Oreille devrait-elle craindre la vieillolescence (Paul-André Fortier), voire l’âgicide (Réjean Hébert) ? En anglais, dans un registre malheureusement voisin, il y a senicide (Niall Ferguson).

Jair Bolsonaro poursuit, selon Antonio Pele, des nécropolitiques. On ne les confondra pas avec les necropoetics (Donald Hall).

La «condomisation de nos villes et villages» (Mario Girard) n’a rien à voir avec le condom et tout à voir avec le condominium.

«L’écrivain Sylvain Tesson a forgé le mot “stégophilie” pour nommer sa passion : escalader les immeubles, les églises, les cathédrales jusqu’à leurs sommets, pour y passer des nuits entières» (France Culture). On lui souhaite d’être prudent.

Toujours chez France Culture, découvrons la léthargocratie. Marc Séguin, lui, parle de pseudocratie.

«Variante d’americana pour notre coin d’Amérique» ? Allons écouter un peu de québécana (Sylvain Cormier). Cela nous reposera.

Vaut mieux l’avoir que pas

Emmanuel Deraps, Failure, 2019, couverture

Soit le passage suivant de l’incipit du recueil Failure d’Emmanuel Deraps (2019) :

failure c’est un long poème
[…]
c’est pour celles qui ont le verre vide
et qui n’ont pas le courage
de faire signe                              au barman
c’est pour ceux qui n’ont pas la twist
mais qui dansent quand même sous la pluie (p. 13)

Malgré l’allusion à la danse, l’expression avoir la twist excède, en français du Québec, le domaine de la rotation pelvienne.

Elle signifie être habile, savoir s’y prendre ou, pour le dire avec une autre expression du cru, avoir le tour.

L’Oreille tendue souhaite à ses lecteurs de l’avoir et de ne jamais la perdre.

 

Référence

Deraps, Emmanuel, Failure. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 112 p. Ill.

Scorons avec Rock Derby

Les fidèles bénéficiaires de l’Oreille tendue le savent : elle s’intéresse aux représentations du hockey, notamment en bande dessinée (voir ).

L’image d’aujourd’hui provient de l’album les Voleurs de poupées de Greg (1960).

Greg, les Voleurs de poupées, 1960, planche initiale

Sur le plan de la langue de puck, on peut noter deux choses dans cette planche initiale.

Au Québec, hockey suffit le plus souvent (sauf pour l’autre hockey, sur gazon); le Belge Michel Greg parle de «hockey sur glace».

Quel son produit le bâton de Rock Derby quand il entre en contact avec la rondelle ? «Pok.» Cela va de soi.

 

Références

Greg, les Voleurs de poupées, 1960. Première publication dans le journal Tintin Belgique, du numéro 26/60 (29 juin 1960) au numéro 40/60 (6 octobre 1960), puis dans Tintin France, du numéro 616 (11 août 1960) au numéro 630 (17 novembre 1960). Nombreuses rééditions en album.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Divergences transatlantiques 066

Michael Delisle, Dée, éd. de 2007, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de Dée, le roman de Michael Delisle initialement paru en 2002 :

«Dès que l’échevin disparaît, Doc sort un flasque et le tend au père Provost qui en cale de grandes goulées» (éd. de 2007, p. 25).

Pour désigner un «Petit flacon plat», le Petit Robert dit de flasque que c’est un mot féminin (édition numérique de 2018), alors que Delisle l’emploie au masculin.

Cet usage du masculin n’étonne pas l’Oreille tendue, qui, à un an près, a le même âge que Delisle et la même enfance vécue à la périphérie de l’île de Montréal.

Pour ce que ça vaut, on trouve aussi le masculin dans le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (p. 228).

Pourtant, le flasque n’est pas un moyen de locomotion.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Delisle, Michael, Dée, Montréal, BQ, 2007, 128 p. Édition originale : 2002.

Projet bien rangé

«Là, quelque part, tsé.»
Mario Tremblay
Réseau des sports, 17 mai 2013

Lisant le quotidien le Devoir de la fin de semaine dernière, l’Oreille tendue est tombée à deux reprises, dans des entretiens, sur une expression souvent entendue au Québec : «à quelque part». (Elle a déjà évoqué cette étonnante et néanmoins fréquente tournure — ainsi que l’inutilité de la préposition àici.)

Elle a signalé la chose sur Twitter.

 

La réponse de Luc Jodoin à ce tweet — «On entend souvent : en keke part» — mérite un double commentaire.

D’une part, le en de «en quelque part» n’est guère plus utile que le à.

D’autre part, «quelque part» peut avoir un sens élargi (là-bas) et un sens restreint (là derrière).

Exemple, tiré du Dictionnaire québécois instantané, à l’entrée kekpart :

Désigne une partie de l’anatomie qui n’était pas à l’origine destinée au rangement. Son projet, il peut se le fourrer kekpart (p. 125).

En pareil contexte, il peut se le fourrer en kekpart ne serait pas inusité.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture