Affliction de l’Oreille

Cités, no 23, 2005, «Le Québec, une autre Amérique», couverture

Lire ceci dans le Devoir du 26 septembre 2012 : «Québec ne se lancera pas dans les fusions-défusions» (p. A5). Et ressentir du chagrin.

Il faut savoir que «la saga des fusions-défusions» a beaucoup occupé les médias québécois il y a quelques années. En voici une définition tirée d’un texte publié par l’Oreille tendue en 2005 :

Psychodrame qui secoue la politique municipale à Montréal, dans la vieille capitale (Québec), dans le 450 et dans les régions. Il y avait des villes autonomes; on les fusionna, ce qui aurait dû entraîner un fort courant d’adhésion; devenues simples arrondissements ou secteurs de mégavilles, elles furent rapidement menacées de défusion, au grand désespoir des profusionnistes; quelqu’un proposa alors de parler de démembrement; on en arriva finalement à une consultation sur la réorganisation municipale, la décentralisation et la déconcentration; à la suite de référendums, quelques villes furent démembrées et d’autres restèrent fusionnées; il est possible qu’un jour toutes soient reconstituées en agglomérations. Ce n’est pas sans créer un brin de confusion.

On le voit : les fusions-défusions, à défaut de faire l’unanimité politique, faisaient le bonheur des observateurs de la langue. On aurait aimé en profiter encore. Il faudra plutôt en vivre le deuil.

P.-S. — Outre les mots énumérés ci-dessus, il y eut aussi, entre autres créations lexicales, défusionner, défusionniste, défusionnel, défusionnisme, dédéfusion.

 

Référence

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

Ne pas la déchirer

Au cours de la récente campagne électorale québécoise, l’Oreille tendue a signé un texte dans le Journal de Montréal. Elle s’y définissait comme un «privilégié insatisfait».

En effet, elle croyait faire partie des «privilégiés» :

J’ai la sécurité d’emploi, un bon salaire, des avantages sociaux importants. Je fais un travail que j’aime. J’aimerais pouvoir dire que je suis de la classe moyenne, mais ce n’est pas vrai. Comme la plupart de mes collègues professeurs d’université, je fais partie de ceux qui n’ont guère à s’inquiéter quotidiennement de leur avenir financier.

Elle se trompait.

Si l’on en croit le discours ambiant, elle ferait plutôt partie des «contribuables aisés», ces «riches» que le gouvernement du Parti québécois veut taxer (rétroactivement) pour financer une de ses promesses électorales, soit l’abolition de la «taxe santé». Et, comme chacun le sait, il faut faire «payer les riches».

Selon ce discours, l’Oreille n’aurait pas à se plaindre. Cela s’incarne dans une recommandation vestimentaire.

David Desjardins le dit sur Twitter : «Avant de déchirer sa chemise à propos des hausses d’impôts… http://bit.ly/QWUtEj

La coporte-parole de Québec solidaire, Françoise David, sur les ondes de la chaîne d’information continue RDI, va dans le même sens : «franchement, est-ce qu’il y a de quoi déchirer sa chemise».

Autrement dit : faisons payer les «riches», mais prévenons-les d’épargner leur garde-robe et exhortons-les à ne pas exagérer leur «malheur» (c’est ce que paraît signifier «ne pas déchirer sa chemise»).

C’est noté. Merci.

P.-S. — Cela étant, qu’on se rassure. L’Oreille tendue ne souffre pas d’«angoisse fiscale» (la Presse, 25 septembre 2012) et elle ne se croit pas victime d’«oppression fiscale» (la Presse, 2 octobre 2012, cahier Affaires, p. 3).

 

[Complément du 18 octobre 2013]

Alain Dubuc, dans la Presse du jour, invente le concept de «chemise collective» : «Avant de déchirer notre chemise collective, pensons aux gagnants de l’entente de libre-échange avec l’Union européenne» (p. A19).

 

[Complément du 14 octobre 2016]

Il faut connaître l’expression déchirer sa chemise pour comprendre la phrase suivante : «Épargnez vos chemises, je vous en prie, il n’y a pas de complot pour faire taire les altermondialistes. Pas plus qu’il n’y en a pour empêcher les comiques antisémites de venir faire des blagues sur notre territoire» (la Presse+, 13 octobre 2016).

Autopromotion 045

L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur la récente campagne électorale québécoise (c’est ici).

Elle en avait aussi parlé à la radio québécoise.

Cette semaine, c’est au micro de Jonathan Weiss, dans le cadre de l’émission Europe Amériques, sur Radio Cultures Dijon, qu’on peut l’entendre (et pendant plus de 27 minutes), toujours sur le même sujet.

Royauté libérale

L’Oreille tendue le faisait remarquer l’autre jour : la récente campagne électorale québécoise a fait sortir des limbes quelques termes du lexique politique (cassette, autopeluredebananisation, caribous, réingénierie).

