Accouplements 27

Tiphaine Rivière, Carnets de thèse, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue a donc pris quelques avions récemment.

Elle y a lu une bande dessinée un roman graphique sur les déboires d’une thésarde parisienne. L’héroïne (en quelque sorte) de Carnets de thèse est notamment forcée de donner des cours de littérature médiévale, alors qu’elle n’y connaît rien.

«Littérature médiévale, fait chier… Ma culture Moyen Âge c’est Game of Thrones… Éventuellement Robin des Bois à cause du ménestrel» (p. 41).

Dans le même avion, l’Oreille a aussi lu Prendre dates, le petit livre que Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet ont écrit sur le vif au moment de l’attentat contre Charlie hebdo. Ils rapportent les événements de janvier 2015 au concept de guerre civile.

«La guerre civile, celle de tous contre tous, notre devenir Game of Thrones, série néo-shakespearienne et para-moyenâgeuse où l’on trucide allègrement avec un goût prononcé pour les gorges tranchées, au couteau ou à la hache selon l’humeur» (p. 57).

Une période, une série télévisée — des regards bien différents.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Prendre dates le 29 septembre 2015 et Carnets de thèse, le 12 septembre 2015.

 

Références

Boucheron, Patrick et Mathieu Riboulet, Prendre dates. Paris, 6 janvier-14 janvier 2015, Lagrasse, Verdier, 2015, 136 p.

Rivière, Tiphaine, Carnets de thèse, Paris, Seuil, 2015, 179 p.

Mais bien sûr !

Maxime Raymond Bock, Des lames de pierre, 2015, couverture

Si les choses peuvent refluer, c’est évidemment qu’elles peuvent fluer. Exemple, tiré d’un roman de Julia Deck : «La rame entre dans la station. Les usagers s’écrasent contre les vitres jusqu’à l’ouverture des portes, fluent sur le quai, refluent docilement à l’intérieur sous l’injonction du signal sonore, et les nouveaux venus jouent des coudes pour s’immiscer dans le wagon» (p. 27-28).

Si un animal s’appelle le paon, il y a nécessairement le verbe paonner. Exemple, tiré d’une novella de Maxime Raymond Bock : «Don Alejandro fêterait sa renaissance, paonnant dans son costume d’insupportable charro, invitant sans doute les mariachis de la ville» (p. 58).

Il suffisait de prêter attention.

 

Références

Deck, Julia, Viviane Élisabeth Fauville, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 99, 2014, 166 p. Édition originale : 2012.

Raymond Bock, Maxime, Des lames de pierre. Novella, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 104 p.

Huit verbes pour un vendredi matin

Pour les hommes, les vrais : mecspliquer — «Today I learned that the word for “mansplain” in French is mecspliquer thanks to @GretchenAMcC» (@heatherfro).

Pour les amateurs de café et de procrastination : procraféiner — «Mon nouveau mot préféré : procraféiner» (@sylvie_gagnon).

Pour les gens (trop polis) — se courtoiser : «Maître Rabutin et maître Bronlard se courtoisent à la porte de ma cellule. Et que je te m’efface pour te mieux m’avancer. Finalement l’un sort, l’autre entre, la porte se referme et nous voici entre Bronlard et moi» (Monsieur Malaussène, p. 416).

Pour les non-sentimentaux — défleurbleuiser : «Doyon artiste des transitions. Son ton caustique défleurbleuise le propos. #tedxdrummond» (@profenhistoire).

Pour les amateurs de tam-tam — djember : «La sortie du métro avait des airs de Centre Bell. Ça chante, ça djembe, ça fait du bruit… #Manif22mars» (@OursAvecNous).

Pour les craintifs de l’assiette — éco-rassurer : «merci de préciser la sorte de poisson pour nous éco-rassurer» (la Presse, 23 mai 2015, cahier Gourmand, p. 5).

Pour les cyclistes et les automobilistes — emportiérer.

