Portrait pénitent du jour

 Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich, 1979, couverture

«Il regardait Pradon avec une expression de confesseur donnant la pénitence. Il avait un visage sévère et onctueux à la fois, décoré de lunettes sans montures, et qui s’accordait mal à son thorax; il semblait le résultat fortuit d’une erreur d’assemblage, comme si l’on avait monté par distraction une tête de prêtre sur un corps de lutteur.»

Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p., p. 109.

Des ans l’irréparable outrage

Jean Echenoz, Cherokee, 1983, couverture

Quand on a atteint l’âge mûr, comment se définir ?

On peut être vieux, mais c’est bien banal.

«Elle n’y pensait pas, tout au guitariste espagnol, au violoniste moldave, aux girls surtout, au vieux monsieur avec des taches sur les mains qui feule et qui rauque…» (la Presse, 4 décembre 2012, p. A5).

À partir de 50 ans, on peut faire partie de l’âge d’or.

Le cheveu se raréfiant ou changeant de couleur, on peut se ranger parmi les têtes grises.

«Le système de santé menacé par un “tsunami gris”» (le Devoir, 23 août 2010, p. A3).

Les aînés sont aussi fréquemment évoqués.

«Montréal sacrée “Métropole amie des aînés”» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier publicitaire «Chez soi 55+»).

«Une résidence se veut un Club Med pour aînés» (le Devoir, 12-13 février 2011, p. G4).

À choisir, l’Oreille tendue préfère encore «ressortissants du troisième âge». C’est que l’expression vient de Jean Echenoz, dans Cherokee (p. 73).

 

[Complément du 11 janvier 2014]

Echenoz reprend la même expression, en 1999, dans Je m’en vais (p. 147).

 

Références

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

Echenoz, Jean, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p.

Portrait louche du jour

 Jean Echenoz, Lac, 1989, couverture

«Le soir venu, après le dîner, [Chopin] fit la connaissance du docteur Belsunce, homme strabique et vif qui avait au bar sa bouteille à son nom. Son ample costume bleu pétrole et son nœud papillon marine qui pendait également semblaient avoir été volés dans les vestiaires d’orchestres de danse concurrents, et le ruban vert à sa boutonnière ne commémorait rien de connu de Chopin. Derrière ses lunettes à monture épaisse, seul son œil droit très aiguisé, sévère ou farce selon les cas, restait posé sur vous pendant que le gauche allait s’asseoir ailleurs, empreint d’une expression de patience candide, confiante, absente, comme une épouse distraite qui n’écouterait jamais ce que le docteur disait.»

Jean Echenoz, Lac. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1989, 188 p., p. 117.

Le courant continue à (ne pas) passer

Daniel Sylvestre, le Compteur intelligent, 2013, couverture

Le mot n’est pas nouveau.

Il est chez Jean-François Vilar en 1988, dans Djemila : des personnages «disjonctent».

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) date de 1981 le sens que Vilar donne au verbe : «Perdre le contact avec la réalité.»

On le trouve aussi, en 2013, chez Daniel Sylvestre, dans le Compteur intelligent :

Ruby est une disjonctée sympathique du voisinage, mais je la trouve à son top, aujourd’hui (p. 42).

Son mari Manuel disjoncte, il refuse la moindre parcelle d’alu (p. 66).

Dans cette «chronique psychotronique» (dixit l’éditeur) où il est sans cesse question d’électricité, ce ne devrait pas être une surprise.

P.-S. — On rattachera sans peine disjoncter à l’hydrovocabulaire cher aux Québécois.

 

Références

Sylvestre, Daniel, le Compteur intelligent. Carnets libres, volume II, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2013, 92 p. Ill.

Vilar, Jean-François, Djemila. Roman, Paris, Calmann-Lévy, 1988, 166 p.