Le Rocket et le prince

La reine Élisabeth II, le prince Philip, le gouverneur général Vincent Massey, Lucille et Maurice Richard, 1959, Rideau Hall, Ottawa

Philip Mountbatten, duc d’Édimbourg, est mort aujourd’hui. Quel lien peut-il bien avoir avec Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal — c’est du hockey ? Leurs chemins se sont croisés à quelques reprises.

La future reine du Canada, Élisabeth, et son mari, ledit prince Philip, assistent à un match des Canadiens le 29 octobre 1951, au Forum de Montréal. Ils verront Richard marquer deux buts, ses 298e et 299e. Selon Jean-Marie Pellerin (1976, p. 172), le prince aurait alors adressé ces mots à l’ailier droit : «Nice going, Rocket» (Bien joué, Rocket). L’année suivante, le Rocket enverra au couple royal la rondelle de son 325e but (p. 201).

Richard rencontrera le couple devenu royal en 1959. D’après Robert Rumilly (1978, vol. 2, p. 697), le 24 juin, le yacht royal Britannia accoste à Montréal et un dîner est organisé à bord, auquel participent le maire de Montréal Sarto Fournier, le quart-arrière des Alouettes Sam Etcheverry et Maurice Richard — les deux sportifs avaient auparavant participé au défilé de la Saint-Jean. (Une recherche très rapide dans les journaux de l’époque ne permet pas de confirmer les dires de Rumilly.) Le 1er juillet, à Rideau Hall, rebelote : le prince et le scoreur «parlèrent évidemment de hockey, pendant que Mme Richard et la reine parlaient de leurs enfants et leur éducation», dixit Jean-Marie Pellerin (p. 456).

Le prince Philip, en 1999, se souviendra du match de 1951 quand, sur papier à en-tête de Buckingham Palace, il félicitera publiquement le Rocket au moment du dévoilement de la télésérie Maurice Richard.

Tous les chemins mènent au Rocket.

 

Références

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story, docudrame de quatre heures en deux parties, 1999 : 1921; 1951. Réalisation : Jean-Claude Lord et Pauline Payette. Production : L’information essentielle.

Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill. Rééd. : Maurice Richard. L’idole d’un peuple, Montréal, Éditions Trustar, 1998, 570 p. Ill.

Rumilly, Robert, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, coll. «Bibliothèque canadienne-française. Histoire et documents», 1978, 2 vol. : tome I (1890-1944), 720 p.; tome 2 (1944-1959), 747 p. Ill.

Chanter Aurèle Joliat en (mauvais) anglais

Dessin de Guy Rutter pour Paul Marchand, and Other Poems, 1933

Aurèle Joliat (1901-1986) a été ailier droit pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1922 à 1938.

En 1933, Wilson MacDonald (1880-1967), dans son recueil Paul Marchand, and Other Poems, lui consacre un poème, «Monsieur Joliat». À la manière de William Henry Drummond (1854-1907), MacDonald donne la parole à un francophone («Pea Soup»), qui maîtrise mal la langue anglaise.

«Monsieur Joliat

Boston she have good hockey team;
Dose Senators ees nice.
But Les Canadiens ees bes’
Dat ever skate de ice.

Morenz he go lak’ one beeg storm;
Syl Mantha’s strong and fat.
Dere all ver’ good, but none ees quite
So good as Joliat.

I know heem well; he ees ma frien’ :
I doan know heem himsel’;
But I know man dat know a man
Who know heem very well.

Enfant ! Dat Joliat ees full
Of hevery kind of treek.
He talk heem hockey all de day
And sleep heem wit’ hees stick.

He’s small but he ees bothersome
Lak’ ceender in de eye.
Maroons all yell : “Go get som’ ’Flit
And keel dat leetle fly.

Garcon ! he’s slippery; oui, oui —
Lak’ leetle piece of soap.
I tink nex’ time I watch dat boy
I use a telescope.

He’s good on poke-heem-check, he is :
He’s better on attack.
He run against beeg Conacher
And trow heem on hees back.

He weegle jus’ lak’ fish-worm do
Wen eet ees on a hook;
An’ wen he pass de beeg defence
Dey have one seely look.

He weigh one hondred feefty pound.
Eef he were seex feel tall
He’d score one hundred goal so queek
Dere’d be no game at all.

He was so queek he mak’ dem look
Jus’ lak’ a lot of clown.
An’ wen he shoot de wind from her
Eet knock de hompire down.

Wen I am tire of travais-trot
I put on coat of coon
And go to see Canadiens
Mak’ meence-meat of Maroon.

When Joliat skate out I yell
Unteel I have a pain.
I trow my hat up in de air
And shout, “Hurrah”, again.

“Shut up, Pea Soup”, an Englishman
Sarcastic say to me;
So I turn round to heem and yell :
“Shut up you Cup of Tea.”

Dat was a ver’ exciting game :
De score eet was a tie;
An’ den dat leetle Joliat
Get hanger een hees eye.

He tak’ de puck at odder goal
An’ skate heem down so fas’
De rest of players seem asleep
As he was goin pas’.

He was so queek he mak’ dem look
Jus’ lak’ a lot of clown.
An’ wen he shoot de wind from her
Eet knock de hompire down.

Dat was de winning goal, hurrah;
De game she come to end.
I yell : “Bravo for Joliat;
You hear : he ees ma friend.”

De Henglishman he say : “Pardon”,
An’ he tak’ off hees hat :
De Breetish Hempire steel ees safe
Wen men can shoot lak’ dat.”