 

Emportiérage (laPresse+, 6 avril 2014)

Pour les amateurs de télé — mcgilliser : «Merci à @Ant_Robitaille d’avoir inventé l’espression “mcgillisé” dans le débat @thereseparisien vs @PhDesrosiers à #BazzoTv :)» (@mcgilles).

 

Référence

Pennac, Daniel, Monsieur Malaussène. Roman, Paris, Gallimard, 1995, 545 p.

Aide bibliographique demandée

Illustration tirée de Refrancison-nous, 1951, deuxième édition

Dans son prochain livre, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), l’Oreille tendue aimerait bien reproduire l’illustration ci-dessus.

Malheureusement, elle n’arrive pas à en trouver la source.

Gilles Pellerin la reproduit dans Récits d’une passion (1997, p. 110) et donne Refrancisons-nous (1951) comme source. Or l’Oreille a cet ouvrage dans sa bibliothèque et l’image ne s’y trouve pas.

Ça vous dit quelque chose ?

 

[Complément du 5 août 2015]

Mystère éclairci : en 1951, il y a eu deux éditions de Refrancisons-nous. La première — celle que possède l’Oreille — n’a qu’une illustration. La seconde, plusieurs. C’est elle que Gilles Pellerin a utilisée. L’illustration ci-dessus y est reproduite à la p. 14.

 

Références

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 142 p. Ill. Première édition.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p. Ill. Deuxième édition.

Pellerin, Gilles, Récits d’une passion. Florilège du français au Québec, Québec, L’instant même, 1997, 157 p. Ill.

Langue grand-maternelle

Jean-Claude Corbeil, l’Embarras des langues, 2007, couverture

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

L’Oreille tendue travaille à un nouveau livre. Ça s’appellera Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) et ça devrait paraître en octobre chez son éditeur habituel, Del Busso éditeur.

Dans le premier texte, déjà partiellement paru ici, il y aura cette phrase :

On entend parfois telle chroniqueuse vanter la langue impeccable de sa mère ou de sa grand-mère, elle qui n’avait qu’une «cinquième année». Cela est peut-être vrai, mais, à l’oral, sauf pour des périodes récentes, c’est invérifiable et, dès lors, inutilisable dans une démonstration raisonnée.

L’Oreille n’est pas la seule à se méfier des grands-mères.

C’est aussi le cas de Jean-Marie Klinkenberg :

Il n’est pas jusqu’à la hideuse faute d’orthographe — celle que tout le monde fait, mais dont tout le monde se défend, par exemple en l’attribuant à ces brebis émissaires que sont les dactylos, ou en entretenant la croyance aux mythiques grands-mères à l’orthographe pure — qui n’y jaillisse sous le doigt et l’œil de Mireille, telle une sanie qui le promet à la mort la plus sale (p. 190-191)

et de Jean-Claude Corbeil :

Chacun répond à la question en se reportant à ses souvenirs, à la grand-mère qui écrivait sans faute bien qu’elle ait peu fréquenté l’école, ou au souvenir que l’on garde de la manière dont on nous enseignait l’orthographe et la grammaire à l’école (p. 344).

L’Oreille est en agréable compagnie.

P.-S.—Elle a déjà parlé de sa grand-mère, . Cela n’avait strictement rien à voir avec ce qui vient d’être dit.

 

[Complément du 29 juillet 2015]

Nouvel exemple, dans le plus récent livre de Jean-Marie Klinkenberg, la Langue dans la Cité (2015) : «nous en connaissons tous, de ces héroïques grands-mères qui, sans jamais avoir fait d’études poussées, avaient une orthographe irréprochable, alors qu’aujourd’hui…» (p. 158)

 

Références

Corbeil, Jean-Claude, l’Embarras des langues. Origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise, Montréal, Québec Amérique, coll. «Dossiers et documents», 2007, 548 p. Préface de Louise Beaudoin.

Klinkenberg, Jean-Marie, «Lecture», dans Jacques Godbout, D’amour, P.Q. suivi d’un dossier par Jean-Marie Klinkenberg, Paris, Seuil, coll. «Points», 1991, p. 159-195.

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.