Les zeugmes du dimanche matin et de Négar Djavadi

Négar Djavadi, Désorientale, 2016, couverture

«J’ai lutté, oh oui, j’ai lutté, contre ce vent impétueux qui s’est levé il y a très longtemps, dans une province reculée de la Perse nommée Mazandaran, chargé de morts et de naissances, de gènes récessifs et dominants, de coups d’État et de révolutions, et qui à chacune de mes tentatives pour lui échapper, m’a agrippée au col et remise à ma place.»

«Il était le seul homme à pouvoir y pénétrer, le seul à connaître l’odeur lourde des parfums et des disputes qui stagnait dans l’air glacé…»

«C’était une invitation à l’émerveillement tout autant qu’une mise en garde; il fallait être à la hauteur de soi et des autres, des heures de travail et des espoirs, des désirs et des attentes.»

Négar Djavadi, Désorientale, Paris, Liana Levi, 2016. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Marcel Pagnol

Marcel Pagnol, la Gloire de mon père, éd. 2014, couverture

«Je courais à la salle à manger, et je revenais à pas lents, portant avec respect cette arme précieuse.

L’oncle ouvrait toujours la culasse, pour voir si le fusil n’était pas chargé.

Puis il allait se poster derrière la haie du jardin. Mon père, Paul et moi, nous formions un demi-cercle autour de lui. L’oncle, les sourcils froncés, l’oreille tendue, le dos voûté, essayait de voir à travers les feuilles, non pas ce pauvre chemin pierreux, mais les vignes dorées du Roussillon. Soudain, il lançait deux aboiements aigus et brefs. Puis, soufflant puissamment entre ses lèvres molles, il imitait l’envol ronflant d’une compagnie de perdreaux. Alors, il faisait le pas en arrière, et regardait intensément le ciel, au ras de la haie. Puis il épaulait vivement, donnait le petit coup sec, et criait : “Pan ! pan !” Sur quoi, nous rentrions tous les quatre la tête dans nos épaules contractées, et nous demeurions immobiles, les yeux fermés, prêts à supporter le choc d’un “volatile d’un kilo lancé à soixante à l’heure.”»

Marcel Pagnol, la Gloire de mon père, Paris, De Fallois, coll. «Fortunio», 2004, 227 p., p. 152. Édition originale : 1957.

Vaut mieux en être

Julien Grégoire, Jeux d’eau, 2021, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées de l’excellent Jeux d’eau de Julien Grégoire :

«T’es pas du monde» (p. 112).

«J’avais pas été du monde, quand j’y repense, je suis un peu gênée, mais sur le coup, c’était comme, je voulais me baigner et là, je me baignais, alors tout était beau» (p. 171).

Ne pas être du monde, donc : mal se comporter, s’emporter, voire perdre sa dignité. Ce comportement n’est généralement pas souhaitable.

P.-S.—Souvenez-vous : au Québec, il arrive que «le monde» commande le pluriel.

P.-P.-S.—Ce monde-là ne se trouve pas au balcon.

 

Référence

Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.

Collocation du jour

Julien Grégoire, Jeux d’eau, 2021, couverture

Sous gâter, le Petit Robert (édition numérique de 2018) propose cette définition : «Traiter (qqn) en comblant de prévenances, de cadeaux, de gentillesses» et renvoie à pourrir : «Gâter extrêmement.»

Le français du Québec amalgame volontiers ces deux mots : «Personne mérite le respect, personne ! Et encore moins les petits enfants gâtés pourris comme toi, qui pensent que tout le monde leur doit quelque chose» (Jeux d’eau, p. 112).

À votre service.

P.-S.—Collocation ? Par ici.

 

Référence

Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.

Ouille !

Pansement adhésif, dessin de Charles Malo Melançon

Soit les deux phrases suivantes :

«Ouais, mais comme ça risque d’être difficile à entendre, je vais y aller d’un coup sec. Comme quand on enlève un plaster à un enfant, OK ?» (Un lien familial, p. 230)

«Ça s’est transformé en mal de cœur, la sueur s’est épaissie, c’est maintenant une sorte de colle écœurante, il s’arrache de son lit comme s’il était un gros plaster» (Jeux d’eau, p. 97).

Plaster, donc. Au Québec, dans le français populaire, ce mot désigne le pansement (adhésif), le sparadrap, le diachylon.

Quand il faut s’en débarrasser, il faut s’en débarrasser, sans s’apitoyer sur son sort.

Allez-y. Tirez.

P.-S.—La prononciation plasteur est largement attestée. Pierre Corbeil propose pla’stœrr (p. 77).

P.-P.-S.—Certains, pour rappeler que le mot vient de l’anglais, le mettent en italique. Dans un roman (québécois), ça se discute.

P.-P.-P.-S.—Au sujet de diachylon, le dictionnaire numérique Usito a deux remarques intéressantes. D’usage : «L’emploi de diachylon est sorti de l’usage en France.» De prononciation : «Ce mot, prononcé autrefois [diachilon] en France, y est aujourd’hui prononcé [diakilon].» (Au Québec, à vue d’oreille, c’est la première prononciation qui domine encore aujourd’hui.)

 

Références

Bismuth, Nadine, Un lien familial. Roman, Montréal, Boréal, 2018, 317 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011 (troisième édition), 186 p. Ill.

Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.