Accouplements 161

André Brochu et Gilles Marcotte, la Littérature et le reste, 1980, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Brochu, André et Gilles Marcotte, la Littérature et le reste. Livre de lettres, Montréal, Quinze, coll. «Prose exacte», 1980, 185 p.

Au terme de la deuxième lettre, Gilles Marcotte envoie André Brochu «au monticule» : «Je n’ai pas frappé toutes les balles que vous m’avez expédiées durant cette première manche : vos courbes, vos glissantes, vos balles-papillons, vos “spit-balls”. Je me suis contenté, comme disent les experts, de “garder le marbre”. Mais la partie n’est pas finie…» (p. 29) Réponse de Brochu : «J’ai, pour le baseball, un mépris égal à celui de votre Maurice Parenteau. […] Dites-moi, le monticule, est-ce le lieu d’où on lance ou celui où l’on frappe ? Il serait bon que je sache, histoire d’ajuster mes métaphores» (p. 30). Diagnostic final : «Quel jeu compliqué, le baseball !» (p. 39)

Bélanger, David et Michel Biron, Sortir du bocal. Dialogue sur le roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Liberté grande», 2021, 227 p.

Première lettre de Michel Biron, à David Bélanger, le 1er mai 2020 : «Il me semble t’avoir déjà cité l’exemple de l’échange épistolaire entre les critiques Gilles Marcotte et André Brochu, paru en livre sous le titre La Littérature et le Reste. C’était une autre époque, bien sûr : le courrier électronique n’existait pas, les Canadiens gagnaient Coupe Stanley après Coupe Stanley, les Expos de Montréal n’étaient pas très bons, mais ils étaient beaux à voir» (p. 9-10).

P.-S.—Les Expos, c’était l’équipe de baseball de Montréal. Ce ne l’est plus.

Les zeugmes du dimanche matin et de Tristan Saule

Tristan Saule, Mathilde ne dit rien, 2021, couverture

«le calme de grands jardins qui tiennent les routes et les indésirables à distance» (p. 20).

Les aiguillages «existent toujours, sous la végétation et l’indifférence» (p. 46).

«Elle a l’agréable sensation que l’air purifie son intérieur, qu’il aspire les poussières, les odeurs, les regrets, et qu’il les emporte dehors avec lui» (p. 138).

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Mathilde ne dit rien. Roman. Chroniques de la place carrée. I, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 02, 2021, 280 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Antoine Brea

Antoine Brea, l’Instruction, 2021, couverture

«S’ils savaient, non pas les provocateurs qui répandent à dessein ces bruits stupides, mais ceux qui tendent l’oreille, qui au tribunal s’en régalent, vers quel état recroquevillé a évolué ma libido depuis des mois, même des années, sans parler des effets maintenant des médicaments.»

Antoine Brea, l’Instruction. Roman, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 154, 2021, 310 p., p. 116.

Accouplements 160

Bénabar, Reprise des négociations, 2005, pochette

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Bénabar, «Le fou rire», Reprise des négociations, 2005.

un fou rire à un enterrement
je m’en veux je m’en veux vraiment
c’était nerveux sûrement
en tout cas c’était pas l’moment
je suis peut-être cruel
complètement insensible
au moins je n’étais pas le seul
à rire le plus doucement possible

comme une traînée de poudre
le rire a enflammé le cortège
tombé sur nous comme la foudre
le plus beau de tous les sacrilèges
dos voûtés têtes baissées
j’ai honte à le dire
on poussait des p’tits cris étouffés
on était morts de rire

Brea, Antoine, l’Instruction. Roman, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 154, 2021, 310 p.

[Le narrateur assiste à l’enterrement de son père.] J’ai ri d’un rire violent, irrépressible, nerveux sans doute, fiévreux serait peut-être plus juste même si je ne crois pas avoir présenté de fièvre, un fou rire absolument aberrant, très choquant vu les circonstances, et en même temps libératoire, une vague de fond en tout cas impossible à arrêter, j’avais beau écraser ma main contre la bouche, me forcer à penser à cette société de gens corrects là tout autour et à ce qu’ils se disaient, à la honte qui viendrait plus tard, au procès sans merci qu’évidemment ils me feraient depuis leur cuisine ou leur salle à manger, le rire repartait de plus belle, je me pliais en deux (p. 301).

Les zeugmes du dimanche matin et de Laurent Mauvignier

Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit, 2020, couverture

«Il s’assied tous les soirs, à l’heure du repas, dans la cuisine de son enfance, et, même entièrement refaite, on n’y peut rien, rien ne change dans le secret du temps, il ne suffit pas de rénover, retaper, cacher sous la peinture et la modernité, il y a toujours, qui affleurent, des relents d’une époque qu’on voudrait oublier» (p. 83).

«[…] oui, il arrive qu’on soit soulagé de la fermeture d’une usine, comme celle-ci où on a fabriqué pendant plus de quarante ans des plaques ondulées en fibrociment pour les bâtiments agricoles et des raccords de tuyauteries, mais surtout des cancers, et, pour ceux qui n’en sont pas morts, des dépressions liées à la peur de l’amiante, de vivre avec cette saloperie en soi» (p. 186).

«Et tout ça pour faire quoi de mieux, quoi de plus que venir s’enterrer dans un bled pourri du centre de la France, au milieu de rien, de champs suintant le pesticide et le cancer, l’ennui, la désertification et le ressentiment ?» (p. 577)

Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 634 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)