Accouplements 90

Josiane Boutet, le Pouvoir des mots, éd. de 2016, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Comment dire l’autre, notamment celui venu d’ailleurs, est une des tâches de la langue.

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«À l’été 2015, la presse française, le monde politique et le monde associatif, confrontés depuis plusieurs mois à un départ massif de Syriens et d’Irakiens venant chercher refuge en Europe, doivent aussi faire face à la question de leur nomination : comment parler de ces personnes fuyant leur pays en guerre sur les routes d’Europe ? Sont-ils des migrants ? Des migrants politiques ? Des réfugiés ? Des demandeurs d’asile ? Chaque façon de nommer ces personnes implique des points de vue différents sur leur parcours et leur vie. Ainsi, si on les nomme “migrants politiques”, on opère, qu’on le souhaite ou pas, une distinction entre eux et les “migrants économiques”. Si on choisit “demandeurs d’asile”, cela ne rend pas compte de leur statut dans un pays comme la Grèce, par exemple, où ils ne souhaitent aucunement demander un asile, visant l’Allemagne ou la Suède pour la plupart. Qui sont-ils donc lorsqu’ils accostent sur une île grecque ou qu’ils traversent la Hongrie ?» (p. 18-19)

Verboczy, Akos, Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Montréal, Boréal, 2016, 240 p. Édition numérique.

«Rassurez-vous : quand, des décennies plus tard, je suis retourné dans cette école primaire, en veston-cravate, en tant que commissaire scolaire et président du comité des relations interculturelles, j’avais appris à manier parfaitement le vocabulaire pour désigner les “personnes immigrantes”, ces néo-Québécois, ces Québécois issus de l’immigration, de première ou deuxième génération, ces allophones, italo-, sino-, arabo-, que-veux-tu-o-québécois, ces membres des communautés ethnoculturelles, des minorités ethniques et visibles, nos concitoyennes et concitoyens issus de la diversité, toutes ces appellations comme il faut qu’aucun immigrant n’utilise à moins de parler dans un microphone.»

Voilà une tâche qui ne va pas de soi.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Akos Verboczy

Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise, 2016, couverture

«Sauf pour les réfugiés (et encore), le choix d’émigrer, comme le choix de la destination, est avant tout une opération comptable. Le candidat à l’émigration aligne les dépenses futures (loyer, épicerie, école, santé, transport) et les revenus potentiels (salaire, profits commerciaux, allocations parentales, aide sociale) et compare le résultat final avec sa situation actuelle. Il n’y a que les chaires universitaires en immigration à la recherche de subventions fédérales et de discrimination pour comparer le résultat obtenu avec le revenu des natifs. Le candidat à l’immigration n’a pas (au départ) cette ambition. Il cherche à améliorer sa situation. Point.»

«Cela expliquait sa présence surprise ce matin-là, avec sa tristesse, sa sobriété et son plus beau costume.»

«Grâce à Shérif, fais-moi peur, on savait que même les villageois en Amérique avaient de belles voitures, des jeans et le sens de l’humour […].»

«Lentement mais toujours en avant, dans un environnement en principe étranger, ces immigrants remplissent leurs paniers — et leur rôle — à la perfection.»

«Des “tabarnak de putain de merde” provenaient de l’armurerie, au fond de la pièce, où quelqu’un s’affairait à réparer une épée avec une scie, une limeuse et des coups de pied dans l’établi.»

Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Montréal, Boréal, 2016, 240 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Akos Verboczy

Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise, 2016, couverture«Je suis certain qu’il y a des chefs-d’œuvre littéraires à pondre sur l’éprouvante inspiration [que la Philippine] va prendre, là, tendez bien l’oreille, comme chaque matin avant d’aller s’occuper du ménage chez les Johnson de la rue Victoria, nourrir leur chien, sortir leurs enfants. Je suis convaincu que cette inspiration est celle de milliers d’autres femmes de toutes origines, chaque matin, chacune dans son parc, sur son banc. J’aimerais qu’elles puissent un jour se rencontrer, être ensemble, pour qu’on les entende toutes. Je suis sûr que pour y arriver, il faut d’abord en revenir. En revenir de la différence qui semble en obséder tant et qui cache l’humanité.»

Akos Verboczy, Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Montréal, Boréal, 2016, 240 p. Édition numérique.

Autopromotion 309

Éditrice à ses heures, l’Oreille tendue a publié deux livres d’Alex Gagnon au cours des derniers mois, la Communauté du dehors. Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe-XXe siècle), aux Presses de l’Université de Montréal, et Nouvelles obscurités. Lectures du contemporain, chez Del Busso éditeur.

Le premier de ces ouvrages a été plusieurs fois honoré au cours des derniers jours. Il a reçu :

le prix du concours Étudiants-chercheurs étoiles des Fonds québécois de recherche (Société et culture);

le prix Gabrielle-Roy de l’Association des littératures canadiennes et québécoises;

le prix l’Association canadienne des études francophones du XIXe siècle;

le prix de l’Association des professeur.e.s de français des universités et collèges canadiens (APFUCC) 2016-2017.

L’Oreille est heureuse.

Alex Gagnon, la Communauté du dehors, 2016, couverture

Méfions-nous d’eux

Catherine Dorion, les Luttes fécondes, 2017, couverture

L’Oreille tendue l’a dit à plusieurs reprises : elle a à l’œil le mot décomplexé (voir ici ou ).

Jusqu’à présent, sa besace s’emplissait d’occurrences où décomplexé est adjectif. Il faudra dorénavant chasser aussi le substantif. Pourquoi ?

À cause de phrases comme celle-ci, tirée du récent ouvrage les Luttes fécondes de Catherine Dorion :

Nous avons dans la vie de tous les jours la tête pleine de devoirs et de culpabilité, et cela agit sur nous comme une maladie auto-immune : tandis que nous nous rongeons de l’intérieur, nous demeurons hagards et affaiblis face à la poignée de décomplexés qui saccagent la planète et les cultures humaines (p. 58).

Tendons l’oreille, et la bonne.

 

Référence

Dorion, Catherine, les Luttes fécondes. Libérer le désir en amour et en politique, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 11, 2017, 108 p. Ill.