La 301e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.
Correspondre grâce à Guy Lafleur
On a beaucoup dit, depuis le milieu des années 1990 et l’apparition du World Wide Web, que la correspondance manuscrite était appelée à disparaître. L’Oreille tendue ne partage pas tout à fait ce point de vue.
Quoi qu’il en soit, cette menace n’empêche pas l’émission de nouveaux timbres-poste.
Récemment, Postes Canada a décidé de commémorer la carrière de Guy Lafleur, le célèbre ailier droit des Canadiens de Montréal, des Rangers de New York et des Nordiques de Québec — c’est du hockey. (Pour en savoir plus sur la représentation culturelle de Guy Lafleur, on clique ici.) Dans la série «Les héros du hockey», il figure à côté de Sidney Crosby, Phil Esposito, Mark Messier, Darryl Sittler et Steve Yzerman. Voilà «six des plus grands attaquants canadiens de la LNH à avoir joué». Cela se défend. Dire de chacun qu’il est un «héro», comme le fait Postes Canada, non.
Lafleur n’est pas le premier joueur des Canadiens à être honoré de la sorte.
Le visage de Maurice Richard a orné une série de timbres émis pour souligner la 50e édition du match des étoiles de la Ligue nationale de hockey en 2000. Il y côtoyait deux coéquipiers, Doug Harvey et Jacques Plante, et trois autres joueurs, Wayne Gretzky, Gordie Howe et Bobby Orr.
Rebelote en 2009, au moment de l’interminable centenaire de l’équipe montréalaise. Les joueurs retenus ? De nouveau Harvey, Lafleur, Plante et Richard, en plus de Jean Béliveau, Yvan Cournoyer, Ken Dryden, Bob Gainey, Bernard Geoffrion, Dickie Moore, Howie Morenz, Henri Richard (le frère de l’autre), Larry Robinson, Patrick Roy et Serge Savard.
La lettre est peut-être moribonde; pas l’enveloppe.
P.-S. — Il n’est pas du tout impossible que des timbres hockeyistiques aient échappé à l’attention de l’Oreille tendue. Elle n’est pas philatéliste.
P.-P.-S. — Dans son livre de 2006, l’Oreille avait déjà parlé du timbre de Maurice Richard de 2000.
Références
Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.
Melançon, Benoît, Épistol@rités, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Washing Machine», 2013. Édition numérique. Recueil de trois textes : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre (1996), «Postface inédite : Quinze ans plus tard» (2011) et «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier» (2011). http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506602/epistol@rites
Des nouvelles de l’imprimerie
Si tout va comme prévu, l’Oreille tendue : le livre arrivera aujourd’hui de l’imprimerie et sera en librairie au début de la semaine prochaine.
Au cours des dernières semaines, vous avez pu découvrir sa couverture (signée Samuel Cantin), sa quatrième de couverture et sa bande-annonce.
Ci-dessous, son avant-propos.
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L’Oreille tendue est née le 14 juin 2009. Ma vie numérique était intense depuis plusieurs années, mais, jusque-là, je n’avais pas trouvé l’approche qui me permettrait de créer un blogue.
J’ai pourtant utilisé, au fil des âges numériques, au moins quatre formats de disquettes. J’ai eu des adresses de courriel, dès la fin des années 1980, sur aol.com et sur compuserve.com, puis sur un serveur universitaire à partir de 1991. L’année suivante, de Paris, j’ai lancé une bibliographie numérique sur le XVIIIe siècle à partir d’un Minitel branché à Internet (si, si). J’ai monté mes premières pages Web, dans un éditeur de texte, presque au moment même de l’apparition d’Internet pour le grand public. J’ai publié un livre sur le courrier électronique, Sevigne@Internet, en 1996, fruit d’une conférence de l’année précédente. Le 18 mars 1997, je donnais pour la première fois une séance de cours, à l’Université de Montréal, sur «Informatique et littérature» (j’ai été reçu assez fraîchement). J’ai géré — les plus vieux se souviendront peut-être de la chose — un site gopher pendant quelques années. Bref, mes expériences numériques étaient nombreuses et anciennes, mais il m’en manquait une.
C’est en dirigeant un mémoire de maîtrise à l’Université de Montréal que j’ai découvert les deux principes qui allaient me permettre de bloguer. Ce mémoire, «Du blogue au livre. Réflexions sur la nature générique du blogue», ne portait pas stricto sensu sur le blogue, mais sur la transformation en livres du contenu de trois blogues québécois. Son auteur, Éric Vignola, y formulait deux hypothèses : que les blogues qui durent proposent très régulièrement de nouveaux textes; que ces blogues ont une thématique forte.