An’ den he say, “Bravo”, as hard
As Henglishman can whoop :
“I tink to-night I’ll change from tea
To bally ole pea-soup”» (p. 41-46).

Ce texte appelle trois séries de remarques.

Des remarques linguistiques, d’abord. Non sans incohérences (il y a wen et when, hondred et hundred, Henglishman et Englishman, friend et frien’), le poète tente d’exploiter le mauvais anglais (caricatural) de son personnage. Il choisir de mettre en relief quelques traits particuliers.

La syntaxe est fautive, dès le premier vers (Boston she have good hockey team) et souvent par la suite.

La conjugaison des verbes est aléatoire : Dose Senators is nice, he go, dat know, he pass, he weigh.

Des graphies personnelles sont proposées : doan (don’t), ceender (cinders).

Souvent, la lettre h manque : dose, dat, de, dere, dey, dem, den; odder (other); tink, trow.

Parfois, elle est ajoutée : hevery, hompire, hanger, Hempire.

L’apocope règne : du t (bes’, nex’, jus’, fas’, pas’), du y (ver’), du d (frien’, an’, tire), du f (himsel’), du h (wit’), du e (som’).

La lettre i est remplacée par ee : ees, beeg, heem, treek, hees, keel, eet, seely, eef, seex, meence, unteel, Breetish, steel.

Certains mots ont une prononciation non standard : lak’ (like), ma (my), mak’ (make), tak’ (take).

Quelques mots sont en français et on peut parfois se demander pourquoi : Enfant, Garcon (sans cédille), oui, Bravo.

Des remarques sportives, ensuite.

Joliat est petit (small, leetle) et léger (one hondred feefty pound), mais il est rapide (queek, slippery, fas’) et frétillant : He weegle jus’ lak’ fish-worm do. Il connaît toutes les ficelles du métier : Dat Joliat ees full / Of hevery kind of treek. Il n’a pas peur de s’en prendre à plus gros que lui : He run against beeg Conacher / And trow heem on hees back. Il dérange ses adversaires (bothersome, étonnante épithète). Quand le match est nul (a tie), il se fâche (hanger een hees eye), traverse la patinoire et marque. Surtout, on dit «Monsieur Joliat», car c’est lui le meilleur : but none ees quite / So good as Joliat.

Des remarques politiques, enfin.

Au départ, il y a de la tension à l’aréna entre anglophones (Shut up, Pea Soup) et francophones (Shut up you Cup of Tea). Mais quand les Canadiens triomphent de l’équipe adverse (Mak’ meence-meat of Maroon), l’empire est sauf : De Breetish Hempire steel ees safe et la réconciliation est possible : I tink to-night I’ll change from tea / To bally ole pea-soup.

Tout est bien qui finit bien.

P.-S.—À quoi «travais-trot» peut-il bien renvoyer ? Sur Twitter, on a proposé travaille trop. Une autre version du poème, peut-être de 1946, comporte d’ailleurs trop au lieu de trot. La question reste ouverte.

P.-P.-.S.—Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue parle de poésie et de hockey. Voyez ici, par exemple.

 

Référence

MacDonald, Wilson, Paul Marchand, and Other Poems, Toronto, Pine Tree Pub., 1933, 46 p. Illustrations de Guy Rutter.

Le masque qui révèle

Masque de Carey Price, 2021, par Jordon Bourgeault, détail

Carey Price, le cerbère des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a un nouveau masque, conçu par Jordon Bourgeault. (Oui, il y a des gens que cela intéresse.) Que représente-t-il ? Entre autres choses, Maurice Richard, et particulièrement son regard, donc ses yeux. L’Oreille tendue ne le lui reprochera pas.

Price décrit son masque ici (à voir sur tablette).

P.-S.—En effet, ce Price-là.

 

[Complément du 21 décembre 2021]

La lecture du beau livre Masques (2011), de Richard Labbé, permet de constater que Price n’est pas le premier gardien à honorer ainsi un joueur du passé. Le Slovaque Jaroslav Halak, du temps où il jouait pour les Blues de Saint-Louis, a fait peindre sur ses masques les visages de deux anciens gardiens de cette équipe, Jacques Plante (p. 18) et Mike Liut (p. 74). Dwayne Roloson, chez les Islanders de New York, avait choisi de rendre hommage à Glenn «Chico» Resch et à Billy Smith (p. 34-35). Alors avec les Penguins de Pittsburgh, Marc-André Fleury fait «un clin d’œil» à Stéphane Fiset (p. 42-43). La tête de tigre du masque de Martin Biron renvoie à celui de Gilles Gratton (p. 81).

Le hockey, cette tradition.

 

Référence

Labbé, Richard, Masques, Montréal, Art global, 2011, 83 p. Ill.

His Bobness à l’aréna

Les deux joueurs de hockey préférés de Bob Dylan selon le magazine Interview, 2012

En 2012, Bob Dylan donne une entrevue au magazine Interview. Dans «New Again : Bob Dylan», on apprend, sous la plume de Scott Cohen, que le chanteur a deux joueurs de hockey préférés : Sammy Williamson et Maurice «The Rocket» Richard.

Pour Richard, l’Oreille tendue voit à peu près de qui il s’agit.

Mais Sammy Williamson ? Il doit s’agir du Sam Williamson qui a joué, en 1951-1952, pour les Flyers de Hibbing, puisque Dylan a grandi dans cette ville du Minnesota. C’est un enfant qui aurait vu jouer Williamson; Dylan avait alors dix ans.

À chacun ses héros.

P.-S.—L’Oreille a appris l’existence de cet entretien grâce à un tweet de Jean-François Proulx. Merci.