Accouplements 19

Arnaldur Indridason, les Nuits de Reykjavik, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue a lu plusieurs romans de l’Islandais Arnaldur Indridason. Elle a souvent été frappée du souci de correction linguistique du personnage principal de ces romans, le policier Erlendur. Celui-ci corrige à l’occasion la langue de ses interlocuteurs (voir, ici même, les entrées du 25 juin et du 8 octobre 2009).

Il en va de même dans les Nuits de Reykjavik, qui vient de paraître en français :

— Ah, et vous en faites quoi ?
— Rien, répondit le gamin, prêt à repartir. On les balance dans les mares. C’est pas des trucs dont j’ai envie de garder.
Que j’ai envie de garder serait plus correct.
— Ok (p. 25).

Le personnage (fictif) d’Erlendur aurait été probablement fort marri d’une faute de langue du traducteur (réel) du roman de son concepteur :

Erlendur s’apprêtait à débuter une nouvelle nuit de travail quand, tard dans la soirée, il aperçut Thuri à Hlemmur (p. 184).

Commencer une nouvelle nuit serait plus correct, aurait-il pu lui dire, en lui rappelant que débuter est un verbe intransitif et qu’il ne peut donc pas avoir de complément d’objet direct.

Malheureusement, les personnages et les traducteurs se rencontrent peu fréquemment.

 

Référence

Indridason, Arnaldur, les Nuits de Reykjavik, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2015, 259 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2012.

La mort du sens

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) donne une étymologie et plusieurs exemples à -cide : «Élément, du latin cædere “tuer” : coricide, fratricide, génocide, homicide, insecticide, parricide, régicide, suicide

On a vu d’autres variantes ici : amicide; belle-mèreicide, fœticide, grand-pèreicide, infanticide, matricide, onclicide, spermicide, tanticide; linguicide.

Le romancier Jean-François Vilar, qui vient de mourir, proposait incesticide en 1982 (éd. de 1986, p. 166).

Certains, donc, créent les mots dont ils ont besoin. D’autres, en revanche, manquent cruellement d’imagination, par exemple les personnes qui ont conçu cette pancarte, vue rue Jean-Talon à Montréal.

«Génocide industriel» (pancarte, Montréal, 2014)

 

Un «génocide industriel» ? Non.

 

Référence

Vilar, Jean-François, C’est toujours les autres qui meurent, Paris, J’ai lu, coll. «Romans policiers», 1979, 1986, 211 p. Édition originale : 1982.

Jean-François Vilar (1947-2014)

Portrait de Jean-François Vilar par Sophie Bassouls, 1989
Portrait de Jean-François Vilar par Sophie Bassouls, 1989

Le romancier Jean-François Vilar est mort le 16 novembre; la nouvelle a été rendue publique hier.

L’Oreille tendue a pas mal écrit sur son œuvre, qu’elle admire. Ici, voir, par exemple :

un éloge de Bastille tango (1986);

un commentaire bref du même roman;

un zeugme tiré de C’est toujours les autres qui meurent (1982).

On lui rend hommage sur le Web.

Sur le blogue 813 (qui, le premier, a annoncé la nouvelle de sa mort)

Sur Passage Jean-François Vilar

À Télérama

Sur le blogue Quelques nuances de noir (le Monde)

Chez Edwy Plenel

Sur le site 20 minutes

À Libération

Chez Pierre Maury

À Livres hebdo

Sur le blogue Je crois qu’un jour

Sur le site Jeune cinéma

Sur le site ActuaLitté

Sur le site de la revue les Libraires

Sur le blogue des lecteurs de la Bibliothèque nationale de France

Chez remue.net

Les Éditions du Seuil venaient de rééditer son dernier roman, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués (1993).

Enfin, voici trois comptes rendus, par l’Oreille, de romans de Vilar :

Passage des singes (Spirale, 47, novembre 1984, p. 10);

Djemila (Spirale, 85, février 1989, p. 15);

les Exagérés (Spirale, 89, été 1989, p. 14).

 

[Complément du 29 janvier 2022]

L’Oreille a repris son texte sur les Exagérés dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Abécédaire IV

On peut faire, à plusieurs, un abécédaire sur les mots en perte de sens. On peut en proposer un, tout seul, à partir de «sculptures-personnages» angrignonesques. On peut les rassembler pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

On peut aussi y ranger ses souvenirs. C’est ce que fait Chrystine Brouillet, en 1993, dans un numéro de la revue Liberté consacré à «Écrire à Paris».

On la suit dans ses expériences d’écriture alimentaire pendant un séjour parisien : on apprend notamment qu’elle a écrit, pour la veuve du coureur cycliste Jacques Anquetil, «un texte pathétique-et-déchirant», «heureusement» signé par l’éplorée (p. 54).

On y découvre aussi que Brouillet a croisé Jean-François Vilar au Festival du roman policier de Reims en 1983 (p. 56). On l’envie.

 

Référence

Brouillet, Chrystine, «L’abécédaire», Liberté, 210 (35, 6), décembre 1993, p. 54-57. https://id.erudit.org/iderudit/31598ac

Dans pas long, comme

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Cela est imminent : tout à l’heure.

Au Québec, on entend aussi une version comprimée de l’expression. Mais comment l’écrire ?

Léandre Bergeron, en 1980, propose «T’à l’heure» (p. 478).

Sandra Gordon (2010, p. 43) et Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 147) optent pour «talheure».

Martin Winckler laisse tomber l’allusion graphique au temps : «talleur» (2011, p. 31).

Si peu d’heures (c’est le cas de le dire), tant de questions.

P.-S. — T’à l’heure / talheure / talleur s’emploie le plus souvent pour un avenir proche. Il arrive aussi qu’il désigne un futur plus éloigné et généralement connoté négativement : ce que tu fais n’a peut-être pas de conséquences immédiates, mais attention t’à l’heure / talheure / talleur.

P.-P.-S. — Dans pas long ? Ici.

 

[Complément du 16 mars 2016]

Erika Soucy, dans les Murailles, retient «t’à l’heure» (2016, p. 145).

 

[Complément du 27 août 2016]

Variante graphique, repérée sur Twitter.

 

[Complément du 10 novembre 2016]

Pour Michel Tremblay aussi, en 2007, c’est «t’à l’heure» (p. 44).

 

[Complément du 18 août 2022]

Taleur, sans double l, est aussi attesté : «Attache-toé après de quoi de solide, mon Laganière, tu vas décoller taleur» (la Bête creuse, p. 366).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.

Tremblay, Michel, Albertine, en cinq temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2007, 61 p. Édition originale : 1984.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.