Pour moi, cette thématique serait la langue, et la périodicité, pendant plusieurs années, quotidienne. Je pouvais devenir blogueur. À ces deux principes fondateurs, un troisième s’est rapidement ajouté : un personnage y parlerait, l’Oreille tendue; ce serait moi sans être moi, l’enseigne à laquelle je logerais.
Pourquoi m’obliger à écrire tous les jours ? Au moment de lancer mon blogue, j’occupais des postes de direction dans mon université. Pour écrire autre chose que de la prose administrative, rien de tel qu’une obligation comme celle-là. (Cela va sans dire : écrire rend heureux.)
Avoir une thématique forte, en l’occurrence les questions de langue, surtout au Québec, mais pas uniquement, n’interdit pas d’aborder d’autres sujets. L’Oreille tendue parle donc aussi de sport et de culture, de politique, d’actualité, de livres.
Les pages qui suivent reprennent quelques-uns des 2797 textes publiés à ce jour sur mon blogue. Des ensembles de textes ont été complètement laissés de côté : les citations, les portraits choisis, les annonces autopromotionnelles, les entrées collées sur l’actualité, les néologismes et leurs définitions, les bibliographies, les entrées de mon dictionnaire personnel de rhétorique. Il en va de même pour ceux déjà repris sous forme de livre, dans Langue de puck. Abécédaire du hockey (2014), puis dans Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) (2015). Le blogue est illustré; pas ce livre. En ligne, il y a des commentaires des lecteurs; point ici. L’Oreille tendue s’appuie souvent sur le Dictionnaire québécois instantané que j’ai cosigné avec Pierre Popovic (2004); quand c’est le cas, je n’ai généralement pas retenu ces textes.
Les textes conservés ont été regroupés thématiquement et, très souvent, réécrits, découpés, réorganisés, augmentés, sans que soit retenue leur date de parution initiale. Ils devraient donner une idée du contenu de L’Oreille tendue, mais sans s’y substituer. Un blogue, ce n’est pas un livre. Ce livre n’est pas mon blogue.
Benoît Melançon
31 août 2016
Références
Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.
Melançon, Benoît, Épistol@rités, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Washing Machine», 2013. Édition numérique. Recueil de trois textes : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre (1996), «Postface inédite : Quinze ans plus tard» (2011) et «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier» (2011). http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506602/epistol@rites
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.
Melançon, Benoît, l’Oreille tendue, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 411 p.
Vignola, Éric, «Du blogue au livre. Réflexions sur la nature générique du blogue», Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, juillet 2009, x/114 p. https://doi.org/1866/3754
Écrire pendant qu’il est temps
«Rassurez-vous. Pas plus qu’un autre,
je ne saurais tenir indéfiniment une note très grave.»
En 1995 — l’Oreille tendue y était —, Normand Lalonde, qui lui avait déjà consacré son mémoire de maîtrise, soutenait à l’Université de Montréal sa thèse de doctorat sur Flaubert : «Flaubert et la faute du temps. Éternité, évolution et origine dans Bouvard et Pécuchet.»
C’est ce Flaubert, celui de Bouvard et Pécuchet, qui est en épigraphe à son recueil Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses : «Pécuchet jusqu’à deux heures du matin se promena dans sa chambre. Il ne reviendrait plus là; tant mieux ! Et cependant, pour laisser quelque chose de lui, il grava son nom sur le plâtre de la cheminée.»
Ces phrases ont une résonance particulièrement forte aujourd’hui. «Ne plus revenir là» ? En effet : diagnostiqué d’une tumeur au cerveau en 2007, Normand Lalonde est mort en 2012. «Laisser quelque chose de lui» ? Dans l’ordre littéraire, ce sera ce livre, «sélection» (p. 60) des aphorismes qu’il a écrits durant les cinq dernières années de sa vie.
Professeur de littérature et de cinéma au collège Maisonneuve à Montréal, Normand Lalonde était un homme de livres et de mots. Deux des trois lignes de force du recueil l’attestent.
L’homme de livres évoque quelques auteurs, assez peu nombreux (outre Flaubert, une quinzaine), mais il est sensible à la vie de la littérature et, surtout, il ne cesse de s’interroger sur sa propre pratique. Plusieurs aphorismes portent sur les pouvoirs du langage, notamment une série ayant pour centre la formule «Tout a été dit» (p. 55-57). D’autres prennent la forme même de l’aphorisme comme objet. Pourtant, Lalonde écrit : «Quand on montre aux autres ses origamis, on ne les déplie pas» (p. 33). C’est un de ces paradoxes que l’auteur affectionne : il fait voir de quoi les aphorismes sont faits, tout en disant ne pas le faire.
