Westmount était une ville sur l’île de Montréal. Brièvement, elle en a été un arrondissement. Elle est aujourd’hui une de ces villes que l’on dit défusionnées.
Des élections s’y tiendront le 3 novembre.
Philip A. Cutler est candidat. Voici une de ses publicités.
On notera la symétrie linguistique : «Votez» / «Vote», «Conseil Municipal» / «City Council».
On notera aussi qu’elle n’est pas complète : la date est présentée à l’anglo-saxonne («Nov. 3 2013») et le nom du groupe Facebook est en anglais (facebook.com/VoteCutler), à moins que le candidat n’ait choisi de s’adresser à ses électeurs à la deuxième personne du singulier.
Le slogan est encore plus intéressant : «Everyone gets a say in OUR city !» Tout le monde a le droit de se prononcer à Westmount. En anglais seulement ?
L’Oreille tendue sera ce matin, le 28, peu après 10 h, au micro de Catherine Perrin, à Ici Radio-Canada première (yerk), pour parler des mots de la rentrée scolaire, avec Chantal Lamarre et Antoine Robitaille.
Le 17 septembre 2012, elle s’était livrée à un exercice semblable, toute seule dans son coin.
Sur Twitter, Stéphanie Chicoine a proposé, plutôt que Yinke une vie à vivre (yuvav), On vit juste une fois (ovjuf). OXO Translations penchait pour carpe diem.
Antoine Robitaille, lui, a signalé l’utilisation d’ortho et de épique.
«Charest !!!
Décalisse
C’est tu clair» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1).
Ces caractéristiques ? Le tutoiement. L’interlocution directe («Heille»), soit par le prénom (pour les femmes : Agnès Maltais, Pauline Marois, Line Beauchamp), soit par le patronyme (pour les hommes : Raymond Bachand, Jean Charest). Le recours au juron («esti», «osti», «Décalisse») ou à la vulgarité («marde», «cul»).
Peut-on dire de ces pancartes qu’elles sont représentatives de l’ensemble de celles qu’on a vues pendant le Printemps érable et depuis ? Évidemment pas : il aurait été impossible de relever le contenu de toutes les pancartes alors brandies. Peuvent-elles servir, seules, de corpus pour essayer de comprendre le rapport des Québécois à l’autre ? Pas plus. Disent-elles néanmoins quelque chose de ce rapport ? Sans aucun doute : que la familiarité reste un des traits profonds de la société québécoise, jusque dans son langage politique.
Précautions pré-commentaires
On objectera à l’Oreille tendue que toutes les pancartes n’avaient pas recours à cette proximité supposée. C’est vrai : «Où s’en va le Québec ? / M. Charest, / je veux connaître / votre itinéraire» (les Pancartes de la GGI); «Charest / reculez» (le Devoir, 17 avril 2012, p. A5); «Charest / les / voyous / c’est / vous» (le Devoir, 25 mai 2012, p. A1).
On lui objectera que certains manifestants avaient un vrai sens de la formule, familiarité ou pas. C’est encore vrai : pour l’Oreille, «Mon père est dans l’anti-émeute» (les Pancartes de la GGI) est un texte de pancarte admirable.
On lui objectera enfin que la vulgarité avait un ton bonhomme. Là-dessus, l’Oreille ne sera pas d’accord. «1625 / moé l’cul» (les Pancartes de la GGI); « Charest / Ta yeule / On peut s’crosser tu-seuls» et «Charest / Salaud / Le peuple aura ta peau» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1 et la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Charest, en prison, échappe pas ton savon» (la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Étudiants / fourrés / Beauchamp / mal / baisée !» : non, ce ne sont pas des textes bonhommes.
Au Québec (et au-delà), on a beaucoup entendu parler ces derniers jours du zèle de quelques fonctionnaires de l’Office québécois de la langue française. (On se prend parfois à penser que l’OQLF est l’Office québécois de la langue fantasmée.)
Il a d’abord été question d’un restaurateur auquel on reprochait d’avoir, pour parler de cuisine italienne, utilisé le mot «pasta». (Voilà pourquoi la levée de boucliers qui a suivi l’annonce de cet écart linguistique s’est appelée le «pastagate».) Un autre, a-t-on appris depuis, dans sa brasserie d’inspiration parisienne, avait désigné ses toilettes par «W.-C.» (pour le parisianisme «water-closets») et ses steaks par… «steaks» (au lieu de «biftecks»); cela n’a pas été apprécié. Pas plus, chez un troisième, que le fait de trouver le mot «exit» sur une décoration murale.
Le zèle des fonctionnaires concernés a été condamné par tous, y compris par l’OQLF et par la ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy.
En revanche, sauf erreur, on n’a pas entendu la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Marie Malavoy, rabrouer les fonctionnaires qui ont autorisé au moins une école montréalaise à participer au programme «SPIN ton stress». Elle aurait dû.
Le recours à l’anglais et au tutoiement intempestif, à l’école, est bien plus déplorable que la présence d’un mot italien sur le menu d’un restaurant italien.
En guise d’introduction, cette scène récente de la vie pétrolière de l’Oreille tendue (OT).
