Fil de presse 040

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Glanes linguistiques récentes.

Bosc, Michel, Langue française et musiques. Mille ans d’enjeux, Paris, L’Harmattan, coll. «Univers musical», 2022, 180 p.

Copello, Fernando et Sandra Contamina (édit.), Regards sur l’animal et son langage, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Interférences», 2022, 318 p.

Dallaire, Patrice, Réveillez-vous… bordel ! La tranquille soumission de la France à l’anglais, Paris, Vérone éditions, 2022, 86 p.

Dubois, Sophie et Louis Patrick Leroux (édit.), Esti toastée des deux bords. Les formes populaires de l’oralité chez Victor-Lévy Beaulieu, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2022, 312 p.

Le Français aujourd’hui, 218, 2022, 146 p. Dossier «L’implicite et ses lectures».

Gaignard, Anne-Marie, Jérôme Derache et GAO, Zazie sans fautes, Paris, Le Robert, 2022, 46 p.

Guérin, Maximilien et Michel Dupeux, Parlons bas-marchois. Une langue de transition entre oc et oïl, Paris, L’Harmattan, coll. «Parlons», 2022, 220 p.

Labeau, Emmanuelle, The Decline of the French Passé Simple, Brill, coll. «Empirical Approaches to Linguistic Theory», 18, 2022.

Leblanc, Bertin et Paul Gros, Éléments de langage. Cacophonie en Francophonie, Saint-Avertin, La boîte à bulles, 2022, 208 p.

Ménage, Gilles, Observations sur la langue françoise, Paris, Classiques Garnier, coll. «Descriptions et théories de la langue française», 6, série «Remarques et observations sur la langue française», 3, 2022, 2 vol., 1477 p. Édition de Marc Bonhomme.

Meschonnic, Henri, Proposition de Déclaration des devoirs envers les langues et le langage, précédée de l’Appel à sa traduction en mille langues pour dire beaucoup, Anglet, Zortziko, 2022, 90 p. Préface de Claude Sicre.

Meunier, Olivier, Scolarisation, bilinguisme et cultures amérindiennes en Guyane française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Des sociétés», 2022, 292 p.

Nore, Françoise, J’en perds mon latin ! Étymologies étonnantes des mots de tous les jours, Paris, Éditions de l’opportun, 2022, 249 p.

Ramond, Charles, Vingt-quatre études de philosophie du langage ordinaire, Limoges, Lambert-Lucas éditions, coll. «Philosophie et langage», 2022, 472 p.

Rapport annuel 2021 de la Commission d’enrichissement de la langue française, Paris, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, 2022, 175 p.

Urbain, Émilie et Laurence Arrighi (édit.), Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langues officielles et sociétés», 2021, 242 p

Bâtard !

Nuage de jurons, Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, case

Le 8 juin, le site du Robert accueillait une réflexion de la linguiste Anne Abeillé sur le mot bâtard : étymologie, sens, évolution, etc. Si le mot, dans le français du Québec, a les mêmes emplois qu’ailleurs dans la francophonie, il y a aussi un autre usage : c’est un juron.

Selon une «Analyse de l’utilisation des jurons dans les médias québécois» publiée en septembre 2003 par Influence Communication — étude qui paraît avoir disparu du Web —, celui-là arrivait en 28e position (sur 52) dans la liste «Les jurons les plus populaires» (p. 11).

Le personnage de Gérard D. Laflaque le pratiquait volontiers.

On l’a déjà vu chez le romancier Jean-François Chassay en 2006 : «J’ai l’impression de ne jamais avoir de bâtard de vocabulaire quand j’ouvre la bouche pis pas une ostie d’idée quand j’ouvre mon cerveau !» (p. 288)

On le croise dans Morel (2021) de Maxime Raymond Bock : «Prendre le métro aujourd’hui est une aventure, mais, bien qu’il trouve que le train roule vite en bâtard, cela lui fait plaisir de raconter à Catherine comment il l’a construit, ce métro qu’elle emprunte tous les jours […]» (p. 304).

