Ami ami, bis

Portrait de Michel de Montaigne

«Un ami est un ami.»
Laurent Ruquier

Au Québec, l’amitié est une chose subtile.

On peut être l’ami de quelqu’un. On peut être son chumau-delà du raisonnable —, peu importe le sexe : un chum de gars, une chum de fille. On peut aussi se mettre chummy avec quelqu’un.

Il existe au moins deux graphies de la chose.

«Trump se fait chummé avec la Russie», écrit Olivier Niquet dans son excellente lettre d’information, Tourniquet Express.

Même graphie chez Christophe Bernard dans la Bête creuse : «C’était la fête, du monde en masse, et de tous les âges, chummés, l’âge comptait pas» (p. 597).

«Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas», chante Mad’MoiZèle GIRAF.

Le é final de Niquet et Bernard doit évoquer une prononciation distincte de celle du duo québécois de raggamuffin.

Vous faites bien comme vous voulez.

P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Réféfence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

L’oreille tendue de… Claude Ferland Milewski

Claude Ferland Milewski, la Pieuvre, 2023, couverture

«On ne dit pas un mot, on sait que l’heure est grave. On écoute les pas de la police nationale se diriger vers nous. Silence. On tend l’oreille vers le ciel pour entendre les hélicoptères qui nous ont repérés. Silence. On commence à se détendre le tendu.»

Claude Ferland Milewski, la Pieuvre, Montréal, Boréal, 2023, 312 p., p. 29.

 

P.-S.—Notons, si vous le voulez bien, l’expression «se détendre le tendu». Foi d’Oreille, elle est assez bien tournée.

Les David Lynch de François Hébert

François Hébert, «David Lynch», collage
François Hébert, «David Lynch», collage, collection particulière

L’écrivain québécois François Hébert (1946-2023) s’intéressait au cinéaste David Lynch. Déjà, en 1985, celui-ci apparaissait, sous sa plume, dans Monsieur Itzago Plouffe (pour l’Homme-éléphant, p. 63). On le croisera ensuite dans Pour orienter les flèches (Blue Velvet, p. 93) et dans Des conditions s’appliquent (Mulholland Drive, p. 39). Il sera plusieurs fois questions de lui dans Frank va parler : pour ses films (Blue Velvet, p. 29, p. 35; Mulholland Drive, p. 135), pour sa série télévisée (Twin Peaks, p. 30, p. 72, p. 83), pour un film de son fils, John, dans lequel il joue (Lucky, p. 30-32). Hébert fait, pour l’occasion, le portrait de Lynch, sous forme d’autoportrait :

C’est mon semblable, ce Lynch aux cheveux en brosse irrégulière dressés sur la tête comme un vieux pinceau, on a le même âge, sinon la même tronche, car j’ai plutôt une tête d’œuf. Le cinéaste est peintre, ça vous change le mal de place. Et je suis poète aux heures perdues, et presque toutes le sont ces temps-ci (p. 29).

François Hébert pratiquait aussi l’art du collage : «J’en ai fait un assemblage artistique avec des objets divers, presque digne d’un altruiste» (p. 30). Oui, c’est l’illustration ci-dessus.

David Lynch vient de mourir.

 

Références

Hébert, François, Monsieur Itzago Plouffe, Québec, Éditions du Beffroi, 1985, 96.

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.