Ami ami, bis

Portrait de Michel de Montaigne

«Un ami est un ami.»
Laurent Ruquier

Au Québec, l’amitié est une chose subtile.

On peut être l’ami de quelqu’un. On peut être son chumau-delà du raisonnable —, peu importe le sexe : un chum de gars, une chum de fille. On peut aussi se mettre chummy avec quelqu’un.

Il existe au moins deux graphies de la chose.

«Trump se fait chummé avec la Russie», écrit Olivier Niquet dans son excellente lettre d’information, Tourniquet Express.

Même graphie chez Christophe Bernard dans la Bête creuse : «C’était la fête, du monde en masse, et de tous les âges, chummés, l’âge comptait pas» (p. 597).

«Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas», chante Mad’MoiZèle GIRAF.

Le é final de Niquet et Bernard doit évoquer une prononciation distincte de celle du duo québécois de raggamuffin.

Vous faites bien comme vous voulez.

P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Réféfence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Chantons la langue avec… : bilan d’étape

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

Le 22 novembre dernier, l’Oreille tendue inaugurait une nouvelle rubrique, «Chantons la langue avec…» Dans quel objectif ? Rassembler des chansons qui portent, brièvement ou longuement, sur la langue : lexique, accent, syntaxe, etc.

Après 69 livraisons, la besace de l’Oreille est aujourd’hui vide — mais toujours en attente de suggestions. Premier bilan d’étape.

Géographique : Québec (28 chansons); France (28); Canada, hors Québec (11); Suisse (2).

Générique : 38 chansons sont interprétées par des hommes, 9 par des femmes. Il y a aussi 19 pièces chantées par des groupes, et 3 par des duos.

Thématique : la question de l’accent et de la prononciation apparaît dans 30 chansons.

Chronologique : 1930-1939 (1); 1940-1949 (0); 1950-1959 (0); 1960-1969 (7); 1970-1979 (10); 1980-1989 (10); 1990-1999 (7); 2000-2009 (13); 2010-2019 (17); 2020-2024 (4).

Libre à vous de tirer des conclusions de tout cela. L’Oreille, pour sa part, s’en gardera bien.

À suivre.

 

[Complément du 7 février 2024]

Voici la liste complète des chansons repérées. Elle sera périodiquement actualisée.

(Version du 7 février 2025)

1. Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

2. French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

3. Chanson plus bifluorée, «Grammaire song», De concert et d’imprévu, 2006

4. Mireille Mathieu, «J’ai gardé l’accent», 1968

5. Gaële, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, 2010

6. Fabulous Trobadors, «L’accent», On The Linha Imaginòt, 1998

7. Mononc’ Serge et Anonymus, «Shitty accent», Métal canadien-français, 2024

8. Luc De Larochelière et Andrea Lindsay, «D’un accent à l’autre», 2014

9. Yves Duteil, «La langue de chez nous», album la Langue de chez nous, 1985

10. Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 (1992-2007), 2008

11. Grand Corps Malade, «À Montréal», 3ème Temps, 2010

12. La Bottine souriante, «La chanson de la langue française» / «Le reel à Blanchette» / «Le reel à Pierre Léon», les Épousailles, 1981

