La langue en vidéos

C’est comme ça : l’Oreille n’est pas souvent tendue vers YouTube. Elle sait qu’on y trouve des masses de choses bien faites — à côté d’insondables niaiseries —, mais elle n’a pas le réflexe d’y aller voir. (Pour ses fils, ce serait plutôt le contraire.)

Cela étant, elle fait maintenant des visites régulières sur la chaîne Linguisticæ. Depuis janvier 2014, avec humour, Romain Filstroff souhaite y «rendre la linguistique un peu plus accessible à tous tout en comblant ceux qui en sont férus».

Exemple (sur la sociolinguistique).

(Merci à @revi_redac pour le tuyau.)

On ne dit plus…

Maman, j’ai corrigé tout seul ma dictée; on dit Papa, j’ai fait une dictée métacognitive.

Se faire refuser de partout; on dit Lancer un projet de crowdfunding (@s20b).

Hélicoptère téléguidé; on dit drone (@machinaecrire).

J’ai oublié; on dit C’était dans mon angle mort.

Tu es puni; on dit Tu vas avoir une conséquence.

Parler; on dit S’asseoir.

Je voudrais voir un commis; on dit Je voudrais m’asseoir avec un associé.

J’suis pris dans une réunion; on dit Je participe à une solution accélérée.

J’ai une collection de bouchons de bouteilles de bière Dow; on dit Je fais de la curation brassicole.

P.-S. — On peut (ré)entendre toute une série de «On ne dit plus…» dans une assez mauvaise livraison de l’émission de radio Sur les docks intitulée «Se désintoxiquer de la langue de bois» (France Culture, 7 mai 2014).

Commencez par celui-là

Simenon, l’Horloger d’Everton, 1954, couverture

Même les inconditionnels le reconnaîtront : dans le conteneur de romans écrits par Georges Simenon, il y a des œuvres sans intérêt.

L’Horloger d’Everton (1954), c’est autre chose. Un samedi soir, Dave Galloway, l’horloger du titre, constate que son fils, Ben, seize ans, a pris sa camionnette et s’est enfui avec sa petite amie. Ça finira mal.

Le roman que tire Simenon de ce fait divers est une exploration douloureuse tant de la paternité («Ben, c’était lui […]», p. 636) que de l’amitié (celle que se découvre Galloway père avec Frank Musak). On entre dans l’univers de la petite ville d’Everton et dans ce qu’il reste de la famille Galloway de but en blanc. Un monde s’écroule et le lecteur est emporté dès l’incipit. L’horloger trouvera une logique (héréditaire) à ce qui s’est passé. Ça le rassurera; pas le lecteur.

Voilà une excellente porte d’entrée dans l’œuvre de Simenon.

P.-S. — Il est souvent question de baseball dans ce roman. Les éditeurs — des amis de l’Oreille tendue — se sentent obligés d’expliquer des termes du lexique de ce sport. À home run — ce que les Québécois appellent coup de circuit —, ils écrivent : «Au base-ball, le “home run” est le point marqué par le batteur lorsqu’il a réussi à accomplir un tour complet de terrain en passant par toutes les bases» (p. 1580 n. 12). Non. Il manque l’essentiel à cette définition : dans la plupart des cas, si le frappeur fait ainsi le tour des buts, c’est qu’il a envoyé la balle par-dessus la clôture avec son bâton.

 

Référence

Simenon, l’Horloger d’Everton, dans Romans. II, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 567-691 et 1569-1582. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1954.

Autopromotion 151

Jean Echenoz, 14, 2012, couverture

L’Oreille tendue, à l’invitation du magazine University Affairs / Affaires universitaires, vient de publier deux brèves notes de lecture, l’une sur Victor Klemperer (LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue), l’autre sur Jean Echenoz (14).

C’est ici.

 

[Complément du 1er février 2025]

Les deux notes de lecture ont disparu du site du magazine. Les voici de nouveau, sur le site de l’Oreille : Klemperer; Echenoz.

 

Références

Echenoz, Jean, 14. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2012 123 p.

Klemperer, Victor, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

«Que lisez-vous ?», University Affairs / Affaires universitaires, 56, 1, janvier 2015, p. 12-19, p. 15.