Tic cinématojournalistique

Denys Arcand, le Confort et l’indifférence, film, 1981, affiche

Soit la phrase suivante, tirée d’un texte récent d’Yvon Rivard :

«J’espère que le pipeline Énergie Est — qui vise à blanchir le sable sale en l’exportant — ou que l’incroyable loi 106 sur la politique énergétique — qui traduit concrètement le déracinement politique du peuple — vont réveiller tous ceux que le confort a endormis dans l’indifférence sociale et spirituelle ou qui croient qu’il suffit de vouloir un pays et de définir ses valeurs pour échapper à la mondialisation de l’insignifiance.»

Soit celles-ci, dans le Devoir :

«Pourtant, il manque parfois un peu d’air de l’extérieur. Les motifs des uns et des autres, ce qui les amène à quitter leur emploi (le cas de Marcel Chaput, fonctionnaire fédéral, est bien connu), la sécurité et, tant qu’à y être, le confort et l’indifférence, comment s’expliquent-ils ?» (9-10 mai 2015, p. F4)

«À la fin, on reste avec l’impression que, épousant de trop près la logique de son sujet, Dimanche napalm nous rejoue la chanson du confort et de l’indifférence sans allumer de nouveaux feux» (15 novembre 2016, p. B7).

Soit les titres de presse suivants :

«L’inconfort de la différence», le Devoir, 16 novembre 2016, p. B9.

«L’inconfort et l’indifférence», la Presse+, 20 mars 2016.

«Le confort et la différence. La nouvelle pièce de Steve Gagnon dénonce cette “vie préfabriquée” imposée socialement», le Devoir 5-6 mars 2016, p. E3.

La conjonction, donc, des mots (in)confort et (in)différence. Pour quelqu’un d’étranger au Québec, sa fréquence pourrait étonner. Le mystère s’éclaircit facilement : en 1981, Denys Arcand tournait un film intitulé le Confort et l’indifférence.

Comme la paire hiver / force, (in)confort / (in)différence est un des lieux communs de la titrologie de souche.

 

[Complément du 3 juillet 2019]

En titre ?

«Le confort et l’indifférence» (le Devoir, 3 juillet 2019, p. A7).

«Au sud du confort et de l’indifférence» (la Presse+, 4 mars 2017).

«Le confort et l’indifférence» (le Code Québec, 2016, p. 95).

Dans le corps du texte ?

«“Nous n’avons jamais été aussi libres”, constate [Bernard] Émond, mais nous gaspillons cette liberté dans le confort et l’indifférence» (le Devoir, 21-22 janvier 2017, p. F6).

«Mais c’est un cercle vicieux, bien sûr. Plus nous nous engourdissons dans le confort et l’indifférence, plus ces plaisirs prennent la place des choses qui pourraient nous offrir un contentement véritable, et moins justement nous sommes satisfaits de notre existence. Alors nous retombons dans les obsessions, les addictions et la perte de sens généralisée» (Nouveau projet, 13, printemps-été 2018, p. 20).

«L’exploit sportif fait rêver. Il renvoie à l’amateur de sport, affalé dans le confort et l’indifférence de son sofa, une version sublimée de lui-même» (Dans mon livre à moi, p. 9).

«Les élèves de collèges qui ont réveillé la belle province endormie dans son “confort” et son “indifférence” forment les premières cohortes qui ont vécu la tant décriée réforme de l’éducation québécoise. La grève étudiante montre à quel point ces élèves ont intégré les fameuses compétences transversales : exploiter l’information; résoudre des problèmes; exercer son jugement critique; mettre en œuvre sa pensée créatrice; se donner des méthodes de travail efficaces; exploiter les technologies de l’information et de la communication; actualiser son potentiel; coopérer; communiquer de façon appropriée» (Martin Lépine, dans Carré rouge, p. 66).

Le temps serait-il venu d’envisager un (autre) moratoire ?

 

[Complément du 4 juillet 2019]

Ceci, dans la Presse+ du jour. Décidément…

«Le confort et l’indifférence», la Presse+, 4 juillet 2019

 

Références

Léger, Jean-Marc, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, le Code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, Montréal, Éditions de L’Homme, 2016, 237 p. Ill.

Nadeau, Jacques, Carré rouge. Le ras-le-bol du Québec en 153 photos, Montréal, Fides, 2012, 175 p. Ill. Note de l’éditeur par Marie-Andrée Lamontagne. Préface de Jacques Parizeau. Postface de Marc-Yvan Poitras.

Niquet, Olivier, Dans mon livre à moi, Montréal, Duchesne et du Rêve, 2017, 295 p. Ill. Mot de l’éditeur (Patrice Duchesne). Préface de Jean-René Dufort.