13. Sangria gratuite, «Mon accent», Y’a pas d’raison, 2007

14. Manu Militari, «Je me souviens», 2012

15. Michel Etcheverry, «Une pointe d’accent», Irrintzina, 1997

16. Paul Piché, «La gigue à Mitchounano», À qui appartient l’beau temps ?, 1977

17. Johnny Halliday, «Ton fils», Gang, 1986

18. Mad’MoiZèle GIRAF, «Montréal stylé», Peindre la GIRAF, 2009

19. Claude Cormier, «Garde ton accent», album Garde ton accent, 2018

20. Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978

21. Rock et Belles Oreilles, «I want to pogne», 1989

22. Ricoune, «Un petit Ricard dans un verre à ballon», 2002

23. Flagrants délires, «L’accent du Sud», la Couche d’eau jaune, 2008

24. Claude Barzotti, «Le Rital», album le Rital, 1983

25. Les enfoirés, «Qu’est-ce qu’on fout à Strasbourg ?», Bon anniversaire les enfoirés, 2014

26. Michel Bülher, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

27. Paul Demers, «Notre place», album Paul Demers, 1990

28. Michel Leeb, «Le tombeur», 1986

29. Castelhemis, «Coco», N’importe quelle sorte d’amour, 1982

30. Fernandel, «L’accent», 1963

31. Nicolas Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

32. Léo Ferré, «La langue française», album la Langue française, 1962

33. Pauline Julien, «Mommy», le Disque de l’Automne show, 1974

34. Renaud, «It is not because you are», Marche à l’ombre, 1980

35. Radio Radio, «Deux langues», 2021

36. Swing, «One Day», Tradarnac, 2007

37. Reney Ray, «Le p’tit Reney», album Reney Ray, 2018

38. Les Hôtesses d’Hilaire, «Super Chiac Baby», Touche-moi pas là, 2015

39. Gilles Vigneault, «I went to the market», 1976

40. Émile Bilodeau, «Candy», Grandeur mature, 2019

41. Shawn Jobin, «Au nom d’une nation (Tu m’auras pas)», Tu m’auras pas, 2013

42. Jean-Louis Foulquier, «Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom», Foulquier, 1993

43. Serge Gainsbourg, «En relisant ta lettre», l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961

44. Gilles Vigneault, «Ah ! que l’hiver», le Nord du Nord, 1968

45. Michèle Arnaud, «La grammaire et l’amour», 1965

46. Fatal Bazooka, «C’est une pute», T’as vu, 2007

47. Brigitte, «Monsieur je t’aime», Et vous, tu m’aimes, 2011

48. Jérémie Kisling, «Rendez-vous courtois», le Ours, 2005

49. Plume Latraverse, «Encore des mots», Plume pou digne, 1974

50. Serge Gainsbourg, «Les mots inutiles (De Vienne à Vienne)», 1961

51. Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

52. La Rue Kétanou, «Les mots», En attendant les caravanes, 2000

53. Java, «Mots dits français», Maudits Français, 2009

54. Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

55. Mononc’ Serge, «Le joual», Ça, c’est d’la femme !, 2011

56. La Bolduc, «La chanson du bavard», 1931

57. Alecka, «Choukran», album Alecka, 2011

58. Mononc’ Serge et Anonymus, «Métal canadien-français», album Métal canadien-français, 2024

59. Sylvain Lelièvre, «Lettre de Toronto», album Sylvain Lelièvre, 1978

60. Jean Lapointe, «Mon oncle Edmond», 1976

61. Daniel Lavoie, «Jours de plaine», 1991

62. Georges Langford, «Acadiana», album Acadiana, 1975

63. Big Balade, «Levons nos voix (Francos de l’Ontario)», 2015

64. Brian St-Pierre, «Mon beau drapeau», version de 2011

65. En Bref, «Grande histoire d’amour», Silence radio, 2014

66. IAM, «Chez le mac», l’École du micro d’argent, 1997

67. Robert Charlebois, «Punch créole», Longue distance, 1976

68. Jacques Tom Rivest, «La langue de son pays», album Jacques Tom Rivest, 1979

69. Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

70. Mansfield.TYA, «Le dictionnaire Larousse», Corpo Inferno, 2015

71. Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

Chantons la langue avec Robert Charlebois

Robert Charlebois, album Longue distance, 1976, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

N.B.—Le fait de reproduire ici une chanson n’est évidemment pas le signe qu’on en partage les valeurs.

 

Robert Charlebois, «Punch créole», Longue distance, 1976

 

Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Pays trop pitit pour gagner sa vie
Moi plus chanter oh ! non jamais chanter
Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Moi partir d’ici pour plus revenir
Moi plus chanter

Couché sur le dos
Dans le sable chaud
Avec sa doudou
Y fait son dodo
Les deux bras en croix
Comme le roi des rois
Y préfère mon île à son pays froid
Pour passer Noël et le Jour de l’an
Le touriste blanc qui a un p’tit argent

Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Pays trop pitit pour gagner sa vie
Moi plus chanter oh ! non jamais chanter
Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Moi partir d’ici pour plus revenir
Moi plus chanter

Il me fait courir
Après ses planteurs
Y m’appelle «Waiter»
D’un air supérieur
Ça m’met tout en sueur
Ça m’fait mal au cœur
Chu pas son chauffeur
Ni son serviteur
Mais chu d’la couleur
De ma clarinette
Je rêve aux sapins
Et aux épinettes

Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Pays trop pitit pour gagner sa vie
Moi plus chanter oh ! non jamais chanter
Moi plus chanter en créole
Plus jamais chanter en créole
Moi partir d’ici pour plus revenir
Moi plus chanter

 

Chantons la langue avec Alecka

Alecka, album Alecka, 2011, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Alecka, «Choukran», album Alecka, 2011

 