On le trouve sous la plume de Michel Tremblay dans Albertine en cinq temps (1984) : «La rue Fabre, les enfants, le reste de la famille… bâtard que chus tannée…» (éd. de 2007, p. 16)

La richesse des jurons québécois ne se dément jamais.

 

Illustration : Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p., p. 86.

 

Réféfences

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p., p. 288-289.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Tremblay, Michel, Albertine, en cinq temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2007, 61 p. Édition originale : 1984.

Fil de presse 038

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Des publications sur la langue ? Servez-vous !

Aquino-Weber, Dorothée et Maguelone Sauzet (édit.), la Suisse romande et ses patois. Autour de la place et du devenir des langues francoprovençale et oïlique, Neuchâtel, Éditions Alphil, coll. «Glossaire des patois de la Suisse romande», 2022, 366 p.

Arnaud, Noël et Patrick Fréchet, Kouic. Anthologie des charabias, galimatias et turlupinades, Paris, Éditions du Sandre, 2021, 352 p.

Barbaud, Philippe, l’Instinct du sens. Essai sur la préhistoire de la parole, La Ciotat, AMH communications, 2021, 342 p.

Boudet, Martine (édit.), les Langues-cultures. Moteurs de démocratie et de développement, Vulaines sur Seine, Éditions du Croquant, coll. «Document», 2022, 278 p.

Bouveresse, Jacques, les Vagues du langage. Le «paradoxe de Wittgenstein» ou comment peut-on suivre une règle ?, Paris, Seuil, coll. «Liber», 2022, 672 p.

Bravo, Federico (édit.), Approches submorphémiques de l’espagnol. Pour une poétique du signifiant, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Rivages linguistiques», 2022, 290 p.

Brichant, Christophe et Sonia Perbal, Jurons, onomatopées & interjections. Petites & grandes histoires, Paris, Les Éditions de l’Opportun, 2022, 320 p.

Les Cahiers du dictionnaire, 13, 2021, 530 p. Dossiers «Dictionnaire et exemple» et «Dictionnaire, économie, entreprise», sous la direction de Celeste Boccuzzi, Giovanni Dotoli et Salah Mejri.

De Swaan, Abram, la Société transnationale. Langues, cultures et politiques, Paris, Seuil, coll. «Liber», 2022, 230 p. Traduit du néerlandais par Bertrand Abraham et de l’anglais par Sophie Renaut.

Diagne, Souleymane Bachir, De langue à langue. L’hospitalité de la traduction, Paris, Albin Michel, coll. «Bibliothèque Idées», 2022, 180 p.

Do-Hurinville, Danh-Thành, Patrick Haillet et Christophe Rey (édit.), Cinquante ans de métalexicographie : bilan et perspectives. Hommage à Jean Pruvost, Paris, Honoré Champion, coll. «Lexica Mots et dictionnaires», 41, 2022, 342 p.

Drigny, Juliette, Aux limites de la langue. La langue littéraire de l’avant-garde (1965-1985), Paris, Classiques Garnier, coll. «Études de littérature des XXe et XXIe siècles», 106, 2022, 505 p.

Du Vivier, Gérard, Grammaire françoise (1566). Briefve institution de la langue françoise expliquée en aleman (1568), Paris, Classiques Garnier, coll. «Textes de la Renaissance», 103, série «Traités sur la langue française», 2022, 185 p. Édition de Brigitte Hébert. Édition originale : 2006.

European Journal of Language Policy / Revue européenne de politique linguistique, 14, 1, 2022.

Gibourg, Pascal, Notes silencieuses. Réflexion sur le langage et le silence qui lui est propre. Essai, publie.net, 2022, 136 p. Édition numérique.

