On ne dit plus…

Maman, j’ai corrigé tout seul ma dictée; on dit Papa, j’ai fait une dictée métacognitive.

Se faire refuser de partout; on dit Lancer un projet de crowdfunding (@s20b).

Hélicoptère téléguidé; on dit drone (@machinaecrire).

J’ai oublié; on dit C’était dans mon angle mort.

Tu es puni; on dit Tu vas avoir une conséquence.

Parler; on dit S’asseoir.

Je voudrais voir un commis; on dit Je voudrais m’asseoir avec un associé.

J’suis pris dans une réunion; on dit Je participe à une solution accélérée.

J’ai une collection de bouchons de bouteilles de bière Dow; on dit Je fais de la curation brassicole.

P.-S. — On peut (ré)entendre toute une série de «On ne dit plus…» dans une assez mauvaise livraison de l’émission de radio Sur les docks intitulée «Se désintoxiquer de la langue de bois» (France Culture, 7 mai 2014).

NéologISMEs du jour

L’autre jour, c’était des néologismes en -ation. Aujourd’hui, en -isme.

«Conf de Jérémy Rifkin qui vante les apports de #Wikipédia et du prosumérisme» (@mathdenel). Venu de l’anglais (prosumer, prosumerism), ce mot unit le professionnel et le consumérisme / consommateur.

«Homo et d’extrême droite : qu’est-ce que “l’homonationalisme” ? http://lemde.fr/1CtTYtk» (@lemondefr). Gay et frontiste, donc.

«L’émission sur le supporterisme de @franceculture est excellente. http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5035093» (@romainhsc). Supporterisme ? L’activité des supporteurs.

L’Oreille tendue a déjà parlé, à la suite de son collègue Pierre Popovic, de festivalesque. Le Devoir, lui, parle de «festivisme» (5 avril 2013).

«Langue française propose-t-elle de + en + de nonologismes & égologismes dites ?» (@JocelyneRobert) Ceux-là sont pour les nonos et leurs égos.

La langue de Jacques Parizeau

Portrait de Jacques Parizeau

L’homme d’État québécois Jacques Parizeau vient de mourir à 84 ans. Dans le magazine culturel Spirale, il y a plus de vingt-cinq ans, l’Oreille tendue consacrait quelques lignes à sa maîtrise linguistique.

POILS DE GRENOUILLE : Le rapport de Jacques Parizeau à la langue n’est pas qu’instrumental. Qui d’autre que lui dans le monde politique québécois pourrait utiliser des expressions telles que «On ne va tout de même pas se mettre à gosser les poils de grenouille !» ou «Il faut se grouiller le popotin» ? (Ces exemples sont donnés par Lysiane Gagnon dans une chronique consacrée à «La langue parizienne» dans la Presse du 3 octobre.) On dira deux choses de ce rapport à la langue. D’une part, il distingue Parizeau de la majorité des hommes politiques du Québec, et particulièrement de Robert Bourassa; le refus de ce dernier de participer à un débat avec son adversaire n’était sûrement pas lié qu’à des considérations politiciennes. D’autre part, parce qu’il témoigne d’un réel souci de l’expression, il condamne Parizeau à rester dans l’opposition : que feraient les Québécois d’un premier ministre préférant à la familiarité l’intelligence de la langue ?

Le texte complet est disponible ici.

P.-S. — On doit aussi à Jacques Parizeau l’autopeluredebananisation.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Fragments de dictionnaire pour une campagne», Spirale, 93, décembre 1989 / janvier 1990, p. 14. http://www.mapageweb.umontreal.ca/melancon/langue_elections_spirale_1989.html

La totale

Marie Saint Pierre, publicité, 2015

Soit cette publicité.

La designer québécoise Marie Saint Pierre invente des parfums. Ils sont «urbains» (ah ! les odeurs urbaines !) et «structurés» (c’est mieux que «déstructurés», non ?), comme ses «créations» (oh ! les créations urbaines ! les créations structurées !) et comme son «style de vie» (ouh ! le style urbain de vie / le style de vie urbaine ! le style structuré de vie / le style de vie structurée !). Les uns «reflètent» les autres.

Mais ce n’est pas tout.

Ses parfums sont «chargés de cette plénitude qu’apporte la nature à chacun». Un parfum urbain (venu de la nature), structuré, plein, naturel (mais en ville) et individualisé («à chacun») : on ne saurait exiger plus.

Quelle poésie ! Quelle richesse ! Quelle audace ! Du grand art, «forcément».

(Merci à @YvonBrisson pour la photo.)