La clinique des phrases (yyyy)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Deux phrases, tirées d’un essai québécois récent :

«À quelque part, la fatigue me motive à vivre des vies par procuration […]»;

«À quelque part, je refuse probablement le vide».

L’Oreille l’a déjà dit et répété (c’est une autre de ses guerres perdues d’avance) : quelque part n’a besoin ni de à, ni de en, bien au contraire. Ces prépositions sont parfaitement inutiles; certains diraient que leur emploi est fautif.

Donc :

«La fatigue me motive à vivre des vies par procuration […]»;

«Je refuse probablement le vide».

À votre service.

P.-S.—L’Oreille se passerait volontiers, en règle générale, de quelque part. On pourrait lui reprocher son intransigeance en ce domaine.

Chronique alcoolonécrologique

Sébastien La Rocque, Correlieu, 2022, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman Correlieu (2022), de Sébastien La Rocque : «Guillaume ouvre la porte de l’entrée puis celle de garage pour aérer, transporte les corps morts jusque dans la boîte de son pickup» (p. 77).

Que sont ces «corps morts» ? Des bouteilles d’alcool vides, pas des cadavres odoriférants.

Oui, cela relève du lexique québécois de l’imbibition.

 

Référence

La Rocque, Sébastien, Correlieu. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 192 p.

La clinique des phrases (xxxx)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la consigne suivante, tirée d’une infolettre :

En cas de fièvre, votre enfant doit rester à la maison jusqu’à sa disparition.

Ainsi formulée, la phrase est claire : une fois votre enfant mort, il peut quitter la maison, mais pas avant. On a déjà vu conseil plus éclairé.

Faisons moins cruel :

Votre enfant doit rester à la maison jusqu’à la disparition de sa fièvre.

À votre service.

Le travail de la nostalgie

Sébastien La Rocque, Correlieu, 2022, couverture

Aveu préliminaire : l’Oreille tendue n’avait pas été complètement convaincue par le premier roman de Sébastien La Rocque, Un parc pour les vivants (2017). À côté de choses très bien — la description des villages morts des Laurentides ou ceci —, il y en avait qui l’étaient moins : successions d’instantanés, personnages abandonnés en cours de récit, fin ouverte.

Correlieu, du nom du domaine du peintre québécois Ozias Leduc (p. 101), est un roman plus réussi. Il reprend des thèmes du premier — le travail manuel, l’ébénisterie, la famille —, mais il le fait en multipliant les formes, notamment linguistiques, et en déjouant les attentes des lecteurs.

Le romancier mêle des passages narrés, la retranscription d’un monologue filmé et des passages dialogués, parfois avec un chœur (p. 172). Le genre romanesque peut tout accueillir. Pourquoi s’en priver ?

Sur le plan de la langue, pas de prophylaxie typographique. Le français populaire du Québec est partout, sans guillemets ni italiques ni commentaires explicatifs. Voilà comment les personnages parlent, avec des tournures oralisées («faudrait j’dorme l’après-midi», p. 33), des anglicismes (p. 108), des québécismes.

S’il est vrai que l’auteur s’en prend à l’occasion au développement urbain en Montérégie au début du XXIe siècle (p. 131) et qu’un chapitre est intitulé «Les ruines de la Laurentie» (p. 153), ce qui aurait pu n’être qu’un discours nostalgique sur la perte de mémoire de la culture québécoise se transforme heureusement en réflexion sur le legs. Guillaume Borduas est un ébéniste de 70 ans, un peu cynique, comme ses amis qui se rassemblent autour de lui les vendredis soirs pour boire, discuter des films de Pierre Perrault et vitupérer le monde qui a changé autour d’eux. De 45 ans plus jeune que lui, Florence fera un stage sous sa direction, mais elle ne deviendra pour autant son clone. Elle choisit ce qui lui importe dans ce que lui laisse Guillaume — «Avant sa mort, Guillaume a tout légué à Florence, qui n’a conservé que sa collection de rabots» (p. 192) —, car elle sait ce qui compte pour elle dans le monde moderne.

Dans les premières pages, un fils doit sortir «de l’ombre de son père» (p. 16); à la dernière, Florence «remonte les marches en piétinant son ombre» (p. [193]). L’héritage est un choix.

P.-S.—Et la scène finale est parfaitement réussie, autour d’une chaise berçante.

 

Références

La Rocque, Sébastien, Un parc pour les vivants. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 167 p. Ill.

La Rocque, Sébastien, Correlieu. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 192 p.

La clinique des phrases (vvvv)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit l’annonce suivante :

L’Aubainerie s’installe aux Galeries d’Anjou. Avec sa boutique éphémère, le détaillant de vêtements québécois souhaite éventuellement avoir une adresse permanente dans cette partie de la ville et travaille également à augmenter sa présence sur l’île de Montréal.

Comment avoir une «adresse permanente» en ouvrant une «boutique éphémère» ? On pourrait avoir du mal à s’y retrouver temporellement. (Déplorons itou ce éventuellement, d’un emploi parfois critiqué.)

Essayons ceci :

L’Aubainerie s’installe aux Galeries d’Anjou. Avec sa boutique éphémère, le détaillant de vêtements québécois souhaite se préparer à avoir une adresse permanente dans cette partie de la ville et travaille également à augmenter sa présence sur l’île de Montréal.

À votre service.