Fil de presse 043

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Glane périodique de livres ou de numéros de revue sur la langue.

Trouillier, Pierre, Quand la langue s’enflamme. Une histoire des mots qui nous divisent, Paris, Novice, 2023, 156 p. Illustrations de Mathieu Persan.

Toman, Cheryl, Karen Ferreira-Meyers, Anne-Laure Rigeade et Lilas Al Dakr (édit.), Bilinguisme, plurilinguisme et francophonie. Mythes et réalités, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Imaginaires francophones», 2023, 200 p.

Stavans, Ilan (édit.), The People’s Tongue. Americans and the English Language, Brooklyn, Restless Books, 2023, 512 p.

Rancourt, Jacques, la Traversée des langues. Essai sur le fonctionnement des langues à travers le monde, Paris, Armand Colin, 2023, 224 p.

Rabatel, Alain, Une histoire du point de vue. De la narratologie à la linguistique — Tome 1, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Linguistique», 2023, 328 p. Réédition fac-similé précédée d’un avant-propos de l’auteur.

Pruvost, Jean, la Politesse. Au fil des mots et de l’histoire, Paris, Tallandier, 2022, 320 p.

Ponsonnet, Aurore et David Berry, Eugénie de l’orthographe, Villeurbanne, Lapin, 2023, 112 p. Bande dessinée.

Picherot, Émilie, la Langue arabe dans l’Europe humaniste 1500-1550, Paris, Classiques Garnier, coll. «Perspectives comparatistes», 127, 2023, 471 p.

Novarina, Valère, la Clef des langues, Paris, P.O.L, 2023, 512 p.

Mots et expressions de Pierre Larousse, Paris, Larousse, 2022, 176 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Morel, Benjamin, la France en miettes. Régionalismes, l’autre séparatisme, Paris, Éditions du Cerf, 2023, 268 p.

Mairet, Aude, la Fabrique de l’anglais. Genèse socio-culturelle d’une langue à la fin du Moyen Âge, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. «Histoire ancienne et médiévale», 2023, 344 p.

Haddad, Raphaël (édit.), L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ?, Paris, Le Robert, coll. «Temps de parole», 2023.

Guerard, Françoise, Grosse légume, reine des pommes et herbes folles. Les secrets de 1001 expressions fleuries et fruitées, Paris, Éditions de l’Opportun, 2023, 336 p.

Écho des études romanes, 18, 2023. Dossier «Linguistique textuelle, linguistique de corpus», sous la direction de Guy Achard-Bayle et Ondrej Pesek.

Coquet, Jean-Claude, Phénoménologie du langage, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Philosophie et langage», 2022, 272 p. Choix de textes édité par Michel Costantini et Ahmed Kharbouch.

Comblain, Annick, Bilinguisme et apprentissage précoce des langues. Entre idées reçues et fausses croyances, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. «Essai», 2023, 300 p.

Colas-Blaise, Marion, l’Énonciation. Évolutions, passages, ouvertures, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. «Sigilla», 9, 2023, 353 p.

Cassan, Élodie, le Langage de la raison. De Descartes à la linguistique cartésienne, Paris, Vrin, coll. «Problèmes de la raison», 2023, 280 p.

Les Cahiers du dictionnaire, 14, 2022, 558 p. Dossiers «Dictionnaire et grammaire» et «Dictionnaire et liberté».

Audisio, Gabriel et Isabelle Rambaud, Lire le français d’hier. Manuel de paléographie moderne XVe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, coll. «U», 2023, 304 p. Sixième édition.

De l’intérêt de l’écriture inclusive

Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, 2022, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? (2022), de Peter Burke, dans la traduction de Christophe Jaquet :

De même, des historiens féministes ont essayé non seulement de rendre les femmes «visibles» dans l’histoire, mais aussi d’écrire sur le passé d’un point de vue féminin (p. 121).

Qui sont ces «historiens féministes» ?

S’il s’agit uniquement d’hommes, on ne voit pas bien comment ils seraient capables d’écrire «d’un point de vue féminin». De même, on pourrait les accuser de paternalisme : des hommes «essaieraient» de «rendre les femmes “visibles”», mais pas elles-mêmes ?

S’il s’agit de femmes et d’hommes — ainsi que permet de le penser certaine «règle» de la grammaire française —, on peut imaginer que «rendre les femmes “visibles”» et «écrire […] d’un point de vue féminin» n’auraient pas tout à fait le même sens pour les unes et pour les autres.

Il existe pourtant des formes diverses d’écriture inclusive, dont certaines sont faciles à pratiquer.

Essayons ceci, à défaut de complètement réécrire la phase :

De même, des historiennes et des historiens féministes ont essayé non seulement de rendre les femmes «visibles» dans l’histoire, mais aussi, pour les historiennes, d’écrire sur le passé d’un point de vue féminin.

À votre service.