Godart-Wendling, Béatrice et Sandra Laugier (édit.), les Usages de l’usage, Londres, ISTE éditions, coll. «Sciences cognitives», série «Les concepts fondateurs de la philosophie du langage», 9, 2022, 286 p.

Le Langage. Nature, structure, apprentissage, usage, Paris, Sciences humaines, coll. «Synthèse», 2022, 261 p.

Legallois, Dominique, Une perspective constructionnelle et localiste de la transitivité, Londres, ISTE Group, coll. «Sciences cognitives», série «Énonciation et syntaxe en discours», 4, 2022, 304 p.

Radjoul, Créoliser le québécois. Réflexions sur la langue, l’identité et le rapaillement, Montréal, Somme toute, coll. «Identité». 2022, 134 p.

Voir le compte rendu de l’Oreille tendue ici.

Setti, Nadia, Hypothèse d’une langue-mère. Théories études rêveries, Paris, L’Harmattan, coll. «Créations au féminin», 2022, 322 p.

Soulié, Julien, les Pourquoi du français. 100 questions (légitimes) que vous vous posez sur la langue française, Paris, First, 2022, 251 p.

Thiéry-Riboulot, Véronica, Laïcité : histoire d’un mot, Paris, Honoré Champion, coll. «Linguistique historique», 15, 2002, 606 p.

Weiss, Roger, Quand je serai grand, je serai bilingue !, Fouesnant, Yoran Embanner, 2022, 220 p.

Explication de texte du mercredi matin

Gravure sur cuivre de François Chauveau pour l’édition des Fables de La Fontaine de 1668

Soit le tweet suivant :

En tant que propriétaire de tortue, j’aimerais rectifier un fait. Jean de La Fontaine était su’a poff. C’est pas vrai que c’est lent, une tortue. Ça peut être prime en estik, une tortue.

Pour un non-Québécois, ce message pourra paraître sibyllin. Voyons voir.

«Su’à poff» ? Poff désigne, dans le français populaire du Québec, une bouffée. On l’imagine ici de weed ou de weed, ce qui expliquerait l’erreur de l’auteur des Fables. L’Oreille tendue avoue toutefois s’aventurer en territoire peu connu pour elle.

«Prime» ? Caractéristique de la personne, voire de l’animal, qui fonce. Définition du «Vocabulaire» à la fin du roman le Survenant : «vif, fougueux, qui part le premier en tout» (éd. de 1954, p. 246).

«Estik» ? Euphémisme du juron hostie.

À votre service.

 

Illustration : gravure sur cuivre de François Chauveau pour l’édition des Fables de 1668, site Utpictura18.

 

Référence

Guèvremont, Germaine, le Survenant. Roman, Paris, Plon, 1954, 246 p. Suivi d’un «Vocabulaire». Édition originale : 1945.

Blessures de Montréal

Maxime Raymond Bock, Morel, 2021, couverture

«Les lieux sont traversés de couches de temps,
stratifiés par les générations qui ont foulé leur seuil»
(Marie-Hélène Voyer, l’Habitude des lieux).

Dans «Sous les ruines», une des «histoires» publiées par Maxime Raymond Bock dans les Noyades secondaires (2019), un personnage, Xavier, s’enfonce, par un jour de canicule, dans un des piliers de l’échangeur Turcot et se retrouve dans le Montréal d’avant le XXe siècle. La ville est un feuilleté de récits.

Dans son premier roman, Morel (2021), l’auteur délaisse le cadre fantastique pour proposer une lecture plus réaliste des récits de sa ville, ce lieu de multiples blessures (urbaines, familiales, linguistiques).