Rivard, Yvon, «Le péril qui sauve», Nouveau projet, numéro hors série «RétroProjecteur 2016-2017», 2016, p. 19.

Accouplements 78

Jean Echenoz, Lac, 1989, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La première phrase se trouve dans Un homme qui dort (1967) de Georges Perec : «Lèvres muettes, yeux éteints, tu sauras désormais repérer dans les flaques, dans les vitres, sur les carrosseries luisantes des automobiles, les reflets fugitifs de ta vie ralentie» (éd. de 1976, p. 37).

La seconde, dans Lac (1988) de Jean Echenoz : «Chopin reconnut là, garée dans le creux d’une ombre au coin de la rue du Jour, l’Opel bleu nuit du colonel; la ligne de poubelles se reflétait dans son pare-brise en cinémascope» (p. 77).

Par ses voitures, la ville se reflète.

 

Références

Echenoz, Jean, Lac. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1989, 188 p.

Perec, Georges, Un homme qui dort, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1110, 1976, 181 p. Édition originale : 1967.

Le niveau baisse ! (1969)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«La lente mais réelle désagrégation de la langue française au Québec, résultat de la situation politico-sociale globale, a favorisé l’épanouissement d’un cinéma qui ne fait pas confiance, dans la plupart des cas, aux entremises des structures linguistiques tel le scénario.»

Source : André Belleau, «Le cinéma québécois», Europe, 478-479, février-mars 1969, p. 246-251, p. 249-250.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

De la nécessité des sous-titres en France

On dit souvent que les Français ont besoin de sous-titres pour comprendre les films québécois. Il semble qu’ils aient d’autres problèmes de langue. C’est du moins ce que donnent à croire ces deux traductions appelées par l’astérisque.

Mauvaise traduction de l’anglais
Mauvaise traduction de l’anglais
L’Oreille tendue n’est pas du genre à tirer de profondes conclusions de ces exemples. Encore que…

Chronique mammaire

Le français populaire du Québec a plusieurs mots pour désigner la poitrine féminine. Nous avons déjà vu, Beau dommage à l’appui, djos.

On entend parfois aussi boules.

Dans un avion qui l’amenait à Paris, l’Oreille tendue est tombée sur l’offre cinématographique suivante :

Annonce de film, vol Air transat pour Paris, 12 novembre 2016

Cette «paire» de «boules» en a évoqué tout de suite une autre pour elle. L’Oreille aurait-elle l’esprit mal tourné ?

 

[Complément du 18 mai 2021]

Autre synonyme local : toton, comme dans téton ou teton.

Exemple romanesque : «— Terre de nos aïeux ! Ton front est sein [sic : pour ceint]… — Totons ! dit Fontaine, juste assez fort pour que ses voisins immédiats l’entendent. — De fleeeeurons glorieux !» (Jean-François Vaillancourt, Esprit de corps, p. 39)

Par métonymie, dans certaines régions du Québec, on associe ce terme au bar de danseuses (plus ou moins) nues : «On va aux totons» (Fabien Cloutier, Cranbourne).

Vous voulez marier lutte contre le cancer du sein et port du masque en temps de pandémie ? Proposez à vos clients le Masque rose. Slogan : «Toton masque ?» Ça ne s’invente pas. (Merci, en quelque sorte, à la Presse+.)

Le masque rose, contenant de masques, 2021

P.-S.—Il est aussi un toton sur un des barreaux de l’échelle de la bêtise.

 

[Complément du 3 juin 2022]

Quand Alexandre Castonguay et Nicolas Lauzon, dans le texte de théâtre Un coin jeté dans l’nord (2022), parlent de «calendriers avec des boules» (p. 33), ils ne pensent pas à Noël, mais à des personnes du sexe dévêtues à des fins chronologiques et publicitaires. C’est encore à la gorge que renvoient les «boules refaites» (p. 63).

 

[Complément du 19 décembre 2024]

Le titre National Lampoon’s Christmas Vacation (1989) a droit à deux traductions. En France, on a choisi Le sapin a les boules; au Québec, Le sapin a des boules. Dans le premier cas, on évoque l’énervement, avoir les boules signifiant «en avoir assez, être énervé», dixit le Petit Robert (édition numérique de 2018). Pas dans le second.

 

Références

Castonguay, Alexandre et Nicolas Lauzon, Un coin jeté dans l’nord, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 30, 2022, 91 p. Ill. Précédé d’un «Mot des auteurs». Suivi de «Contrepoint. Sacré cœur d’orignal», par Dali Giroux.

Cloutier, Fabien, Scotstown et Cranbourne, Montréal, TVA Films et Encore management, DVD, 2015.

Vaillancourt, Jean-François, Esprit de corps. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 149, 2020, 302 p.