Elle y a aussi fait entrer l’ex-premier ministre du Québec, Jean Charest. Défait dans sa propre circonscription, le chef du Parti libéral a démissionné de son poste. Par conséquent, il faudra qu’un nouveau chef soit élu.

Or, au Québec, au cours des dernières années, peu de chefs politiques ont dû faire face à la concurrence au moment de leur entrée à la tête de leur parti. Comme ils étaient seuls en lice, ils ont eu droit à un couronnement.

Couronnement ? Voici la définition qu’en proposait le Dictionnaire québécois instantané cosigné par l’Oreille en 2004 :

Élection tout ce qu’il y a de plus démocratique d’un candidat qui anéantit prédémocratiquement tous ses opposants. Le couronnement de Jean Charest. Le couronnement de Lucien Bouchard. Le couronnement de Bernard Landry. Le couronnement de Paul Martin. «Le PQ arrête la date du couronnement : le 3 mars» (la Presse, 28 janvier 2001). «Le scénario du couronnement est bien rodé» (le Devoir, 29 janvier 2001). «Un pas de plus vers le couronnement» (le Devoir, 20-21 septembre 2003) (p. 54-55).

Le mot réapparaîtra-t-il dans la course à la chefferie libérale ? Il était en tout cas sous la plume de Michel David dans le Devoir du 8 septembre (p. B3). Voyons voir.

P.-S. — Dans la même situation, il est parfois question de plébiscite.

P.-P.-S. — En France, on parle plutôt de sacre : «Le sacre de Sarkozy» (le Devoir, 13-14 janvier 2007, p. B1).

 

[Complément du 12 septembre 2012]

Était-ce couru ? Le jour où l’Oreille tendue mettait ce texte en ligne, le Devoir affirmait ne pas croire à un «sacre expéditif» (p. A3).

 

[Complément du 25 janvier 2015]

Le Parti québécois se cherche un nouveau chef. Jean-François Lisée voulait l’être, mais il vient de retirer sa candidature. Selon lui, un de ses adversaires, Pierre Karl Péladeau (PKP pour les intimes), a une avance insurmontable. Il reste cependant d’autres candidats : Pierre Céré, Alexandre Cloutier, Bernard Drainville, Martine Ouellet. Qu’est-ce qui les motive ? «Même si Jean-François Lisée s’est retiré hier de la course à la direction du Parti québécois (PQ), des candidats toujours en lice martèlent qu’ils ne veulent pas entendre parler d’un couronnement de Pierre Karl Péladeau» (site de Radio-Canada, 24 janvier 2015). Autre parti, même vocabulaire.

 

[Complément du 1er août 2016]

Diptyque électoral états-unien : «Remous démocrates à la veille du sacre de Clinton» (le Devoir, 25 juillet 2016, p. A1); «Après le couronnement de Trump à Cleveland, c’est au tour des Démocrates d’ouvrir leur convention à Philadelphie» (@icircpremiere).

 

[Complément du 17 janvier 2019]

C’est maintenant le tour du parti indépendantiste fédéral (ce serait trop long à expliquer) : «L’ancien ministre péquiste Yves-François Blanchet a été couronné chef du Bloc québécois. Il a été la seule personne à avoir présenté une candidature valide» (le Devoir, 17 janvier 2019).

 

[Complément du 11 mai 2020]

Revenons aux libéraux : Dominique Anglade «prend la tête du #PLQ dès cet après-midi. L’exécutif du parti adopte une résolution pour confirmer son couronnement» (Twitter).

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

L’histoire qui s’écrit

Pauline Marois, la chef du Parti québécois, est devenue la première première ministre du Québec le 4 septembre 2012.

À la télévision, ce soir-là, on a martelé qu’il s’agissait d’un «moment historique» et d’une «page d’histoire».

Sur Twitter, on a écrit que l’histoire s’écrivait «sous nos yeux».

La couverture du numéro de la revue Châtelaine lancé aujourd’hui va dans le même sens.

Châtelaine, septembre 2012

Le gouvernement Marois sera minoritaire ? «Une victoire historique… et un Québec divisé», titre Alec Castonguay sur son blogue de l’Actualité. «Historique mais courte», lit-on dans la Presse (5 septembre 2012, p. A4).

On aurait aimé que l’élection d’une femme au plus haut poste de l’État soit le seul événement historique de la soirée. Celle-ci passera malheureusement à l’histoire comme celle où un attentat a eu lieu en pleine célébration électorale. Ce n’est pas le premier événement de ce type au Québec, mais il restera sans aucun doute dans les mémoires.

L’Oreille tendue, elle, se souviendra aussi, et avec douleur, des appels au meurtre d’une femme élue démocratiquement que l’on a pu lire sur les médias dits «sociaux» (Twitter, Facebook). C’était (c’est) odieux.