Ôtez-vous de là !

Panneau «Interdit de klaxonner»

Le klaxon — dont on se souviendra qu’il s’agit d’une antonomase — existe évidemment dans le français du Québec. L’Oreille tendue — attention : aveu devant — aime assez se servir du sien.

Notons cependant trois choses.

Ce substantif rime, au Québec, avec Boston (prononcé -ton), et non pas avec Washington (prononcé -tonne) : clacson, donc, et non clacseunne (selon le Wiktionnaire) ou clacsonne (chez la Jeanne Cherhal de «Bingo», en 2014).

(Non : Boston ne rime pas, ici, avec Washington, mais c’est une autre histoire.)

Il peut avoir pour synonyme criard : «Le char louvoyait contre une lame de fond que le camion, le criard collé, venait de soulever en se tassant juste à temps» (la Bête creuse, p. 136).

À l’usine du père de Martine Sonnet, «On disait plutôt klaxon que sirène» (Atelier 62, p. 75).

Ce sera tout pour aujourd’hui.

 

Illustration : panneau d’interdiction de klaxonner, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Sonnet, Martine, Atelier 62, Cognac, Le temps qu’il fait, coll. «Corps neuf», 1, 2009, 193 p. Ill. Édition originale : 2008.

Fusibles en tous genres

Pierre Bouchard, Je sais tout, 2014, p. 72, détail

Le fusible des francophones est la fuse des anglophones ? Au Québec — où l’on peut entendre qu’il y a une fiouse à changer dans le panneau électrique —, on ne se contente pas de cela.

Soit la phrase suivante :

«Monti, en se pliant, lâcha une fiouse furtive. Une chaude. Et de voir les États-Uniens virer de même au vert sans risquer une plainte, pas le moindre pouah, il se délecta bien gros de ça. Il avait encore un cœur d’enfant» (la Bête creuse, p. 191).

«Furtive», «chaude» et fétide, cette «fiouse», que Monti vient de «lâcher», est une flatuosité humaine. (Il y en a une animale dans le Numéro 6 d’Hervé Bouchard [p. 20].)

Par un curieux déplacement anatomique, la fiouse peut aussi désigner le visage. Ainsi, qui se fait péter la fiouse souffre de coups au haut du corps.

Pierre DesRuisseaux connaît un autre sens pour cette expression : «Péter une fiouse. Perdre l’esprit, tout sang-froid» (p. 151). Cette fiouse-là est donc un câble ou une coche — bref, les plombs.

C’est comme ça.

 

Illustration : Je sais tout de Pierre Bouchard (p. 72).

 

[Complément du 5 octobre 2018]

On peut aussi se péter la fiole. Exemple ici.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Variations sur le casque

Casques de football miniatures

Soit la phrase suivante, tirée du roman la Bête creuse (2017) :

«Un casque de bain gueulait, proche de la vitre, dans son casque de moto» (p. 127).

Ce casque de bain occupe, tel le tata d’hier, un des barreaux inférieurs de l’échelle de la bêtise. Oui, il s’agit d’un être humain. (Pas le casque de moto.)

Le français du Québec connaît d’autres usages populaires du casque.

Qui se fait parler dans le casque ne l’apprécie généralement pas : on se fait alors dire ses quatre vérités, rabrouer, voire crier dessus. Cela peut être partagé, comme chez la dramaturge Anne-Marie Olivier :

Si t’es pas capable de te servir de ta tête, sers-toi de tes muscles, juste de tes muscles, pis après tout ça, on va se parler, on va se parler dans «face, on va se parler dans l’cass», parce que le pire dans tout ça, c’est que je t’haïs pas, gros cave — mais arrête. Arrête d’avoir peur de tout ce qui est pas toi (Venir au monde, p. 54).

Qui en a plein son casque en a assez, marre et jusque-là. Exemples ici.

P.-S.—On notera que casque se prononce volontiers cass.

P.-P.-S.—Du groupe musical Avec pas d’casque, il a jadis été question .

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté.

L’étable lexicale

Bœuf, gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

Les amateurs de hockey connaissent le joueur réputé pour sa taille et son poids : «Un autre bœuf de l’Ouest devient le premier choix de l’organisation» (le Journal de Montréal, 15 septembre 2018). Oui, c’est de la langue de puck.

Ceux de football savent que, dans certaines situations de course, il vaut mieux mettre «du bœuf» sur la ligne offensive. Peu importe sa provenance, semble-t-il : taille et poids suffisent.

Il y a ces bœufs sportifs. Il y a aussi les beus des forces de l’ordre : «On a eu une maudite armée de bœufs sur le dos et tout ce que je sais, c’est qu’on s’est retrouvés menottés, Lewis et moi, et jetés à l’arrière d’une voiture de police» (Hockey de rue, p. 71). Ce beu-là est donc un poulet.

Le beu peut aussi être automobile : «J’ai été impressionné par les montagnes Rocheuses et les interminables cols que la pauvre Coccinelle traversait de peine et de misère sur son petit “beu” […]» (les Yeux tristes de mon camion, p. 40). Explication d’Ephrem Desjardins : «Sur un véhicule à transmission automatique, vitesse la plus basse ou 1re vitesse» (Petit lexique […], p. 46).

Qui a une face de bœuf n’inspire guère la sympathie : «Nos récits, nos photos refouleront les seuils qu’il aura fallu passer, les étapes indistinctes, le piétinement, les battements du cœur, les faces de bœufs des fonctionnaires, le contact visuel avec des inconnus, les accès de découragement» (Montréal-Mirabel, p. 70-71).

Cette face de bœuf peut aussi bien être un air de bœuf : «Albertine arbore son air de beu habituel […]» (la Grande Mêlée, p. 816).

Au cours du débat électoral tenu à Montréal la semaine dernière, une citoyenne a posé une question d’un ton bourru. Elle n’a pas été convaincue par les réponses qu’on lui a données («Pas tellement») et elle n’a pas regretté son expression faciale.

«Face de boeuf», tweet de Les Perreaux, 14 septembre 2018

En revanche, de beu, pour caractériser la bravade, peut avoir valeur positive : «Au milieu de l’étonnement et de l’horreur qu’il a lus sur le visage du soldat, Édouard a cru deviner une espèce de respect, d’admiration peut-être, devant son front de beu, sa provocation. Son courage. Tenir tête, c’est le secret de tout ! Et la tenir haute !» (la Traversée du malheur, p. 1279)

Tant de bœufs, si peu de jours.

 

Illustration : gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture