Le zeugme du dimanche matin et d’Andrée A. Michaud

Andrée A. Michaud, Bondrée, éd. de 2020, couverture

«Comme maman ne semblait plus consciente de notre présence, j’avais entraîné Millie dans la chambre que je partageais avec elle et lui avais donné la permission de jouer avec Bill, mon robot à batteries, que j’avais baptisé ainsi parce qu’il marchait comme Bill Cochrane, notre deuxième voisin de gauche, revenu de je ne sais quelle guerre avec une jambe raide, une médaille et un caractère de cochon, si tant est que les cochons bougonnent à longueur de journée.»

Andrée A. Michaud, Bondrée, Montréal, Québec Amérique, coll. «qa», 2020. Édition originale : 2014. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 225

L’Oeil de l’ermite et l’Échiquier, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La Charité, Claude, l’Œil de l’ermite. Fiction en pièces détachées, Longueuil, L’instant même, 2023, 237 p. Ill.

«Déjà enfant, j’aimais être seul. Quand on a annoncé la fermeture des universités le vendredi 13 mars, j’ai éprouvé la fébrilité des écoliers, tout à leur joie d’échapper à la classe à cause de — ou plutôt grâce à — la tempête de neige. Cette pandémie est tombée sur moi comme une bénédiction. Elle allait me libérer des contraintes de la vie sociale. Des réunions inutiles. Des discussions de couloir oiseuses. Des débats hystériques sur l’avènement de l’utopie en ce bas monde, à grand coups d’équité, de diversité et d’inclusion. […] Tout cela, j’allais enfin le laisser derrière moi, en claquant la porte. Pour me livrer à l’écriture de ma fiction sur l’ermite Toussaint Cartier» (p. 31-32).

Toussaint, Jean-Philippe, l’Échiquier, Paris, Éditions de Minuit, 2023, 244 p. Ill.

«De plus en plus souvent, j’ai conscience maintenant que, plus tard, dans quelques mois ou dans quelques années, je verrai cette période comme une période particulièrement heureuse de ma vie. Là où intervient la dualité de la pensée, c’est que ce bonheur supposé que j’imagine que je vais ressentir rétrospectivement en repensant à cette période, je ne le perçois pas pour le moment. Je sais que, plus tard, en repensant à ces journées de confinement, je me dirai que j’avais été heureux dans mon bureau à Bruxelles à travailler à ce nouveau livre, mais ce bonheur que je me promets depuis le futur, je n’en vois pas la couleur pour l’instant, je n’en éprouve aujourd’hui aucun des agréments.

En somme, depuis le début du confinement, je vis heureux sans le savoir» (p. 114-115).

Accouplements 220

Bondrée et Tangente vers l’est, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Michaud, Andrée A., Bondrée, Montréal, Québec Amérique, coll. «qa», 2020. Édition numérique. Édition originale : 2014.

«Certains croyaient que Larue avait nommé sa fille Emma à cause de l’admiration qu’il portait à Flaubert et à Emma Bovary, mais ce n’était pas le cas. S’il appréciait Flaubert, il fuyait les Bovary comme la peste. C’était sa femme qui avait choisi ce prénom, y voyant une parenté avec le verbe “aimer”. Larue était trop stupide, à cette époque, trop amoureux pour la contredire et lui indiquer qu’Emma mettait le verbe au passé, j’aimai, tu aimas, il aima. Il le regrettait aujourd’hui, quand il songeait que sa fille portait le nom d’une héroïne dont l’amour dérivait dans le souvenir.»

Kerangal, Maylis de, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

«Ils se sont donné leurs prénoms, se sont donné du feu, se sont donné des clopes. Elle lui a précisé qu’elle était française, frantsouzkaïa et toujours ce geste de poser la paume sur le sternum en appuyant la seconde syllabe, frantsouzkaïa, et en face d’elle, Aliocha a hoché la tête. Une Française, il est déçu — ne sait pourtant rien des femmes françaises, rien, ne connaît d’elles que des Fantine, des Eugénie ou des Emma, femmes obligatoires dont il avait entrevu des fragments de psyché dans des manuels scolaires et reléguées loin de celles qui l’éblouissent, Lady Gaga en tête.»

 

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première Emma que nous croisons chez Maylis de Kerangal (voir ici).

Le zeugme du dimanche matin et d’Éric Chacour

Éric Chacour, Ce que je sais de toi, 2023, couverture

«Elle recevait les visites minutées de ceux que l’alliance improbable des règles de bienséance et d’un instinct voyeuriste conduisaient à votre palier. Ils venaient avec leurs formules convenues et quelques souvenirs de ton père soigneusement dépoussiérés pour l’occasion, jugeaient intérieurement de votre état d’accablement. Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.»

Éric Chacour, Ce que je sais de toi, Québec, Alto, 2023, 296 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)