Chromatisme véhiculaire

Autobus scolaire québécois

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai Habiter une cage ouverte, de Caroline L. Mineau (2023) :

C’était donc très pratique pour [mes parents] que leur grande fille parte seule pour l’école le matin. C’était très normal, aussi, à cette époque : à peu près tous les enfants le faisaient, sauf ceux qui, habitant trop loin, prenaient l’autobus jaune.

Pour n’importe quel locuteur du Québec, ce moyen de locomotion, l’autobus jaune, va de soi : c’est un autobus scolaire. Tout le monde sait ça.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous croisons la route de l’autobus; voir ici.

 

[Complément du 17 juin 2023]

Exemple romanesque, lui aussi récent (2023), dans la Maison de mon père, d’Akos Verboczy :

Après mon arrivée à Montréal, je repensais souvent à ces vingt minutes perdues quotidiennement durant toutes ces années. J’ai eu le temps de les compter et de les recompter, sur le chemin du retour de l’école, dans le brouhaha des langues incompréhensibles, assis sur la banquette de l’autobus jaune qui me déposait chaque après-midi — à seize heures vingt-cinq pile — devant notre joli duplex de l’avenue Victoria (p. 53-54).

 

Références

Mineau, Caroline L., Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p. Ill.

Verboczy, Akos, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

Un seul bardeau vous manque et tout est dépeuplé

Couvertures de livres de Roger et d’Albert Chartier

Par les temps qui courent, l’Oreille tendue travaille sur les Chartier, Roger et Albert.

Lisant une bande dessinée du second, tirée de la série Onésime, elle tombe sur l’expression «Il lui manque un bardeau !» (février 1962, éd. de 1983, p. 80)

Dans le français populaire du Québec, être en manque de bardeau renvoie à une forme légère de folie : là-haut, près du sommet, quelque chose fait défaut. On doit s’en inquiéter, mais pas trop.

Gardez néanmoins l’œil ouvert. On ne sait jamais.

P.-S.—Selon Pierre DesRuisseaux, on dirait aussi manquer un bardeau à sa (sur la) couverture et manquer un bardeau (dans le pignon) (p. 29).

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Ses plus amusantes aventures publiées dans le Bulletin des agriculteurs ces derniers 40 ans, Montréal, Compagnie de publication rurale, 1983, 146 p. Ill.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015 (nouvelle édition revue et augmentée), 380 p.

Chronique nautique

L’Oreille est tendue depuis quelques lustres déjà. Elle a recensé pas mal d’expressions du français québécois ou d’ailleurs. Quand elle repère une forme inconnue d’elle, elle est ravie.

Cela a été le cas la semaine dernière, dans un article de la Presse+ : «Le chef de l’opposition officielle [Pierre Poilievre] a plutôt choisi de tirer dans la chaloupe de ceux qui sauvent des vies.»

Tirer dans la chaloupe, donc. Il semble exister deux sens possibles à cette expression politiconautique.

On peut tirer dans la chaloupe de quelqu’un d’autre; c’est l’exemple ci-dessus.

On pourrait aussi, semble-t-il, tirer dans sa propre chaloupe : «Rester au caucus devient complètement intenable. On ne peut pas tirer dans la chaloupe puis rester dans la chaloupe» (Twitter). Synonymes : se tirer une balle dans le pied, scier la branche sur laquelle on est assis (merci, Reddit).

Quoi qu’il en soit, voilà qui est bien cruel.