Attention à vos oreilles

«Tendez l’oreille à votre audition !», la Presse+, 6 mai 2019, titre

Soit trois citations, tirées d’autant de recueils de poésie québécoise :

«Sa langue claque, ses lèvres craquent, sa gorge griche» (L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, p. 46).

«Cléoma Breaux vous m’entraînez
en Louiziane
dans votre voix qui griche» (Où aller, p. 66).

«tu es entré en moi
à la vitesse de la lumière

tu as libéré mes souffles brisés
réparé mes seins

et déplacé quelques fréquences qui grichaient encore» (Toute ou pantoute, p. 75)

Dans son édition numérique de 2018, le Petit Robert donne, comme marques d’usage, à gricher : «(Canada) FAM.» (pour «familier»). Il lui attribue deux sens : «grincer» et «grésiller».

Dans les trois exemples ci-dessous, c’est le deuxième sens que l’on entend. Et ce n’est agréable pour personne.

 

Références

Aubin, Charlotte, Toute ou pantoute. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 87 p. Ill.

Desbiens, Patrice, L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999, 60 p.

Hébert, François, Où aller, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2013, 89 p.

Qu’elle durcisse !

Moustache molle

L’adolescence masculine peut être pilairement éprouvante.

Soit les deux phrases suivantes :

«Il pensait à la connerie de cet humain devant lui en particulier, qui devenait un archétype, qui devenait une typologie en soi, qui portait des souliers de toile en plein hiver, et des skinny jeans, et une moustache molle» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 214).

«Un adolescent à moustache molle, portant une casquette sur ses cheveux noirs retroussés sourit béatement» (les Sentiers de neige, p. 183).

Souhaitons à ces ados que leur moustache molle durcisse !

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Fiat lux

Murale représentant Leonard Cohen, Montréal

La phrase de Leonard Cohen est célèbre : «There is a crack, a crack in everything / That’s how the light gets in.» Elle se trouve dans la chanson «Anthem» de l’album The Future (1992).

En France, on traduit parfois crack par fissure : «Il y a une fissure dans toute chose; c’est ainsi qu’entre la lumière.»

Au Québec, on voit (fréquemment) craque ou (à l’occasion) brèche.

Charlotte Aubin, dans son recueil Toute ou pantoute (2024), offre un autre son de cloche :

je le sais
je vois la lumière
réussir à s’infiltrer malgré moi
à travers les trous (p. 38)

C’est comme ça.

 

[Complément du 18 octobre 2024]

Grâce à Mastodon, l’Oreille tendue découvre que Pomme a choisi pour titre de son album les Failles en pensant à Cohen.

 

Référence

Aubin, Charlotte, Toute ou pantoute. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 87 p. Ill.

Déficits à craindre

Requiem pour un beau sans-cœur, film de Robert Morin, 1992, affiche

Sans-cœur : avec ou sans trait d’union, substantif ou qualificatif.

Qui est sans-cœur peut manquer de compassion : «“Ça prend une méchante gang de sans cœur pour être capables de punir des gens, de faire mal à des gens comme ça qui autrement auraient le droit d’avoir accès au dentiste”, a dénoncé M. Boulerice en point de presse mercredi» (la Presse+, 9 octobre 2024).

On peut aussi manquer de volonté : «je suis trop sans-cœur» (Tiroir no 24, p. 120).

Ne soyez ni l’un ni l’autre.

P.-S.—Vous avez l’œil. Nous avons en effet déjà croisé un sans-cœur chez Gérald Godin (ici).

P.-P.-S.—On trouve d’autres exemples dans Usito.

 

Référence

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.