Denis Coderre et le lexique de l’imbibition

 

Denis Coderre à côté de la statue de Jean Drapeau, Montréal, 2 juin 2021Denis Coderre a déjà été maire de Montréal et il souhaite le redevenir. Dans le cadre de sa campagne électorale, il multiplie les déclarations, toutes plus réjouissantes les unes que les autres.

Nouvel exemple cet après-midi : s’il est élu, il voudrait interdire la consommation d’alcool après 20 h dans les parcs de la ville, histoire de «protéger les gens contre eux-mêmes».

Les réseaux sociaux se régalent depuis, en comparant l’aspirant omnimaire à des hommes politiques du passé, Pacifique Plante ou Jean Drapeau (celui de la statue ci-dessus). On a même évoqué la Ligue de tempérance.

C’est aussi vrai sur le plan du lexique. Que faut-il interdire ? Le fait de «prendre un coup» et, par voie de conséquence, la «boisson». Sur le plan du vocabulaire de l’imbibition, Denis Coderre est aussi un homme d’un autre âge.

Voltaire et Donald Trump

Rick Frausto, «Don the Con», caricature de Donald Trump, 2019

Les États-Unis ont récemment, non sans mal, changé de président.

Il peut paraître étonnant de lier le nom de l’ancien président à une période dont on dit souvent qu’elle est définie par le culte de la raison et par la valorisation de la tolérance. Il y a pourtant des liens entre Donald J. Trump et le Siècle des lumières.

Prenons deux exemples.

Le premier est une caricature parue dans le Wall Street Journal du 20 octobre 2016. Jovial, Trump est assis dans le Bureau ovale, lunettes et stylo à la main. Devant lui et à sa gauche, des feuilles de papier. À sa droite, trois livres : un sur les relations internationales (Foreign Relations), un sur (ou de) Lincoln, un dernier sur (ou de) Voltaire. Pourquoi ces livres ? Il s’agirait d’imaginer un Trump «sain d’esprit» («Imagine a Sane Donald Trump. You know he’s a nut. What if he weren’t ?»). À chacun ses défis.

Le second exemple est une phrase entendue durant le second procès en destitution du 45e président et attribuée à Voltaire : «Anyone who can make you believe absurdities can make you commit atrocities» (Jamie Raskin).

Jusqu’à maintenant, devant les nombreuses occurrences de cette citation, l’Oreille tendue renvoyait à l’interprétation d’un biographe de Voltaire (Gallimard, 2015), François Jacob, dans le journal le Temps (Genève) : il s’agirait d’«un hoax assez récent qui semble faire, depuis une dizaine d’années, le bonheur des internautes».

Sur le blogue de la Voltaire Foundation, Nicholas Cronk montrait hier que la phrase attribuée à Voltaire («Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités») n’est pas de lui, mais qu’il a bel et bien écrit quelque chose d’assez proche : «Certainement qui est en droit de vous rendre absurde, est en droit de vous rendre injuste.» C’est par le biais de sa traduction en anglais, par Norman Torrey, que la citation est devenue populaire.

Cronk cite, pour résumer l’affaire, un passage de l’entrée «Voltaire» d’un ouvrage édité par Susan Ratcliffe, Oxford Essential Quotations (Oxford University Press, 2017, cinquième édition) : «“Truly, whoever is able to make you absurd is able to make you unjust”, commonly quoted as “Those who can make you believe in absurdities can make you commit atrocities” (Questions sur les miracles, 1765).»

Nous pouvons maintenant passer à autre chose.

P.-S.—Vous préférez Trump en lecteur de l’Encyclopédie ? C’est par là.

Justin Trudeau et Réjean Ducharme

Réjean Ducharme, HA ha !…, 1982, couverture

Demain soir, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’adressera à la nation. En après-midi, les citoyens auront eu droit à un discours du trône.

Il n’y a rien à faire : quand l’Oreille tendue entend «discours du trône», elle pense immédiatement à l’incipit de HA ha !…, la pièce de Réjean Ducharme.

Des déclics de magnétophone, des cris de bande rembobinée. Lumières. Roger qui recommence l’enregistrement de son «Bedit Discours». Il le lit sur un bout de papier froissé en se bouchant le nez.

Roger : Bedit Discours du trône à quatre pattes dont deux molles : «La nouvelle pissance bio-dégradante du Danemark amélioré aux enzymes ravive les gouleurs foncées du Saint-Relent, le fleuve qui l’arrose, comme une mouffette. (Il fait jouer le nouvel enregistrement. Il se félicite en s’écoutant : ) Infect !… Abject !… Ignoble !… Répugnant !… Ah stextra ! stexcellent ! (HA ha !…, p. 15)

Qu’on lui pardonne ce rapprochement.

P.-S.—Oui, en effet, l’Oreille se répète.

 

Référence

Ducharme, Réjean, HA ha !…, Montréal, Lacombe, 1982, 108 p. Préface de Jean-Pierre Ronfard.

La clinique des phrases (zz)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Du point de vue de notre avenir politique, deux leçons peuvent être tirées de l’actuelle pandémie. Nous avons pu constater que, presque partout, les populations plongées dans l’insécurité se sont tournées vers leur nation pour se protéger.

S’il est vrai que des institutions supra-étatiques, par exemple l’Union européenne, ont été critiquées pour leur (non-)gestion de la crise du coronavirus, l’Oreille tendue n’a vu nulle part d’appel à remplacer ces institutions par la «nation». Personne, il lui semble, n’a fait appel à la «nation québécoise», à la «nation canadienne», à la «nation française», etc.

Essayons ceci :

Du point de vue de notre avenir politique, deux leçons peuvent être tirées de l’actuelle pandémie. Nous avons pu constater que, presque partout, les populations plongées dans l’insécurité se sont tournées vers leur État pour se protéger.

À votre service.