La clinique des phrases (108)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la quatrième de couverture d’un livre récent :

Après une carrière de 35 ans, au cœur du vestiaire du Tricolore, Pierre Gervais a été un témoin privilégié de nombreux moments qui ont ponctué l’histoire de nos Glorieux.

(«Tricolore» ? «Glorieux» ? Cela désigne l’équipe des Canadiens de Montréal — c’est du hockey et, donc, de la langue de puck.)

On peut légitimement penser que ledit Pierre Gervais a surtout été un «témoin privilégié» du temps où il travaillait «au cœur du vestiaire du Tricolore», et non pas «après» sa carrière. De même la virgule entre «ans» et «au» est évidemment inutile.

Bref :

Durant une carrière de 35 ans au cœur du vestiaire du Tricolore, Pierre Gervais a été un témoin privilégié de nombreux moments qui ont ponctué l’histoire de nos Glorieux.

À votre service.

P.-S.—Le livre où apparaît cette phrase bancale fait partie du catalogue d’une nouvelle maison d’édition. Ce n’est pas la seule chose qui mériterait d’être corrigée : appositions mal ponctuées, constructions fautives, caractères italiques jetés au petit bonheur la chance, personnages nommés par leur seul prénom avant d’être présentés, etc. Ne s’improvise pas éditeur qui le veut.

D’Hydro

Salaün, Franck, «Le “feu électrique” selon Diderot», 1998, titre de l’article

Les spectateurs du Québec sont exposés, depuis quelques années, à plusieurs créations de théâtre documentaire, de Faire l’amour aux Hardings.

Beaucoup de Québécois sont fiers de la société qui produit leur énergie électrique, Hydro-Québec.

L’Oreille tendue a publié sa thèse de doctorat, en 1996, sur la correspondance de Denis Diderot.

Quel est le rapport entre ces trois choses ? Le lait, bien sûr.

Justin Laramée est le concepteur d’une (excellente) pièce de théâtre, Run de lait. («Run de lait» ? Par ici.) On y apprend tout ce que l’on doit savoir sur l’industrie laitière au Québec. (On ne ricane pas dans le fond de la classe : c’est passionnant.) L’Oreille a vu le spectacle mercredi soir à La Licorne, à Montréal.

Puisqu’il s’agit de théâtre documentaire, l’auteur (et comédien principal) fait deux allusions à J’aime Hydro, de Christine Beaulieu, le plus grand succès du genre au Québec, devant son acolyte, Benoît. (Il a été question de J’aime Hydro par .) Dans la première, en espagnol, un ouvrier guatémaltèque évoque la pièce auprès de Justin Laramée, non sans surprise chez celui-ci. Dans la seconde, un transformateur laitier du Saguenay—Lac-Saint-Jean raconte s’être trompé à la salle Michel-Côté d’Alma. Il pensait assister à une représentation de la pièce de Beaulieu et il est tombé sur un spectacle où il était question de Jacques le fataliste, de l’Encyclopédie et des Lumières : il ne s’agissait pas d’Hydro, mais de Diderot — et le spectateur-transformateur n’était pas content.

L’Oreille tendue peut parfaitement se mettre dans sa peau. Pour des raisons amicales puis conjugales, en effet, elle a beaucoup entendu parler d’Hydro-Québec au fil des ans. À toutes les fois, elle pensait «Diderot Québec ?». Elle se croyait toute seule à souffrir de ce problème auditif. Que nenni !

Racontant sa situation sur Twitter, l’Oreille a eu droit à une réponse d’une romancière — «Et dans la chanson “Lignes d’Hydro” de Lisa LeBlanc, j’entends toujours “lignes Diderot” !» —, puis d’une professeure de cégep — «J’ai aussi vu cela dans une réponse d’examen, “Denis D’Hydro”».

Il est bon de savoir que l’on n’est pas seul.

P.-S.—C’est vrai : ce n’est pas la première fois que cette confusion apparaît en ces lieux.

 

[Complément du 21 février 2025]

La personne qui a saisi les paroles de la chanson «My name was» (2012) d’Ivy souffre du même trouble auditif — à moins de croire qu’il s’agisse bel et bien d’une double allusion aux Lumières françaises (Diderot, Voltaire).

Ivy, «My name was», 2012, extrait des paroles

 

[Complément du 23 février 2025]

L’Oreille tendue a annoncé sur Bluesky le complément du 21 février. Réponse, illustration à l’appui, de Gilles Desjardins : «Dans les années 80, le très brillant artiviste Philippe Côté produisait des commentaires sur la société, l’art, etc., sous la forme de cartes plastifiées qu’il distribuait comme des cartes d’affaires. Plusieurs parlaient de “Diderot-Québec”.»

C’est trop beau pour être vrai.

Philippe Côté, «Diderot Québec», carte plastifiée, Québec, années 1980

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Bürger, Alexia, les Hardings, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 19, 2019, 99 p. Ill. Suivi de Ouanessa Younsi, «Contrepoint. Être Thomas Harding».

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

Olivier, Anne-Marie, Faire l’amour, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 01, 2014, 110 p. Ill.

Salaün, Franck, «Le “feu électrique” selon Diderot», Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 53, 2018, p. 279-285. https://doi.org/10.4000/rde.5738

La clinique des phrases (107)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit les deux phrases suivantes, tirées d’une chronique parue dans un quotidien montréalais :

Je soumets que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.

Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie digitale» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.

Deux phrases, deux anglicismes juteux : soumettre que et digitale, à moins que «littératie digitale» ne renvoie au fait d’apprendre à compter sur ses doigts.

Donc :

Je crois que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.

Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie numérique» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.

À votre service.

P.-S.—L’éducation est entre bonnes mains.

Le zeugme du dimanche matin et de Catherine Éthier

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, 2022, couverture

«En trois femmes grises qui, de génération en génération, s’étaient transmis le sens du spectacle, nous lui répondîmes toutes en même temps, en ne tenant absolument pas compte que “Corinne-Gazaille-Micheline-Gisèle-Trottier-votre-manteau” feraient vibrer les osselets des oreilles diaphanes du vieillard en un ramassis de syllabes et d’autorité qui donne envie d’aller se cacher derrière les rideaux.»

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p., p. 17.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)