Interrogation juridique du jour

La Société de transport de Montréal a une bien étrange conception de la langue au Québec.

L’Oreille tendue a déjà déploré, sur les réseaux sociaux et dans le quotidien le Devoir, que la STM impose aux abonnés de ses fils Twitter des messages toujours en double, l’un en français, l’autre en anglais. Que les messages existent dans les deux langues ne l’ennuie pas. Être obligée de les recevoir dans les deux langues, si.

L’autre jour, dans le métro, l’Oreille tombe sur cette affiche, uniquement en anglais :

Publicité unilingue, métro de Montréal, novembre 2015

 

Question : la Charte de la langue française ne s’applique donc pas dans le métro de Montréal ?

Du colloque

Faut-il poser une question en colloque ?

L’Oreille tendue est professeure d’université depuis plus de vingt ans. Plus elle vieillit — et elle vieillit —, moins elle comprend l’utilité des colloques, du moins en sciences humaines. C’est ce qu’elle racontait hier à un groupe de doctorants de son université.

Sa réflexion était nourrie de plusieurs textes qui mettent en lumière les dysfonctionnements de ce mode de communication scientifique. Elle en recommandait quatre, particulièrement stimulants.

Cebula, Larry, «We Know You Can Read. So Can We», The Chronicle of Higher Education, 14 janvier 2013. http://chronicle.com/article/We-Know-You-Can-Read-So-Can/136607/

Extrait choisi : «I can tell from the change in his wheezing that the old guy behind me is falling asleep. A half-dozen people are falling asleep. Lucky

Thiffault, Nelson et Stephen Wyatt, «L’art de ne pas présenter : 12 astuces pour ne plus être invité», l’Aubelle, 150, automne 2006, p. 18-20. http://www.mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Thiffault-Nelson/LAubelle-150-automne-18-20.pdf

Extrait choisi : «Être — et surtout, demeurer — un mauvais conférencier est un travail continu et difficile.»

Van Campenhoudt, Luc, «La communication orale. Partie intégrante du processus scientifique», dans Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (édit.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. «Cas de figure», 29, 2013, p. 217-228.

Extrait choisi : «La clarté et la cohérence rendent évidemment vulnérable à la critique car elles permettent aux interlocuteurs de saisir la signification des propos» (p. 225).

Wampole, Christy, «The Conference Manifesto», The New York Times, 4 mai 2015. http://opinionator.blogs.nytimes.com/2015/05/04/the-conference-manifesto/

Extrait choisi : «We are humanists [and] have passed or received notes during a particularly painful session that read “Kill me now”

Il y a du travail à faire.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille cause colloque : ici, à propos d’Arnaldur Indridason; , au sujet d’une passionnante expérience tenue à l’Université Laval de Québec en 2013.

P.-P.-S. — Quand elle s’ennuie dans une rencontre scientifique — et ça lui arrive trop souvent —, l’Oreille croque des «Scènes de la vie de colloque» (c’est de ce côté, en PDF).

 

[Complément du 25 juin 2019]

Paul Bertrand, alias @medieviz, a publié récemment, sur son blogue, un texte intitulé «Colloques : le bûcher des vanités. Pour une réinvention des pratiques historiennes». C’est à lire, avant d’en profiter pour agir.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

Accouplements 35

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le 16 mars 2007, un groupe d’écrivains publie dans le quotidien parisien le Monde un manifeste qui aura un considérable retentissement, «Pour une “littérature-monde” en français». On y lit notamment ceci : «Personne ne parle le francophone, ni n’écrit en francophone.»

Hier, la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, qui sera à ce titre responsable des langues officielles pour le gouvernement du Canada, aurait déclaré qu’elle allait défendre «la langue francophone».

De deux choses l’une : ou bien les signataires du manifeste se trompent ou bien c’est la nouvelle députée d’Ahuntsic-Cartierville.

 

[Complément du 20 janvier 2016]

Hier soir, le joueurnaliste Benoît Brunet a rejoint la ministre :

Benoît Brunet et le «francophone» à RDS

 

[Complément du 2 avril 2021]

Au tour de François Legault, le premier ministre du Québec : «Nous ce qu’on a à faire, on est un p’tit peuple en Amérique du Nord, les Québécois qui parlent francophone, qui ont des valeurs comme la laïcité, qui ont besoin d’avoir une certaine intégration. Les autres communautés qui arrivent au Québec, y’apportent du plus à notre nation» (source).

 

[Complément du 16 avril 2021]

Le mal n’est pas que local. Le journal français le Figaro en souffre lui aussi, au pluriel. (Merci à @MichelFrancard.)

Le Figaro du 6 avril 2021 parle de «langues francophones»

Québécogermanisme de bon aloi ?

L’Oreille tendue n’hésite jamais à se dévouer pour ses bénéficiaires. Elle vient donc de mener un sondage scientifique auprès d’un échantillon représentatif de jeunes de 17 ans (n = 1), histoire de voir quelle expression est à la mode dans sa cohorte.

Résultat ? «Ça, c’est la heiss.» Traduction libre : «Ça, c’est l’enfer.»

Cela concorde avec la connotation de chaleur du mot allemand heiß. Mais comment l’expression s’est-elle acclimatée sur les rives du Saint-Laurent ?

 

[Complément du 10 septembre 2018]

La Presse+ publiait hier un article intitulé «Le nouveau joual de la métropole». Entrée en matière : «Oubliez le franglais. Montréal est plus multiculturel que jamais et l’argot de la métropole est désormais de plus en plus mâtiné de créole et d’arabe. Regard sur un phénomène linguistique qui s’étend dans tous les quartiers de l’île.»

Dans le «Petit glossaire de l’argot montréalais» qui accompagne l’article, on lit ceci : «(A) Hess = misère», «(A)» renvoyant à «Arabe».

Cela confirme ce qui se trouve dans les commentaires ci-dessous.

Les zeugmes du dimanche matin et de Daniel Grenier

Daniel Grenier, l’Année la plus longue, 2015, couverture

«Les femmes portaient des enfants, et des châles pour se protéger des vents en tourbillons» (p. 12).

«Huit cents kilomètres plus loin les attendaient les terres fertiles que le président lui-même leur avait octroyées en 1830, et qui resteraient à jamais les Territoires indiens, selon toute vraisemblance et plusieurs traités ratifiés par le Sénat et les différents membres du Congrès» (p. 15).

«Elle s’imaginait partir du Tennessee avec de l’eau et de bons souliers, partir et croiser au milieu de cet univers de couleurs automnales, après cent un jours de marche, un jeune homme avec une barbe et des projets aussi grandioses que les siens» (p. 38-39).

Daniel Grenier, l’Année la plus longue. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 10, 2015, 422 p.

 

[Complément du 11 novembre 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 11 novembre 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)