Choukran
Abadan
Afouan
Naiman
Achlan
Wasachlan
Gitan
Tabahan
Nanaidan
Choukran
Abadan
Afouan
Naiman
Achlan
Wasachlan
Gitan
Tabahan
Nanaidan

Mon teint olive
Mon accent québécois
J’ai l’regard de ma mère
Mais les sacres de mon père
C’est sûr se côtoient
Et festoient en moi
J’ai le cœur d’Allah
Mais le foie de saint Pierre
Ialbé
Iessanadé
Iadouri
Iabinté
Mahachla
Teta
Mahachla
Teta
Misarabla
Chus pas coupée en deux
C’est tout l’contraire
Les deux ont allumé mon feu
Je suis riche de millionnaires
Millions de musiques
Millions de mots
Millions d’histoires extraordinaires
Pour embrasser l’humanité entière
Choukran
Abadan
Afouan
Naiman
Achlan
Wasachlan
Gitan
Tabahan
Nanaidan

Mon teint olive
Mon accent québécois
J’ai les jambes de mon père
Mais les fesses de ma mère
C’est sûr se côtoient
Et festoient en moi
J’ai la moustache d’Allah
Mais l’auréole de saint Pierre
Ialbé
Iessanadé
Iadouri
Iabinté
Mahachla
Teta
Mahachla
Teta
Misarabla
Millions de musiques
Millions de mots
Millions d’histoires extraordinaires
Pour embrasser l’humanité entière
Choukran
Abadan
Afouan
Naiman
Achlan
Wasachlan
Gitan
Tabahan
Nanaidan
Coudon
Ben voyons don
Heille creton
C’est don ben bon
Heille creton
Dans l’fond
Bougon gigon
Ou bedon
Choukran
Tabarnan
Afouan
Quess tu fais là man
Achlan
Wasachlan
Ben voyons don
Entrez don
Restez pas sul perron
[autre passage en arabe]
C’est la langue de mon père
De mon grand-père Irénée
De forêts de rivières
Ô comme la neige a neigé
C’est la langue de mon père
De mon grand-père Irénée
De forêts de rivières
Ô comme la neige a neigé

 

P.-S.—L’Oreille tendue s’excuse auprès des arabophones pour cette transcription ô combien approximative, faite à partir de l’enregistrement en studio, non de la vidéo en concert.

 

Chantons la langue avec Fernandel

Fernandel, l’Accent du soleil, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Fernandel, «L’accent», 1963

 

De l’accent ? De l’accent ? Mais, après tout, en ai-je ?
Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ?
Et si je vous disais après tout, genses du Nord,
Que c’est vous qui, pour nous, semblez l’avoir très fort
Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde
«Ces gens-là n’ont pas le parler de tout le monde»
Et que, tout dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir d’accent, pour nous, c’est en avoir

Hé bien non, je blasphème et je suis las de feindre
Ceux qui n’ont pas d’accent, je ne peux que les plaindre
Emporter avec soi son accent familier
C’est emporter un peu sa terre à ses souliers
Emporter son accent d’Auvergne ou de Bretagne

C’est emporter un peu sa lande ou sa montagne
Lorsque, loin de chez soi, le cœur gros, on s’enfuit
L’accent, mais c’est un peu le pays qui vous suit

C’est un peu cet accent, invisible bagage,
Le parler de chez soi qu’on emporte en voyage
C’est pour le malheureux à l’exil obligé
Le patois qui déteint sur les mots étrangers
Avoir l’accent enfin, c’est chaque fois qu’on cause
Parler de son pays en parlant d’autre chose

Non, je ne rougis pas de mon si bel accent
Je veux qu’il soit sonore et clair, retentissant
Et m’en aller tout droit, l’humeur toujours pareille
Emportant mon accent sur le coin de l’oreille

Mon accent, il faudrait l’écouter à genoux
Il vous fait emporter la Provence avec vous
Et fait chanter sa voix dans tous nos bavardages
Comme chante la mer au fond des coquillages

Écoutez, en parlant je plante le décor
Du torride Midi dans les brumes du Nord
Il évoque à la fois le feuillage bleu-gris
De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris
Et le petit village où la treille splendide
Éclabousse de bleu la blancheur des bastides

Cet accent-là, mistral, cigales et tambourins
À toutes mes chansons donnent un même refrain
Et quand vous l’entendez chanter dans mes paroles
Tous les mots que je dis dansent la farandole

 

P.-S.—Yves d’Amécourt explique que ce texte est extrait de la Fleur merveilleuse de Miguel Zamacoïs.