Accouplements 01

Nicolas Dickner, le Romancier portatif, 2011, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Lanson, Gustave, Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, édités par Henri Peyre, Paris, Hachette, 1965, 479 p.

«L’objet des historiens, c’est le passé : un passé dont il ne subsiste que des indices ou des débris à l’aide desquels on en reconstruit l’idée. Notre objet, c’est le passé aussi, mais un passé qui demeure : la littérature, c’est à la fois du passé et du présent» (p. 33).

Dickner, Nicolas, le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, 215 p.

«Un marteau ne plante des clous que lorsque vous l’avez en main. Le livre, au contraire, continue d’agir même une fois fermé (ou éteint)» (p. 199).

FIP et nous

Logo de Fip

«Le style d’écoute, c’est l’homme.»

Les raisons d’aimer Paris ne manquent pas. Parmi celles de l’Oreille tendue, il y a une radio, FIP. L’Oreille garde un souvenir vif de phrases comme «Quatorze kilomètres de bouchon; je vous l’avais bien dit», prononcées par des voix féminines tout à la fois moqueuses et compatissantes. À l’origine, FIP (France Inter Paris) était en effet consacrée à la circulation automobile parisienne (fréquence 105,1).

Dans FIP et moi. Chroniques d’un écouteur (2014), Jean Larriaga rappelle ce qu’est FIP depuis sa fondation en 1971. Il a toute une oreille.

Larriaga a beaucoup écouté FIP. Au volant d’une des cinq Austin qu’il a possédées en dix-sept ans (il n’en gardé que l’autoradio, une Blaupunkt). En peignant, toujours en blanc, les plafonds de ses appartements. En marchant dans Paris, Walkman aux oreilles (autres temps, autres mœurs).

Comme tous les auditeurs, il a été enchanté par la voix des speakerines. Quand il les découvre, il croit qu’il n’y en a qu’une : «voix suave, drôle, pénétrante» (p. 15), «charme évanoui» (p. 17), «français enjoué» (p. 18), «attentive, musicale, dépanneuse» (p. 19), «fée malicieuse» (p. 22). Par la suite, il dira «mes voix», «mes fées des ondes», voire, plus familièrement, «mes fées».

L’ordre des souvenirs de Larriaga, cet adepte de l’«écoute flottante» (p. 99), n’est pas strictement chronologique, mais il suit pour l’essentiel l’évolution de sa relation à FIP, de 1971 à «Demain». On le voit se disputer avec celle qui aurait dû emménager avec lui, mais qui avait le malheur de ne pas assez aimer FIP et ses «cheftaines scouts» (p. 41). On s’étonne à peine de le voir choisir un appartement en fonction de la qualité de la réception de la station radiophonique. Accidenté de la route, il refuse d’éteindre l’autoradio de ce qui reste de sa voiture; rien que de normal. Point d’arrivée de ce voyage ? «Écouter FIP m’est devenu aussi nécessaire que le silence» (p. 97).

Mais comment décrire FIP ?

On peut y entendre des informations sur la circulation (parfois rimées) et des informations générales (toujours brèves), mais ce qui caractérise la station, outre les voix des annonceuses («l’accent de FIP», p. 37), est son éclectisme musical. L’Oreille tendue se souvient parfaitement y avoir entendu, bien calée dans un fauteuil club du XIe arrondissement, quelque alcool amplement mérité à la main, une chanson de Plume Latraverse mêlée à du classique, à de la chanson (dans toutes les langues), à de la musique du monde (de la world), à du rock. Caractéristique supplémentaire : l’idée d’indiquer le titre de toutes les pièces n’est pas la règle de la maison; c’est «la loi de FIP» (p. 25). On y fait découvertes sur découvertes, sans toujours savoir ce que l’on a découvert.

Aujourd’hui, merci au numérique, il arrive à l’Oreille tendue d’écouter FIP de Montréal, pour la beauté du souvenir. Jean Larriaga l’a ravivé.

P.-S. — FIP et moi rappelle douloureusement que, même si L’Harmattan est bel et bien une maison d’édition, on n’y engage pas d’éditeur (digne de ce nom) : majuscules semées au hasard, fautes d’orthographe, ponctuation aléatoire, etc.

 

[Complément du 23 janvier 2016]

«Allongée la plupart du temps sur son lit pliant pour y lire, le poste branché sur Fip une bonne fois pour toutes, il lui arrivait de scotcher aux vitres des gravures découpées dans le Larousse, détaillant en arrière-plan l’évolution du paysage vers cette fin d’été» (Envoyée spéciale, p. 172). Fip et Echenoz, ensemble : que demander de plus ?

 

Références

Echenoz, Jean, Envoyée spéciale. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2016, 312 p.

Larriaga, Jean, FIP et moi. Chroniques d’un écouteur, Paris, L’Harmattan, 2014, 102 p.

Jean Larriaga, FIP et moi, 2014

Vie et mort du dévolu

L’Oreille tendue, ce samedi soir, à la télévision, regardait d’une oreille distraite le match entre les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto — c’est du hockey.

À un moment, à RDS, François Gagnon a utilisé l’expression «jeter son dévolu». Benoîtement, l’Oreille twitta ceci.

Tweet -- Jeter son dévolu

Plus tard dans la soirée, son tweet donna lieu à des échanges nourris.

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Tweet -- Jeter son dévolu

Depuis 1698 — le Petit Robert (édition numérique de 2014) date de cette année l’expression jeter son dévolu sur (qqn, qqch.) (sens : fixer son choix sur, manifester la prétention de l’obtenir) —, dévolu a-t-il jamais eu autant de succès ?

P.-S. — Comme cela arrive si souvent sur Twitter, l’échange sur dévolu mena à d’autres, sur sans ambages, sans vergogne, sans lésiner. C’est comme ça.

 

[Complément du 19 juillet 2022]

Foi de Casanova, il y a une gradation dans le dévolu : «Mon enthousiasme diminua; mais mon frère, sans me rien dire, jeta sur elle un si fort dévolu qu’une année après il se laissa attraper» (éd. de 2014, p. 335).

 

Référence

Casanova, Giacomo, Histoire de ma vie. Anthologie. Le voyageur européen, Paris, Le livre de poche, coll. «Classiques de poche», 32695, 2014, 597 p. Édition préfacée, commentée et annotée par Jean M. Goulemot.

Le zeugme du dimanche matin et de Daniel Boulanger

Daniel Boulanger, Fouette, cocher !, éd. de 1979, couverture

«Il en tua encore une centaine et soudain se trouva las, le cœur défait par la besogne que l’ennemi lui refusait. Colard Sade avait perdu un bras, Mouchy une oreille, Baudry du Meux la jambe qui lui restait et Mouron la vie.»

Daniel Boulanger, Fouette, cocher !, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1160, 1979, 310 p., p. 59. Édition originale : 1973.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)