L’ouvrier Jean-Claude Morel, le personnage éponyme, a construit Montréal. Il en a vécu les plus gros chantiers : la place Ville-Marie, le métro, le pont Jacques-Cartier, le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, l’autoroute Métropolitaine, l’échangeur Turcot, Expo 67, le stade Olympique. Jeune, il rêvait de bâtir : «j’aimerais ça, dans vie, construire des affaires» (p. 158). Cet objectif s’est réalisé : «quel plaisir de voir des bâtiments surgir là où il n’y a rien, ou d’en remplacer un ancien qui n’a plus sa raison d’être» (p. 219). Mais, en ville, pour construire, il a fallu beaucoup détruire, des ouvriers (par les accidents du travail) et des lieux (dont on chasse les occupants). Dans une de ses scènes les plus douloureuses du roman, Morel et sa famille sont expulsés de leur logement, qu’on doit démolir pour y faire passer une autoroute. Qui le fera ? «Morel considère avec culpabilité l’absurde possibilité d’œuvrer lui-même à la construction de cette autoroute, prisonnier de la rhétorique voyou des cent mille emplois promis par [Robert] Bourassa et du cercle vicieux qui voudrait qu’il travaille à détruire son logis afin de gagner l’argent nécessaire pour s’en payer un autre» (p. 252).

Maxime Raymond Bock ne suit pas linéairement les transformations de Montréal; il passe d’une époque à l’autre en relevant les traces de la «désagrégation» du «monde» de son personnage principal (p. 258). Il en va de même de l’histoire familiale de Morel : «Il est […] seul avec ses souvenirs, qui ne se montrent jamais que dans le désordre» (p. 204). On suit ces «gens de peu» (p. 144) sur plusieurs générations, de malheur en déconvenue («le malheur se choisit toujours quelques favoris», p. 100). Les portraits de pères sont particulièrement réussis, ces hommes blessés qui blessent à leur tour. Jean-Claude Morel ne s’est jamais remis de la mort de sa fille Jeannine, pas plus que de sa rupture avec son fils André, qu’il a terrassé d’un coup de poing (p. 198) dont il portera les séquelles physiques et morales pour le reste de ses jours. Pareil père aimant ne sait pas comment aimer.

À la fin du roman, Morel observe Montréal du haut d’un édifice gouvernemental avec sa petite-fille Catherine, la fille d’André. La fatigue le prenant, il lui dit : «Faudrait je m’assise» (p. 313). Pour une oreille québécoise, cette tournure n’est guère source d’étonnement : Maxime Raymond Bock rend très bien le français populaire de Montréal. L’Oreille tendue a déjà relevé quelques exemples de ce français : «bazou» (p. 22), «oreilles molles» (p. 71), «coqueron» (p. 79), «prise au bâton» (p. 132), «patineur sur la bottine» (p. 249), «combines» (p. 324). Présence de l’anglais, jurons («le jour du Seigneur est le meilleur moment pour raffiner ses blasphèmes, c’est véniel de sacrer», p. 319), expressions idiomatiques : le romancier rend aux personnages leur ville et leur façon de la dire.

Sur le triple plan de la représentation de la mémoire urbaine, des déchirements familiaux et des spécificités de langue, Morel est une réussite. Sur le plan formel, on pourrait chipoter : le mode de passage d’un chapitre à l’autre (deux événements en apparence identiques se révèlent différents) vire assez vite au procédé; la fin est un peu abrupte, qui renvoie à son enfance tout en laissant irrésolue la relation de Morel avec son fils André. Il arrive que la prose ronfle un brin trop («l’enclave assombrie de son cœur», p. 275; «boursouflures tétaniques», p. 311).

Cela étant, il n’y a pas du tout lieu de bouder son plaisir.

P.-S.—Si, par extraordinaire, l’Oreille décidait de faite une étude savante du roman, elle comparerait l’expédition dans les Laurentides de la famille Morel (p. 211 et suiv.) avec la sortie le long du Richelieu de la famille Lacasse dans Bonheur d’occasion (1945, ch. XV), et le personnage de «Richard le hobo» (p. 48) avec ceux du Journal d’un hobo (1965) de Jean-Jules… Richard.

 

Références

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Voyer, Marie-Hélène, l’Habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, Montréal, Lux éditeur, 2021, 211 p. Ill.