Chantons la langue avec Johnny Halliday

Johnny Halliday, Gang, 1986, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Johnny Halliday, «Ton fils», Gang, 1986

 

On perd sa vie parfois
À devoir la gagner
Y’en a qui naissent rois
D’autres du mauvais côté

Toi tu viens d’un pays que t’as presque oublié
De sable et de soleil et d’éternel été
Ceux qui ont de la chance y passent leurs vacances
Mais ceux qui y sont nés ne peuvent y travailler
Après toutes ces années juste pour exister
J’ai juste envie de dire à tes yeux fatigués

Je voudrais que ton fils vive mieux que toi
Qu’on le respecte, mieux qu’on le vouvoie
Comme un homme, un monsieur
Qui ne baisse pas les yeux
Pareil à tous ces gens qui parlent sans accent

Je voudrais que ton fils vive mieux que toi
Qu’il ait toutes ses chances, tous ses droits
Qu’il ait une signature
Des mains blanches, une voiture
Et des papiers d’identité à perpétuité

T’es pas un grand causeur on t’l’a jamais d’mandé
T’as payé en sueur le prix qu’il faut payer
Tu voulais qu’il ait tout sans jamais rien compter
Pour qu’il ait toutes ses chances
Comme les enfants de France
Pour un dernier désir, pour une ultime envie
La seule raison de croire à un sens à ta vie

Je voudrais que ton fils vive mieux que toi
Qu’on le respecte, mieux qu’on le vouvoie
Comme un homme, un monsieur
Qui ne baisse pas les yeux
Pareil à tous ces gens qui parlent sans accent
Je voudrais que ton fils vive mieux que toi
Qu’il ait toutes ses chances, tous ses droits
Qu’il ait une signature
Des mains blanches, une voiture
Et des papiers d’identité à perpétuité

 

Chantons la langue avec Paul Piché

Paul Piché, À qui appartient l’beau temps ?, 1977, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Paul Piché, «La gigue à Mitchounano», À qui appartient l’beau temps ?, 1977

 

Saint-Scholastique ou parc Forillon
Fallait partir de bon matin
Pour les touristes ou leurs avions
On est toujours dansl’ chemin
Les gens ont perdu leurs maisons
Leurs terre et pis leur pays
Tout ce que j’ai pu faire
C’t’une p’tite chanson
Qu’ira pas plus loin qu’ici

Dans l’nord y a un moulin
Qui empoisonnait toutes les Indiens
Apparemment ça répondrait
Vraiment à un besoin
Pis on leu’ d’mande après ça
De r’garder le bon côté d’la vie
De pus chasser de pus pêcher
D’arrêter d’faire des p’tits
Y auraient ni tête, ni pieds
Pourraient pas travailler
Dans l’pâte et papier
Y auraient ni tête, ni pieds
Pourraient pas travailler
Dans l’pâte et papier

Va-tu falloir attendre qu’y ait
Démoli toutes nos maisons
Attendre d’être empilés dans des bâtisses
Faites en carton
Vas-tu falloir attendre
D’être rendu fous d’être affamés
Attendre d’avoir la corde au cou
Les mains ben attachées
Mais on a pas assez eu d’misère
Y nous faudrait l’enfer
Avant d’se révolter
On pas assez eu d’misère
Y nous faudrait l’enfer
Avant d’s’organiser

Les étudiants objectivement
S’inquiètent pour passer l’temps
Y gardent la connaissance entre eux
Comme le riche son argent
Ou ben on signe rien qu’une pétition
Mais c’est pas ben ben risqué
Y a pas d’danger qui voyent ton nom
Sur des feuilles toutes fripées
C’est là qu’on s’cache la face
Pour faire nos grimaces
Sur des bouts d’papier
C’est là qu’on s’cache la face
Pour faire nos grimaces
Sur des bouts d’papier
On s’est r’gardé à bout portant
L’nombril au premier plan
On sait qu’on est du monde peureux
Avec un bel accent
Ça on l’sait
Mais va-tu falloir attendre
Qu’y viennent nous chercher
Comme des bœufs
Quand on sera rendu rien qu’d’la viande
On sera pas moins nerveux
Mais on a pas assez eu d’misère
Y nous faudrait l’enfer
Avant de se révolter
On pas assez eu d’misère
Y nous faudrait l’enfer
Avant d’s’organiser

 

Citation néologique du jour

Voltaire, buste

«Ni néologisme, ni servitude; mais la néologie convient aux Républiques : elle rendit la langue grecque complète et sonore; elle enrichit journellement la langue anglaise, lui a donné ce caractère mâle qui la distingue, et qui la rend propre aux discussions politiques. Un écrivain anglais est un homme libre, comme l’a dit Voltaire; un écrivain français doit l’être également. La langue que nous parlerons sera plus célèbre que celle des grands hommes du siècle de Louis XIV; et je ne vois pas pourquoi on sacrifierait aux talents les progrès que doit faire le génie de la liberté. Notre ordre social pouvant varier tous les neuf ans, il faut que notre langue soit susceptible de fournir les signes qui désigneront ces altérations.»