 

Référence

Burke, Peter, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, Paris, Les Belles Lettres, 2022, vii/255 p. Édition originale : 2004. Troisième édition : 2019. Avant-propos d’Hervé Mazurel. Préface à l’édition française de Peter Burke. Traduction de Christophe Jaquet.

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.

Qu’arrive-t-il au Devoir ?

L’écriture inclusive occupe une étrange place dans les débats publics, au Québec comme en France. Cette façon de s’exprimer, que bien peu de gens cherchent à imposer dans toutes les circonstances de la vie publique et privée, cristallise néanmoins des positions idéologiques qui dépassent largement le cadre linguistique. Elle rend fous un certain nombre de commentateurs.

Prenez le quotidien montréalais le Devoir. Au cours de la dernière année, il a publié deux textes complètement délirants sur cette question.

Le premier, celui de Christian Rioux, était tellement confus qu’il en devenait ridicule, mais il n’étonnait pas : la grogne nationaloconservatrice — restons polis — est le fonds de commerce de ce chroniqueur depuis plusieurs années.

Le deuxième — ce n’est malheureusement pas, selon toute probabilité, le second — a paru hier sous la plume de Philippe Barbaud. «Abolissons l’écriture “inclusive”», originellement publié dans la revue l’Action nationale, est repris par le Devoir dans sa rubrique «Des idées en revues». «Idées», dans ce cas, est un bien grand mot.

Barbaud a beau se présenter comme linguiste, il n’évoque guère d’argument linguistique pour s’en prendre aux recommandations du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral et de l’Office québécois de la langue française. Il préfère associer l’écriture inclusive au totalitarisme et à sa «manipulation des esprits», au «multiculturalisme canadien», à la «religion», à «la bienséance diversitaire», au racisme, voire — cela donne le vertige ! — à «la bigoterie communautariste anglo-américaine qui déferle sur le monde entier, et non pas seulement occidental, grâce à l’argent des églises évangélique, baptiste, catholique, pentecôtiste, méthodiste, et sectes affiliées, dont le zèle apostolique fournit le terreau nécessaire à la diffusion de l’islamisme radical et mortifère soutenu par les pétrodollars des monarchies musulmanes». Ouf. Il réussit encore le tour de force de mettre dans le même panier les recommandations locales en matière d’écriture inclusive et l’«esprit de normativité» de l’Académie française, qui résiste pourtant depuis des décennies à pareilles recommandations. C’est du grand n’importe quoi.

Le but secret de ces «documents gouvernementaux […] “toxiques”» ? «L’objectif inavoué est le reformatage en profondeur de la culture et de la conscience collectives de la population francophone du Canada, entre autres, pour qu’elle se plie aux exigences des minorités qui désormais nous gouvernent. Une acculturation à l’envers de la majorité, en quelque sorte.» (Une question, au passage : parmi ces «minorités», y aurait-il les femmes, dont la représentation dans la langue est évidemment un des objectifs de l’écriture inclusive ?)

Dites, le Devoir : quelle mouche vous pique ? Vous soignez votre lectorat réactionnaire ?

P.-S.—Conseil aux crinqués : personne ne vous oblige à pratiquer l’écriture inclusive. Si elle vous déplaît, ignorez-la. Il n’est pas indispensable d’imposer vos lubies à tout le monde.

Hockey, bibliographie et écriture inclusive

Marc Beaudet et Luc Boily, Tour du chapeau, 2022, couverture

Marc Beaudet et Luc Boily, après «Gangs de rues», lancent une nouvelle série de bandes dessinées sur le hockey avec deux titres : Tour du chapeau et le Grand Dégagement. (Il a déjà été question ici d’un des albums de la première série.)

Cette nouvelle série pose un intéressant problème bibliographique. En couverture des albums, on lit «Tatouées hockey !» tout en blanc, sauf pour le e, en orange. En écriture inclusive, on aurait pu, par exemple, écrire «Tatoué(e)s» ou «Tatoué.e.s». (L’écriture inclusive ? Par .)

Dans son catalogue (il faut cliquer sur «Détails»), Bibliothèque et Archives nationales du Québec a choisi «Tatouées».

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, données de catalogage, 28 novembre 2022

L’éditeur a fait le même choix dans ses URL : https://www.ada-inc.com/?s=tatouées.

N’est-ce pas se priver d’une des dimensions du nom de la série ?

Tant de questions (bibliographiques), si peu d’heures.

P.-S.—L’Oreille tendue a opté pour «Tatoué.e.s hockey !»

 

[Complément du 6 août 2023]

Depuis la rédaction de ceci, l’éditeur a changé d’idée : https://www.ada-inc.com/livres?collections%5B%5D=19.

 

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Tour du chapeau, Varennes, AdA, coll. «ScaraB», série «Tatoué.e.s hockey !», 2022.

Beaudet, Marc et Luc Boily, le Grand Dégagement, Varennes, AdA, coll. «ScaraB», série «Tatoué.e.s hockey !», 2022.