OT : Bonjour. J’étais à la pompe numéro 1. Ce sera sur ma carte de crédit.
La caissière : On insère la carte. On a une carte Air Miles ?
OT : Non.
La caissière : On peut reprendre sa carte.
Bref, ni tu ni vous. Le cas n’est pas unique. Pendant quelques années, l’Oreille et ses fils ont fréquenté une pizzeria où la serveuse leur demandait toujours «On est prêt(s ?) à commander ?».
L’Oreille avait co-abordé cette étrange utilisation du pronom indéfini deux fois dans son Dictionnaire québécois instantané de 2004.
D’abord aux p. 72-73, sous la rubrique «Trois règles grammaticales indispensables» (pour comprendre le français du Québec).
C’est à cet égard [les pronoms personnels] que les choses sont les plus poétiques dans la langue parlée au Québec : l’éternelle crise identitaire se manifeste jusque-là. Chers lecteurs, vois.
Je. Quand la Révolution tranquille battait son plein, il était de bon ton de souligner que les nations colonisées étaient pleines de gens qui n’arrivaient pas à s’affirmer : ils ne savaient pas dire je. C’est réglé. On est en fait tombé dans l’excès inverse : «Attention, je recule souvent» (inscription à l’arrière d’un camion de vidange); «Je suis temporairement en panne» (panneau sur un guichet automatique).
Tu. 1. Les conjugaisons stressent souvent les apprenants. C’est pourquoi il est devenu courant de n’apprendre que les verbes à la deuxième personne du singulier; on fait l’économie du pluriel. Tu es prêt, le groupe ? 2. La répétition de ce pronom sert à marquer l’insistance. «Tu m’aimes-tu ?» (chanson de Richard Desjardins).
Il. Voir y.
Elle. Opportunément remplaçable par a. Céline, a chante fort.
Nous. Le plus généralement remplacé par on, notamment dans la vie de couple. Autre économie de conjugaison.
Vous. Pronom élitiste. Voir tu et on.
Ils. Voir y.
Y. Pronom universel qui exclut la personne qui parle. Le monde, y sont malades. Y est beau, ce gars-là.
On. Pronom universel qui inclut la personne qui parle. Au Québec, on est malades. On est beau comme couple. «Une chance qu’on s’a» (chanson de Jean-Pierre Ferland). Exception : à la forme interrogative, on désigne la deuxième personne, du singulier comme du pluriel. On veut un gratteux avec ça ?
Puis à la p. 151.
1. Pronom personnel de la deuxième personne du singulier et du pluriel. On prendrait un petit dessert avec ça ?
2. Pronom personnel de la première personne du pluriel. «On est six millions, faut se parler» (slogan publicitaire des années soixante-dix).
Dans le même ordre d’idées, une lectrice assidue de l’Oreille lui glisse à l’oreille la remarque suivante :
Cela dit, «on inclut la personne qui parle» n’a rien de propre au Québec, comme tu le sais. C’est la règle «on exclut la personne qui parle» qui est une aberration pure ! Je me demande pourquoi on enseignait ça dans tous les cours de français. Et d’où elle vient.
Bénéficiaires, même si on ne sait quoi répondre à cette question, on espère néanmoins avoir pu t’être utile.
[Complément du 6 février 2013]
En linguistique, on a beaucoup écrit sur le «on». Voir ce texte, par exemple, d’une fidèle lectrice de l’Oreille tendue : Bourassa, Lucie, «Ritournelle», Contre-jour : cahiers littéraires, 7, 2005, p. 59-60 (PDF).
[Complément du 28 octobre 2015]
Aujourd’hui, au marché :
Elle : On met votre biscuit dans votre sac ?
OT : Oui, on l’y met.
[Complément du 20 septembre 2016]
Dans l’exemple suivant, le «on» inclut manifestement «la personne qui parle» : «En passant par le rayon dédié à la pharmacie, elle m’a examiné et déclaré qu’il fallait que je décide si oui ou non on aurait besoin de préservatifs» (Récit d’un avocat, p. 66).
[Complément du 3 mars 2018]
Même une société d’État s’en mêle, Hydro-Québec, dont une publicité de 2017 commençait par «On exclut la personne qui parle. Vous avez déjà entendu ça.» Oui, en effet, et malheureusement.
https://youtu.be/NMn1F2rY66I
[Complément du 24 mai 2022]
Dans son infolettre du jour, «Sur le bout des langues», Michel Feltin-Pelas met en lumière la richesse du pronom «on». C’est ici.
[Complément du 11 juillet 2023]
Si l’on se fie à cet extrait d’un courriel du 23 juin 2023, le Fonds de solidarité FTQ croit manifestement aux vertus inclusives du on :
[Complément du 12 juillet 2023]
Bel usage du on policier dans une scène du film la Cité de l’indicible peur, de Jean-Pierre Mocky (1964). Jean Poiret incarne le brigadier Loupiac dans cet échange avec l’inspecteur Simon Triquet (Bourvil).
Brea, Antoine, Récit d’un avocat, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 100, 2016, 115 p.
Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.