Claude Provost (1933-1984)

Portrait de Claude Provost

Claude «Jos» Provost a été ailier droit pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1955 à 1970. Ceux qui se souviennent encore de lui ont à l’esprit l’image d’un joueur appelé à couvrir les meilleurs joueurs de l’équipe adverse, notamment Bobby Hull, dont il était «l’ombre». Aujourd’hui, on dirait peut-être de lui que c’est un «plombier».

Malgré l’oubli relatif dans lequel il est tombé, il a eu une belle carrière : neuf coupes Stanley, dont cinq de suite; première équipe d’étoiles de la Ligue nationale de hockey en 1964-1965; trophée Bill-Masterton en 1967-1968; participation à onze matchs des étoiles de la LNH. Il a côtoyé de très grands joueurs : Maurice Richard, Jean Béliveau, Jacques Plante, Doug Harvey, Henri Richard (dont Provost a été très proche, comme le rappellent Denis Richard et Léandre Normand).

La culture s’est peu souvenue de lui : pas de chanson, aucune bande dessinée, peu de films (Peut-être Maurice Richard, 1971). Les prosateurs ont à peine été moins chiches. Provost fait une apparition dans Arvida, de Samuel Archichald (p. 221). Claude Dionne, en 2012, se souvient, sans le nommer, du joueur qui «se dégantait, comme la bigote avant de plonger le bout de ses doigts dans le bénitier de marbre, et se signait maladroitement avant de poser le patin sur la glace» (p. 36). Chez Marc Robitaille, on apprend qu’il fumait le cigare (p. 26). Il donne son nom au personnage principal de la Surface de jeu (2020).

En fait, Claude Provost n’avait plus qu’un seul vrai fan : l’écrivain, anthropologue, conférencier et homme de radio Serge Bouchard. Dans son plus récent recueil de textes, Un café avec Marie (2021), Bouchard consacre un texte à Provost, «Le chandail numéro 14 des Canadiens de Montréal» (p. 30-32), texte qu’il a d’abord lu à l’émission C’est fou… L’éloge est absolu : «Son visage inoubliable devrait se retrouver en trois dimensions au plafond du centre Bell. C’est lui, le vrai fantôme du Forum, la gueule du sacrifice, la gueule du gagnant» (p. 32). Provost était petit, massif, travaillant, fier — comme Serge Bouchard.

Serge Bouchard vient de mourir. Il va manquer à l’Oreille tendue.

P.-S.—Voir aussi «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux (2005) :

Le joueur de hockey de ma jeunesse, c’était Claude Provost, le numéro 14 des Canadiens. Il n’était pas grand, il n’était pas gros. Éloge du tocson, du plus large que long, jambes arquées, larges épaules, tête frisée, nez brisé et un cœur gros comme un tour du chapeau. Il n’était même pas beau, mon Claude Provost. Il jouait dans l’ombre des plus grandes légendes. Il boitait plus qu’il ne patinait. C’était pourtant le dieu des cols bleus sur la patinoire du Forum (p. 131).

 

[Complément du 3 janvier 2023]

Ajoutons Martin Sasseville aux fans de Provost. Dans une de ses contributions pour le Meilleur de La vie est une puck, il rend hommage à la fois au joueur de hockey et à Serge Bouchard : «Est-ce que Claude Provost, ancien coéquipier de Jean-Claude Tremblay, ne serait pas plutôt ce plus grand joueur oublié de l’histoire ?» (p. 215)

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.

Bouchard, Serge, Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, 272 p.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Gravel, Mathieu, Étienne Hallé, Benoit Harbec et Martin Sasseville, le Meilleur de La vie est une puck. Une collection de quelques-uns des meilleurs textes, billets, articles ou niaiseries parus sur le blogue La Vie Est Une Puck depuis sa création en 2009, (s.l.), La vie est une puck, 2022, 284 p. Ill.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Le monde ne reste pas le même

Publicité de Loto-Québec, 2012

La publicité de Loto-Québec est fort connue : «Ça change pas le monde, sauf que…» Autrement dit : ça change le monde.

La locution sauf que est désormais omniprésente au Québec, non plus seulement pour introduire une proposition subordonnée, mais pour commencer une phrase.

Les journalistes sportifs le font — «Sauf que le Canadien perdait 3 à 1, et que sur les trois buts accordés par Théodore, deux étaient douteux» (la Presse, 20 février 2001) — aussi bien que les écrivains — «Sauf que, parfois, pour se dire les vraies choses, on a besoin d’une table avec vue imprenable sur la ville, un service impeccable et une carte raffinée» (Matamore no 29, p. 139); «Sauf que c’est un cours de philosophie» (le Charme discret du café filtre, p. 112).

Au lieu de marquer la subordination, sauf que marque désormais, très fréquemment, la conjonction.

C’est comme ça.

P.-S.—Oui, l’Oreille tendue aurait dû écrire ce texte il y a longtemps. Elle s’en veut de cet oubli, au point de s’en mordre les lobes.