L’homme de mots aime reprendre et déplacer les phrases toutes faites et cela dès l’ouverture du livre : «Ô Poésie ! Que de rimes en ton nom l’on commet !» (p. 8) La tâche semble passionner Lalonde, qui la sait ardue : «Il n’est pas si facile de s’approprier un lieu commun» (p. 44). Les exemples sont partout : «Les paroles s’envolent, les écrits s’écrasent» (p. 10); «Une fois qu’on a jeté le bébé, rien ne sert de garder l’eau du bain» (p. 24); etc.
La dernière ligne de force du recueil rassemble les textes concernant la maladie et la mort. Le ton n’est pas celui de la lamentation. L’humour (noir) est partout présent. Normand Lalonde savait qu’il allait mourir, mais cela ne l’empêchait pas de noter des choses comme celles-ci : «J’ai vu mon neurochirurgien, mon radiothérapeute et mes deux oncologues ce matin. Ils avaient l’air en forme» (p. 28); «Rien ne sert de pourrir. Il faut partir à point» (p. 42); «Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là» (p. 55); «L’ironie lasse vite. Et la vie est extrêmement longue» (p. 53). Pour Normand Lalonde, elle ne l’aura pas été. Il le sait et le dit, sans s’appesantir, avec l’élégance de celui qui refuse d’exhiber sa condition.
Ces lignes de force regroupent beaucoup de textes, mais pas tous.
On appréciera encore :
les synthèses historiques : «Adam et Ève n’avaient peut-être pas de nombril, mais leurs descendants se sont amplement rattrapés» (p. 39);
les choses vues : «Dans les quartiers huppés et dans les bidonvilles, il n’y a pas de trottoirs» (p. 25);
les raisonnements imparables : «Un rôti de veau n’est pas un jeune rôti de bœuf» (p. 49);
les conseils : «Commence par te demander sérieusement ce que tu ferais si tu étais à ta place» (p. 46).
Ce ne sont pas les plus nombreux, mais quelques aphorismes abordent la politique, parfois de façon indirecte : «J’aimerais mieux appartenir à une grappe de raisins qu’à un régime de bananes» (p. 50). Dans ces Petites méchancetés et autres gentillesses, il est notamment question de l’indépendance du Québec, sur laquelle Lalonde ne se faisait pas d’illusion : «N’ayez aucune crainte. Dans un Québec libre, tout serait possible. Exactement comme aujourd’hui» (p. 20).
Normand Lalonde aura laissé les signes d’une forte individualité, sensible au monde autour de lui, et une voix d’auteur.
P.-S. — Lalonde est de ces écrivains qui aiment Tintin : «Ce n’est tout de même pas ma faute si Les bijoux de la Castafiore sont un des sommets de l’art du vingtième siècle» (p. 28); «Si je n’étais Tintin, je voudrais être Diogène» (p. 30). On ne saurait le lui reprocher.
Références
Lalonde, Normand, «Bibliothèques de Bouvard et Pécuchet», Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, 1988, 84 p.
Lalonde, Normand, «Flaubert et la faute du temps. Éternité, évolution et origine dans Bouvard et Pécuchet», Montréal, Université de Montréal, thèse de doctorat, 1995, viii/300 p.
Lalonde, Normand, Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p. Suivi de «Normand Lalonde (1959-2012). Portrait aux yeux mouillés», par Manon Riopel et Jean-François Vallée.
Toi, mon pâté chinois
Les défenseurs de la cuisine québécoise se plaignent souvent de son manque de reconnaissance sur la scène publique. Outre la poutine, autrefois mise en livre par Charles-Alexandre Théoret (2007), il faudrait encenser les richesses de la cuisine d’ici.
Ce souhait est parfois accompagnée d’une interrogation sur la place du pâté chinois dans la culture québécoise. Pâté chinois ? Pour aller vite, trois couches : steak haché, maïs (blé d’inde), pommes de terre en purée. Autrement dit, un parent du hachis parmentier. Ce pâté a lui aussi ses livres, signés Bernard Arcand et Serge Bouchard (1995), André Montmorency (1997) ou Jean-Pierre Lemasson (2009).
Ce plat basique — du moins en sa forme canonique — peut également servir à décrire une personne. Exemple tiré de la Presse+ du 21 octobre 2016, où il est question de deux joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, Carey Price et Shea Weber : «Il n’y a rien de compliqué avec ces deux-là, ils sont du type “steak-blé d’Inde-patates” et on doute fortement qu’ils aient des problèmes de tension.»
Qu’on ne s’y trompe pas : c’est un compliment.
Références
Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p.
Lemasson, Jean-Pierre, le Mystère insondable du pâté chinois, Verdun, Amérik média, 2009, 139 p. Ill.
Montmorency, André, la Revanche du pâté chinois, Montréal, Leméac, 1997, 253 p.
Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.