Bayard de la Vingtrie, Voyage dans l’intérieur des États-Unis, Paris, Batilliot, 1797, p. viij-ix.

Chantons la langue avec Michel Etcheverry

Michel Etcheverry, Irrintzina, 1997, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Etcheverry, «Une pointe d’accent», Irrintzina, 1997

 

Mes amis mes amours si vous partez un jour
Laissez-moi je vous prie votre pointe d’accent
Cette musique-là me restera toujours
Rien ne peut la changer ni la vie ni le temps
C’est la magie des mots quand on berce un enfant
Le chant de la palombe à l’éveil du printemps
C’est l’envol de l’abeille dans le matin naissant
En un mot comme en cent, c’est la pointe d’accent
Mon beau pays s’appelle Euskal-Herri
J’ai dans le sang une pointe d’accent
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent
On oublie les chagrins les instants de bonheur
Les jardins sous la pluie les étés sous les fleurs
On oublie les soleils et les neiges d’antan
Mais on garde toujours une pointe d’accent
Les fameux mousquetaires avaient disait l’histoire
Au bout de leur épée une pointe d’accent
C’était un don du ciel et un titre de gloire
Henri IV était fier de l’avoir en naissant
Mon beau pays salut l’Occitanie
Nous avons tous une pointe d’accent
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent
Toi qui cherches un ami en pays d’Euskadi
S’il prononce des mots que tu ne comprends pas
Dès le premier regard tu le reconnaîtras
Il aura dans les yeux une pointe d’accent
Et à toi qui t’en vas ami de mon enfance
Je dis n’emporte pas la terre à tes souliers
Mais accroche à ton cœur ce joli coin de France
Et sa pointe d’accent qu’on ne peut oublier

Mon beau pays salut l’Occitanie
Nous avons tous une pointe d’accent
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent
Mon beau pays s’appelle Euskal-Herri
J’ai dans le sang une pointe d’accent
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent
On ne peut pas renier sa patrie
Tant que l’on garde une pointe d’accent

Dérapages incontrôlés

Risque de dérapage, panneau de signalisation routière

Commençons par un aveu : quand l’Oreille tendue décide de se pencher sur une expression de la langue familière québécoise, c’est généralement en fonction de deux critères. Cette expression lui est familière, par exemple à cause de son écosystème linguistique familial (premier exemple, deuxième exemple), ou bien il s’agit de mots qu’elle pratique abondamment (les sacres, notamment). Il est très rare que l’Oreille aborde des aspects de la langue qui lui sont étrangers.

À la demande populaire (n = 1), elle abordera aujourd’hui les mots shire / chire et shirer / chirer, bien qu’elle ne les ait jamais prononcés et qu’elle n’ait pas l’intention de le faire.

Ce qui chire n’est plaisant ni auditivement ni automobilement : cela tourne à vide et fait du bruit.

«Pendant que dehors le camion virait, chirait et tonnait sur la 133, en dedans les éléments se mêlaient et se démêlaient, les membres de disloquaient, les tissus de déchiraient ou se compressaient» (le Basketball et ses fondamentaux, p. 78).

«j’ai roulé en ligne plus ou moins droite et sans trop quitter la chaussé glacée, rien qu’une fois dans une courbe j’ai chiré, viré sur un parterre» (Frank va parler, p. 136).

«Quand j’entends devant ma maison les roues d’un véhicule qui shire, le son aigu d’une mécanique qui tourne à vide, je regarde dehors et me demande si quelqu’un a besoin d’aide» (J’étais juste à côté, p. 159).

(On notera l’attraction mutuelle entre chirer et virer.)

Cela concerne toutes sortes de moyens de locomotion, avec ou sans bruit désagréable : voiture et camion (ci-dessus), vélo (Des histoires d’hiver […], p. 163), avion (Miniatures indiennes, p. 54), voire cheval et chaussure (la Bête creuse, p. 282 et p. 500).

Au sens littéral comme au sens figuré, qui shire (verbe) fait ou part sur une shire (substantif).

«Le monsieur à lunettes fumées a pas dit un mot, il a rembarqué dans sa Pontiac et il est parti en faisait une shire» (Des histoires d’hiver […], p. 99).

«J’ai l’ai goût d’partir su’une chire jusqu’en deux mille cinquante» (J’ai bu, p. 57).

Quand une conversation dérape, ce n’est jamais bon signe : «Et c’est là que ç’a chiré» (le Chemin d’en haut, p. 27).

La chire peut aussi désigner une chute ou une embardée.

«On dirait pas que j’ai juste vingt-cinq ans, et en même temps c’est comme si c’était hier que je becquais mes bobos aux genoux après une chire en bicycle» (Autour d’elle, p. 43).

«Prendre une chire. Culbuter, tomber, faire une embardée» (Trésor des expressions populaires, p. 85).

À votre service — mais essayons de ne pas en faire une habitude.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Messier, William S., le Basketball et ses fondamentaux. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 12, 2017, 239 p.

Nicol, Patrick, J’étais juste à côté. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 176, 2022, 192 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.