 

Références

Farah, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier, 2008, 208 p.

Panneton, Amélie, le Charme discret du café filtre. Nouvelles, Montréal, Éditions de la Bagnole, coll. «Parking», 2011, 158 p.

Accouplements 146

Simon Brousseau et Patrick Nicol, collage de pages de couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

«En voyage, je crois toujours croiser des gens que je connais. Sur les visages des passants, je projette des figures familières et m’étonne que mes amis, mes voisins, aient des répliques dans cette partie du monde, comme si le moule avec lequel on les avait fabriqués avait beaucoup circulé» (p. 130).

Brousseau, Simon, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p.

«Lors de ton année d’études à Bordeaux tu as eu l’occasion de voyager partout où la curiosité te guidait, de Barcelone à Amsterdam en passant par Prague, Vienne et Bratislava, et dans chacune de ces villes tu as croisé à un moment ou l’autre, telles des ombres détachées des corps qui les ont projetées, les sosies de tes proches au Québec où la vie continuait sans toi, et pour te venger de l’indifférence de tes amis qui ne répondaient jamais à tes lettres, tu as pris l’habitude de lancer des regards méchants à ces doubles qui se baladaient d’un pas allègre dans la vieille Europe en faisant comme si tu n’existais pas» (p. 12).

P.-S.—L’Oreille tendue a parlé à quelques reprises de Synapses, par exemple le 23 janvier 2017.

L’imbibition, encore

Ellie Martineau-Lavoie, les Bikinis couleur peau, 2018, couverture

Hasard ou nécessité, il est souvent question en ces lieux d’imbibition alcoolisée (voir ici ou ).

Parlons donc robine.

Définition du dictionnaire numérique Usito : «Alcool de mauvaise qualité; liquide alcoolisé qu’on ne peut consommer.» Étymologie : «1935. […] de l’anglais rubbing (alcohol)

Exemple romanesque : «Les yeux cernés, l’air désabusé, il dégageait une puissante odeur de robine» (Cercles de feu, p. 178).

Exemple poétique : «il y a un incendie dans les nuages / des collines en coton / les moineaux sur les balcons / sentent la robine» (les Bikinis couleur peau, p. 51).

Exemple chanté : «Tant qu’il y aura des femmes pis tant qu’il y aura d’la robine» («À chaque jour le même soleil»).

Exemple nouvellistique : «Il sentait ses dents huileuses sous la langue et les goûts mélangés du saucisson à l’ail et de la robine» («Effacer le tableau», p. 167).

Il paraît donc que, malgré ce qu’avance Usito, la robine se consomme.

P.-S.— Oui, la robine est proche de la tonne.

P.-P.-S.—Le consommateur de robine peut devenir un robineux.

 

Références

Bock, Raymond, «Effacer le tableau», dans Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p., p. 149-175.

CQFD, «À chaque jour le même soleil», chanson, 2002.

Dimanche, Thierry, Cercles de feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 138, 2019, 438 p.

Martineau-Lavoie, Ellie, les Bikinis couleur peau. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2018, 86 p.

Parlons cheval

Soit le tweet suivant, de Yan Saint-Onge :

Dans ce cas-ci, l’expression en joual vert signifie beaucouptrès. Voici un autre exemple, qui va dans le même sens, tiré du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux, de Michel Tremblay (1973) :

Ah, okay, ça nous fait rêver pis toute, pis j’ai rien contre le rêve de temps en temps, mais moé j’sais ben que si Pit se mettrait à me dire le quart d’la moitié de ce que les hommes disent aux femmes dans les vues, j’me tordrais de rire en joual vert ! (p. 106)

Par ailleurs, on peut être en joual vert, voire en beau joual vert : fâché, mécontent, courroucé. Ce serait plus présentable que de se dire en crisse, en tabarnak, en câlisse, en estie, en sacrament, en ciboire, etc.

Cela étant, des mélanges sont possibles, histoire de bien marquer le coup, comme chez le Maxime Raymond Bock des Noyades solitaires (2017) :

Il atteignait la fin de la quarantaine, pétri d’une toute-puissance professionnelle, intellectuelle et morale, mais il ne pouvait que constater, et ça le mettait en hostie de beau joual vert, que ses enfants étaient des mécréants (p. 21).

On aura reconnu ce joual; c’est un cheval. Mais pourquoi diantre est-il vert ?

P.-S.—Pierre Corbeil propose une graphie en un seul mot, joualvert (2011, p. 44). À première vue, cela étonne, mais est alors plus visible le lien possible entre joualvert et calvaire.

P.-P.-S.—Usito offre l’étymologie suivante : «Depuis 1930 […]; déformation de (parler) cheval “baragouiner, s’exprimer d’une manière inintelligible”; locution relevée dans la langue populaire en France au 19e s.»

 

Références

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Tremblay, Michel, C’t’à ton tour, Laura Cadieux. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Romanciers du jour», R-94, 1973, 131 p.